Yameogo A. Marie-Brice: « l’écrivain doit dénoncer ou cesser d’exister. »

Yameogo A. Marie-Brice: « l’écrivain doit dénoncer ou cesser d’exister. »

BL: Bonsoir M. Achille. Nos lecteurs seront heureux de vous connaître. Pourriez-vous vous présenter s’il vous plaît ?

AY : Bonsoir à vous, je voudrais, avant de répondre à vos questions, remercier toute l’équipe de Biscottes littéraires.  En tant que jeune écrivain, je ressens de l’admiration  et une profonde reconnaissance pour tous les sacrifices que vous consentez dans le but de faire connaitre les écrivains africains et par ricochet, promouvoir la littérature en Afrique. Je me nomme Yameogo Achille Marie-Brice, je suis né en 1991 à  Abidjan, en Côte d’ivoire. Je suis le cinquième enfant d’une famille de sept enfants. Mes parents sont catholiques. J’ai  fait mon parcours scolaire à Abobo, avant d’obtenir mon baccalauréat en 2009. Je suis étudiant en thèse de Doctorat de lettres modernes à l’Université Félix Houphouët Boigny d’Abidjan, auteur de deux livres.

BL: A quand remonte votre amour pour la littérature ?

AY: A la vérité, mon amour pour la littérature est né dès mon enfance. Mon père était un adepte de la lecture. A la maison, il avait accumulé un grand nombre de livres. Il s’était, par la même occasion, construit une petite bibliothèque personnelle. Je me souviens que, par moment, il me racontait des histoires drôles, des contes pour me faire aimer les livres. Quand je fus en âge d’aller à l’école, c’est tout naturellement que je lisais les livres de papa pour me distraire. J’ai fini par intérioriser cette habitude si bien que je décidai de devenir un jour écrivain lorsque je fus en classe de troisième. Ce rêve m’a toujours hanté jusqu’à ce que je le réalise aujourd’hui. Et je remercie Dieu pour cela.

BL: Vous êtes l’auteur un recueil de poèmes qui s’intitule « Pauca meae » publié en janvier 2020. Dites-nous : pourquoi avoir commencé avec la poésie ?

AY: « Pauca meae » est le symbole de mes débuts dans l’univers de l’écriture. J’ai choisi, pour mes premiers pas,  d’écrire de la poésie car  c’est un genre que j’affectionne  énormément. La poésie  m’offrait plus de possibilités et de liberté. A travers la poésie je pouvais sonder l’âme humaine, déceler ses vices, ses ridicules, ses peurs… Je pouvais également  dire ce que je ressens.

BL: Après ce livre, vous avez publié trois mois plus tard, c’est-à-dire, en avril 2020, un roman Un élève pas comme les autres. Pourquoi avoir changé de genre et pourquoi un temps de rapprochement si court entre les deux publications ?

AY: C’est surprenant, je l’avoue. J’ai changé de genre car je ciblais un lectorat bien précis en écrivant ce roman : les élèves. La poésie est un genre que l’on qualifie d’élitiste, en Afrique, car sa saisie est parfois difficile alors que le roman est on ne peut plus digeste, accessible. J’ai estimé que je pourrais me faire comprendre plus facilement en écrivant un roman. C’est la raison pour laquelle j’ai opéré ce choix. En ce qui concerne le court temps de rapprochement entre les deux publications, je pense que cela est dû à mon acharnement. En effet, j’avais, un an auparavant, commencé la rédaction de ce roman. Il était déjà terminé lorsque « Pauca meae » fut publiée. Je n’ai pas voulu attendre longtemps pour mettre au grand jour ce roman attrayant.

BL: Mettez-nous dans la confidence du titre du recueil de poèmes  « Pauca meae ».

AY:  « Pauca meae » est un terme latin qui signifie littéralement «  quelques vers pour ma fille ». Ce terme, je l’ai découvert pour la première fois dans LES CONTEMPLATIONS de Victor Hugo, où il consacra plusieurs pages à sa fille Léopoldine. J’ai été touché par ce livre. Dans mon livre, j’ai consacré toute une section à mon pays, la Côte d’ivoire. Cette partie, je l’ai nommée « Pour ma Patrie ». Tout comme Hugo dédia  son livre à sa fille Léopoldine disparue, j’ai écrit  mon livre pour la Côte d’ivoire. La Côte d’ivoire est certes jeune mais elle a traversé plusieurs événements douloureux depuis son accession à l’indépendance en 1960. Les plaies occasionnées par les conflits armés sont encore béantes ; elle a donc besoin qu’on lui fasse des points de suture  pour se rétablir de ses maux au risque de sombrer dans le chaos. Telle est la symbolique de ce titre Pauca meae : quelques vers pour ma fille, la Côte d’ivoire.

BL:  Dans ce recueil de poèmes, on constate que la thématique sur la  politique est importante puisqu’on y retrouve les sous thèmes de la mauvaise gouvernance, du népotisme. Peut-on vous considérer comme un écrivain engagé ?

AY: Oui, je le clame haut et fort. L’écrivain a le devoir de tout mettre en œuvre pour éviter l’incendie, il ne doit pas se contenter de cet attribut de sapeur-pompier !

BL: La politique n’est pas la seule thématique développée dans votrerecueil de poèmes. Dites-nous les autres thématiques abordées.

AY: Dans ce poème, j’ai morigéné, à l’instar de la politique, plusieurs maux de nos sociétés africaines. Il s’agit de l’excision, du mariage forcé, des assassinats rituels, de la perte des traditions africaines, de l’immigration clandestine, de la prostitution, la dépravation. J’aborde aussi des thématiques universelles qui renvoient au développement personnel : la gestion du temps, le courage, la lecture…

BL: Dans votre roman Un élève pas comme les autres, vous semblez câbler le récit dans le monde éducatif, où vous pensez que l’éducation aujourd’hui en Côte d’Ivoire n’est pas comme celle d’hier. Sur quoi vous basez-vous pour un tel point de vue ?

AY: Au risque de m’attirer les foudres de certaines gens, j’ai pris le soin de ne pas tomber dans la suffisance, la démagogie. Le lecteur, le critique peut ne pas être du même avis que l’auteur, on le sait. Il existe toujours des élèves d’exception en Cote d’ivoire, mais le constat que j’ai fait est que le niveau des élèves a considérablement baissé. Cela est lié à plusieurs facteurs : l’insuffisance du nombre d’établissements scolaires, secondaires et supérieures ce qui implique un nombre pléthorique d’élèves dans les salles des classes, l’insuffisance d’enseignants dans certains établissements, la corruption, la tricherie, le laxisme, la fainéantise des élèves, le découragement chez certains enseignants, le pourcentage de réussite faible aux examens… ce sont autant de raisons qui m’ont motivé à défendre ce point de vue.

BL: Pourquoi ce titre « Un élève pas comme les autres » ?

AY : J’ai choisi ce titre dans le but d’éveiller les consciences des élèves qui ont été piégés par les vives à savoir la cybercriminalité, la tricherie, la corruption, le banditisme, le délogement des écoles, la drogue, le sexe, la prostitution… Ces divers phénomènes tendent à s’insérer dans les mœurs de nos élèves aujourd’hui. Cela dit,  les qualités affichées par le personnage principal Amadou sont aux antipodes de ces congénères. Son acharnement dans le travail, le  sérieux qu’il affiche dans ses études, l’aversion qu’il éprouve pour les vices de son temps ont fini de le différencier des autres élèves. Il est en quelque sorte un élève pas comme les autres.

BL: Quel destin implacable pour Sangaré Amadou, personnage  principal de votre roman, qui perdit son père et sa mère très tôt,  et pourtant réussit sa vie ? Pensez-vous que l’homme, s’il le veut peut surmonter dans la vie un tel handicap et devenir meilleur ?

AY : C’est à dessein que j’ai imposé au personnage principal une existence aussi souffreteuse. La souffrance causée par la mort de ses géniteurs et la misère sont des choses indicibles. D’ailleurs, peu de personnes parviennent à s’en remettre ; il s’ensuit, parfois des suicides, la folie, le découragement, l’abandon… Mais le personnage principal a pu échapper à toutes les fins chaotiques qu’on aurait pu lui prédire. Mieux, la souffrance lui a servi de motif pour se surpasser et briller dans ses études au point d’aller en Europe. Tout cela pour dire que «  quand on a un rêve, il faut le poursuivre, sans jamais abandonner quelques soient les obstacles.»

BL: On voit la jeunesse africaine qui aujourd’hui préfère avoir rapidement l’argent au lieu de se former. Qu’avez-vous à leur dire ?

AY: Je tiens à leur dire que la voie de la facilité mène à la dissolution et à la perte de soi-même tandis que celle de l’effort et du courage mène à l’accomplissement de soi ainsi qu’à une éternité retrouvée.

BL: Que pensez-vous de ceux qui disent que pour exterminer le continent, il faut seulement saboter l’éducation ?

AY : L’Afrique traditionnelle faisait de l’éducation de ses membres une priorité d’où l’importance accordée aux initiations pour pérenniser les savoirs ancestraux  et garantir la cohésion sociale. L’éducation est le socle du développement d’un pays. Aujourd’hui, l’adoption des divers systèmes éducatifs étrangers, sans véritablement  confirmer leurs efficacités et leurs applicabilités à nos réalités locales, pose un réel problème. La vulgarisation des TIC avec son corollaire dépeint tragiquement sur l’éducation en Afrique.  Déjà que nos traditions  étouffent, se meurent sous le poids de la modernité, voici l’Occident qui pille l’Afrique de ses cerveaux en octroyant des bourses d’études aux plus méritants. En s’attaquant à l’éducation dans un pays, on détruit sa moelle substantielle ; on l’abrutit.

BL: Qu’est-ce que cela fait d’être écrivain du pays des grands écrivains ivoiriens comme Bernard Binlin Dadié, Ahmadou Kourouma, Isaï Biton Coulibaly ? Ressentez-vous de la pression ?

AY: C’est à la fois un grand honneur et une grande responsabilité.

Je suis fier d’avoir écrit deux livres, mais j’ai beaucoup à apprendre. Nos prédécesseurs ont hissé la barre très haute, il nous revient d’essayer d’atteindre le niveau de ces derniers afin de jouer les premiers rôles sur la scène littéraire ivoirienne. Je continuerai dans cette lancée car être écrivain est une lourde responsabilité. Nous sommes des modèles.

BL: Quelle est selon-vous, la fonction d’un écrivain ?

AY : Il a entre les mains le sort de son peuple. Ce qui arrive à son peuple est en partie  sa faute. En clair, l’écrivain doit dénoncer ou cesser d’exister.

BL: Vous avez sûrement des projets à court, à moyen ou à long terme. Mettez-nous dans la confidence.

AY: Bien entendu, j’ai des projets qui s’échelonnent dans le temps. A court terme, je dirai que je compte poursuivre des actions relatives à la promotion de mes ouvrages, et aussi, prendre part à des interviews afin de me faire connaitre du grand public. A moyen terme, j’ambitionne achever très bientôt un troisième roman afin de le publier dès l’année prochaine.

BL: Votre mot de fin

AY : En guise de conclusion, je tiens à remercier très sincèrement Biscottes littéraires de m’avoir offert cette lucarne. Je souhaite beaucoup de succès à cette belle équipe dévouée à la cause des jeunes écrivains africains. Grand Merci !

 

 

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