« 8clos » ou « obligation pour la femme de secouer tous les jougs, de briser tous les mors, de rompre le silence, de tempêter jusqu’à se faire entendre et prendre enfin ses responsabilités…


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Introduction

Qui peut mieux parler de la condition féminine dans les livres à part les femmes elles-mêmes ? Quand les hommes en parlent, c’est pour exposer les problèmes de la manière dont cela les arrange. La femme, c’est d’abord la mère de famille, car elle y passe plus de temps avec les enfants. Voici un livre, qui justement nous plonge dans la vie d’une famille, raconté par Djhamidi Bond. Un tour sur la 4è de couverture du roman « 8clos » nous donne déjà une idée de l’ambiance surchauffée qui nous attend à l’intérieur : « 8clos » est un récit saisissant et plein de rebondissements. S’articulant autour du viol incestueux, crime, injustice, gris-gris, infidélité et des secrets soigneusement entretenus puis, finalement éventrés… ». L’auteure de ce roman, la camerounaise Djhamidi BOND, est née dans les années 80 à Douala. Avant « 8clos » (Afrédit 2018, Yaoundé, 182 pages) elle avait publié « Amour et préjugés », son premier roman, aux éditions L’Harmattan.

1- Résumé du livre

Elevée dans une famille apparemment paisible et harmonieuse, l’héroïne du roman qui n’a que quinze ans, a connu une existence tumultueuse et palpitante. Saïd, son propre frère, profite de sa naïveté pour entretenir avec elle des rapports sexuels incestueux en lui disant qu’il lui montrait et appliquait avec elle le cours de biologie qu’il suivait à l’école. Mises au courant de cet acte des mois plus tard puisque la fille est devenue grosse, Nazirah, la mère de l’héroïne et Zénabou, la femme de maison, prennent la décision de la cacher des regards indiscrets jusqu’à l’accouchement dans le village de Z sous prétexte de parfaire son éducation à sa future vie d’épouse. Son corps n’était pas préparé à concevoir. La grossesse l’a défigurée et déréglée. Dans son corps et dans son âme, elle a subi des traumatismes. Elle accouche finalement, non sans peine, d’un enfant qu’elle ne verra jamais. Tant de souffrances pour un enfant qu’elle ne portera jamais dans ses bras. De retour à la maison familiale après ce douloureux exil, l’héroïne se retrouve de nouveau face à son frère. Elle comprend qu’elle avait été jugée la seule coupable dans cette histoire. Elle ne pardonne ni à sa mère, ni à Z de n’avoir puni qu’elle seule, alors que son frère Saïd continuait sa vie comme si de rien n’était. Elle décide de se venger elle-même. Elle enfonce une lame de couteau dans le sexe de son frère et le rend inapte à fonder une famille : « Il parlait tout en se déshabillant. Il fit voler son short par-dessus ma tête. Gênée, je me faufilai dans mes draps. Le gros porc avait dû penser que j’étais encore une petite fille naïve et timide. Lui, déjà nu comme un ver, continuait à me tripoter. Je le laissai faire, malgré moi, jusqu’au moment où, du dessous de mon oreiller, je sortis le couteau à pain que j’avais pris dans le lave-vaisselle. Je lui plantai cette lame dans son membre dur qui avait essayé de me pénétrer. » pp. 46-47. « La coupure avait sectionné plusieurs veines et avait presque atteint le canal déférent », p.48. L’autre solution trouvée est de quitter vite cette maison et de s’éloigner de cette famille immonde. Le mariage arrangé avec Karim doit représenter pour elle un nouveau départ. Le mariage célébré, elle part chez Karim où la vie devient encore une autre succession d’épreuves et de luttes. Elle doit se battre au quotidien pour garder l’harmonie de son couple avec un homme qui ne veut que de descendances et qui s’impatiente après plus de quatre mois de vie en commun…

2- Schéma narratif du roman

« 8clos » roman dans lequel Djhamidi Bond nous plonge dans une histoire où se brassent plusieurs problématiques. Comme pour tout récit, on observe ici un schéma narratif qui présente la chronologie du contenu.

  • Situation initiale

L’héroïne vit dans sa famille avec son frère Saïd, sa mère Nazirath et son père ainsi que des employés où on constate qu’elle est enceinte (le début de l’histoire commence avec un problème. L’héroïne est mal dans sa peau. pp. 5- 15)

  • Élément perturbateur

L’héroïne est enceintée par son frère, Saïd. (la cause du problème de départ  pp.16-19)

  • Série d’actions (toutes les situations pour régler le problème de départ pp. 20-173)

Nazirath et Zénabou décident à travers un plan d’exiler l’héroïne dans le village de Zénabou

Le plan suit son cours et elles s’en vont.

L’héroïne y passe le reste de son temps et accouche.

Fatiguée, elle suit un traitement et revient à la maison familiale.

Pour régler le problème, on convoque une réunion pour lui trouver un mari.

L’héroïne se marie avec Karim.

Elle est dans l’incapacité à avoir d’enfant.

Sa mère l’aide par les forces et pratiques occultes.

Le plan d’avoir un enfant échoue toujours, malgré tout.

Elle va à l’hôpital pour se soigner et savoir ce qui ne va pas.

  • Situation finale (elle n’est plus enceinte comme au départ dans la situation initiale, mais un autre problème survient)

L’héroïne apprend la vérité sur ses parents, son frère et son mari Karim (173-182).

3- Etude thématique

  • Le mensonge: Il est au centre de ce livre et se manifeste pratiquement à chaque page. Les personnages en usent pour se sortir d’affaire ou pour plonger les autres. Nazirah, la mère de l’héroïne, en est la championne. Elle a menti à son mari, le père de l’héroïne pour ne pas révéler ce que son fils Saïd a fait à sa sœur. « El Hadj ne doit surtout pas être au courant de cette situation. Il faudra s’en occuper à son insu, Zénabou. Si les voisins sont informés, honte à nous ! Ce sera un déshonneur pour notre famille. » (p.19.) « Tu ne dois surtout pas dire à ton père la vraie raison de ton voyage. Il y va de notre intérêt à toutes les trois. Nous devons à tout prix éviter sa colère…Quand ton père te cherchera, je saurai quoi lui dire. » (p. 21). Et un peu plus loin, sur la blessure de Saïd, un autre gros mensonge : « Saïd aurait eu un accident sous la douche avec son rasoir au moment de s’épiler, lui avait-elle dit. Ma merveilleuse mère avait encore trouvé un sublime mensonge pour berner son mari ». Ce mensonge est aussi un secret très lourd que détient Nazirah puisqu’elle a toujours caché à l’héroïne qui était son vrai père.

  • L’inceste : Considéré en Afrique comme un acte immonde, il n’est donc pas bien vu de tout le monde, d’ailleurs. Comment peut-il en être autrement, puisque l’éducation reçue ici en Afrique ne tolère pas ce comportement ? Un comportement qui consiste à voir deux personnes issues de la même famille, de surcroît du même père et de la même mère, des frères et sœurs, tenir des relations sexuelles. « La première fois, lui confiai-je, c’était l’année dernière. Saïd m’avait laissé entendre que vous vous fâcheriez, Père et toi, si je refuse de faire ce qu’ils voulaient. Alors, je me suis tue ; j’ai obéi parce que je ne voulais pas vous décevoir», p.46. « Il venait me retrouver et me faisait découvrir une nouvelle partie de mon corps et du sien…Il me touchait à des endroits différents chaque soir et me demandait de lui rendre la pareille…Alors, je me taisais et je cédais. », p.18.

  • L’éducation : Le mal souvent en Afrique, lorsqu’il s’agit de l’éducation des enfants, c’est de penser que le garçon mérite mieux que la fille. En effet, pour les conservateurs, la femme est faite pour le foyer, et l’éducation qu’elle doit recevoir tourne autour de la manière dont elle doit s’occuper de son foyer, de son mari et de ses enfants : « Tu n’auras qu’à être naturelle, tout en évitant de lui montrer ce visage insolent que tu affiches depuis quelques semaines. Force-toi à être timide. Ne lui parle pas vraiment. Quoi qu’il dise, tu lui répondras par une mimique. Ne donne surtout pas ton avis même s’il te le demande. Sinon, il pensera que nous t’avons mal éduquée…Si vraiment tu veux te marier, suis ces conseils et à ses yeux, tu passeras pour un ange. Il aura la certitude d’avoir déniché une perle rare… » (p.64). Pour le garçon, c’est beaucoup plus ouvert. Il peut aller à l’école, apprendre un métier, et n’est souvent pas puni pour ses bêtises. La preuve, l’héroïne est la seule punie après le viol subi et la grossesse, fruit de ce viol. On la considère comme une dévergondée alors que Saïd n’a eu aucune remontrance.

  • La tradition: Elle occupe une place importante dans le livre. D’une part, elle est valorisée puisque par la pharmacopée (l’utilisation des plantes, écorces et racines), l’héroïne, après son accouchement difficile, va s’en servir pour retrouver la forme et la guérison. « Les jours qui avaient suivi, Mère avait pris soin de moi. Elle avait pris la place de la jeune fille aimable qui m’apportait des infusions tous les deux jours, me massait les articulations et me scarifia les pieds qui avaient gonflés. » (p.33). Mais il y a des faits qui viennent montrer le côté négatif des certaines pratiques traditionnelles. En effet, pour apprivoiser son homme, la femme est capable du pire : « Comme toutes les femmes, mon enfant ! rétorqua-t-elle hâtivement. Comme toutes les femmes qui veulent, plus que tout, préserver leur foyer ! J’ai fait ce qu’il fallait et ton père n’a jamais épousé une autre femme. Il n’a d’ailleurs jamais voulu d’une autre que moi » ; « Aucune femme ne veut partager son homme, crois-moi, m’interrompit-elle. C’est pour ça que nous avons toutes recours à certaines pratiques qui nous apportent une sorte de satisfaction, un peu de tranquillité. » p127.

4-Etude des personnages

L’héroïne : C’est le personnage central autour duquel l’histoire est construite. Très naïve au départ, elle devient au fur et à mesure que les actions s’enchainent, une personne adulte à travers ses réflexions malgré son jeune âge. Elle n’a que 15 ans quand elle devient enceinte à cause de son frère et de son ami Moctar qui eurent des relations sexuelles avec elle, à tour de rôle, et régulièrement. Déçue par le comportement de sa mère qui lui en veut, la punit et laissant Saïd comme s’il n’était pas fautif, l’héroïne décide de se venger. Elle rend la vie dure à son frère et devient insolente vis-à-vis de sa mère : « Ce qu’il a fait n’est pas bien, Mère ! poursuivis-je. Ce qu’il m’a fait est condamnable et vous deux, vous le savez ! Il devrait être puni pour cela. Mais tu n’as rien fait ! Vous n’avez rien fait ! Vous m’avez punie, moi, et l’avez protégé, lui. J’ai donc décidé de me faire justice. J’ai fait ce qui me semblait jute pour moi » (p.49) Elle poursuit en répondant à sa mère : « Mère, dis-je, à présent insolente, tu vouais que je grandisse ? Sois fière de moi : j’ai grandi…Je mettrai en pratique tout ce que tu m’as appris : mensonge, perfidie, sournoiserie, déshonneur, hypocrisie, manipulation et que sais-je encore ?  Je suis certaine que tu ne m’as pas tout enseigné ! Je serai la meilleure élève que tu n’aies jamais eue. Je serai ton reflet, mais en mieux, je te le promets ! Tu n’auras pas en t’en faire. Et ton vaurien de fils, la prochaine fois que je le vois, je ne le rate pas. C’est une promesse solennelle que je te fais !», (pp.49-50). C’est une fille qui ne comprend pas qu’on puisse délaisser si facilement les enfants, surtout filles et qu’elles ne soient pas protégées par les premières personnes qui devraient le faire, c’est-à-dire leur mère.

Nazirath : Femme atypique, unique en son genre, capable du meilleur comme du pire. C’est la mère de l’héroïne et de Saïd. Elle est prête à tout pour sa personne. Pout « laver » la honte à cause de la grossesse de sa fille, elle n’a pas hésité à mentir à son mari pour protéger sa personne. Elle demande à sa fille de mentir aussi. Pour garder son homme, elle va le marabouter et enseigne à sa fille à en faire de même pour garder son mari et se faire aimer de lui : « Le voici, le « soutien » que je t’ai promis, dit Nazirath, la mine sérieuse. Sois attentive à tout ce que je te dirai à partir de maintenant » (p.136).

Saïd : C’est le frère de l’héroïne. Elève studieux et très intelligent, il vit son destin basculé pour avoir enceinté sa sœur. Pour se venger, cette dernière le blesse gravement en coupant pratiquement son sexe. De jour en jour, avec les complications, les médecins montrent qu’il ne peut plus utiliser ce sexe : « Docteur Umar était obligé de faire ce qu’il a fait. Même une nouvelle opération n’aurait pas pu réparer les dégâts. Conséquences, ton frère ne se servira plus de son membre. C’est comme s’il était mort » (p.92).

Karim : Fils du Docteur Umar, garçon âgé de 22 ans sans volonté, puisque le choix de sa femme lui a été imposé par son père. Il n’avait rien à dire : « Mon père m’a déjà tout dit te concernant ; je sais tout ce qu’il y a à savoir : tu as presque quinze ans ; tu ne sors jamais si oui, toujours accompagnée ; tu prends des cours à domicile ; tu es le pur résultat d’un projet savamment élaboré par mon père. «Risque zéro », comme il dit. En gros, tu es le meilleur choix pour moi ». La seule chose qui était importante, c’était de tout faire pour créer sa progéniture. Parfois violent, parfois aimable, il est sous l’influence de sa famille, et incapable de prendre parfois ses propres décisions.

Docteur Umar : Père de Karim et docteur de la famille de l’héroïne. Homme très charmant avec une allure princière et imposante, il fait partie des personnages à secret de ce livre. Il a tenu dans le passé une relation avec Nazirath. Il est de ces hommes qui ont d’autorité sur leurs enfants. C’est lui qui a choisi la femme à son enfant Karim, et ce dernier n’a eu rien à dire.

Zénabou : Amie de Nazirath et de la famille. C’est avec son aide que l’héroïne a été exilée pour accoucher. Elle est un peu la confidente de l’héroïne.

5- Etude spatio-temporelle

a- Le Cadre

L’espace est le cadre dans lequel interviennent les actants dans le livre. Il y joue un rôle déterminant en fonction de leur désir. Les actions de ce livre ont évolué pratiquement dans cinq cadres.

  • La maison familiale de l’héroïne: C’est l’endroit où l’histoire commence. On y voit l’héroïne prendre cette maison comme un havre de paix. Tout se passe bien, avec un père et un frère très aimants, avec les domestiques qui s’entendent parfaitement. C’est une grande maison qui montre la puissance économique de la famille, un endroit où tout enfant aurait aimé vivre, un paradis qui devient rapidement une prison pour l’héroïne en effet, après avoir subi le viol de son frère. Après avoir été déportée pour accoucher, elle est revenue dans cette maison qui fut le début de son malheur. Ensuite, s’enchainent les idées de vengeance, de confinement, qu’elle qualifie de « prison », au point de vouloir se libérer en se mariant rapidement pour aller chez son homme.
  • Dans le village de Zénabou : C’est là où l’héroïne fut emmenée pour passer le reste de son temps jusqu’à l’accouchement. Elle y subit selon elle, les pires tortures qu’une enfant de 15 ans pourrait subir. Elle eut son enfant, qui n’a pas survécu. Après cet épisode douloureux, elle y suivit les soins pour se refaire une santé puisqu’elle avait été vraiment amochée. Cet endroit était aussi pour elle un calvaire, mais a pris une partie importante dans le déroulement de l’action dramatique dans le livre. Elle se sentait toujours en prison.
  • La rue : C’est le seul endroit où elle pense être en liberté, et c’est au cours du voyage aller-retour pour aller dans le village de Zénabou qu’elle a compris ce que c’est qu’être libre. En effet, dans la voiture, elle put respirer de l’air pur, voir les arbres, écouter le chant des oiseaux. Ce lieu lui fit du bien, puisque dans la maison familiale et celle de Zénabou, elle n’avait pas le droit de sortir : « Durant le voyage retour, des gouttes de pluie ondulaient à leur guise sur le pare-brise et l’asphalte. Je rêvais de cette même liberté. Je rêvais de m’évader. Pendant des heures, je m’étais livrée à ce seul exercice : observer des arbres se balancer délicatement sous l’action du vent…Durant ce laps de temps, je me sentis revivre. J’étais heureuse» (p.37). D’ailleurs, c’est pour cette raison qu’elle n’allait pas à l’école. Elle suivait à la maison les cours particuliers, de peur qu’elle ne fréquente les garçons au point de tomber enceinte. Et c’est ce que la famille évitait qui arriva, puisque, le « mal » était à la maison.
  • La maison de Karim : Ici, après le mariage, c’est ce qui constitue sa nouvelle maison avec son mari. Mais les choses n’ont pas changé pour autant, puisque son mari lui interdisait de sortir. Elle ne vit qu’à la maison, et ne peut même pas recevoir de visiteur. La seule visiteuse qu’elle peut recevoir, et sous condition, est sa mère. Une autre forme de prison, de torture morale.
  • L’hôpital : Le lieu de la vérité. Incapable d’avoir d’enfant, à cause des traumatises et des mauvais soins lors de son accouchement dans le village de Zénabou, l’héroïne a du mal à tomber enceinte. Arrivée à l’hôpital pour se faire soigner, on découvre des traces de corps étrangers dans son corps. Ce qui prouve qu’elle avait été enceinte une fois. Elle, qu’on présentait à ses beaux-parents comme une vierge avant le mariage. De question en question, la vérité sortit : elle avait été enceinte une fois et les choses ne se sont pas bien passées. C’est aussi là qu’elle apprend la vérité sur son vrai père et son frère. Ce qui la bouleversa.

b- La temporalité.

Nous parlerons ici de deux temps : le temps des personnages et le temps de l’œuvre et ses indices.

  • En ce qui concerne le temps des personnages, on constate que la temporalité des personnages est moins liée à leur âge qu’au moment de leur histoire personnelle que l’auteur a choisi de nous montrer : naissance d’un sentiment, première confrontation avec le monde des adultes, mariage, rupture, mort, action décisive pour leur avenir…

On peut ainsi distinguer dans ce livre, le moment où les personnages sont pris à un moment critique de leur vie : l’héroïne est déjà enceinte et les premiers symptômes sont constatés. Il fallait éviter la honte. Zénabou et sa mère se chargent du reste. Le reste de l’histoire, c’est comment faire pour régler ce problème. L’auteur revient après sur le début de cette histoire.

Chaque personnage a son propre rapport avec le temps. Pour certains, seuls comptent le présent et le futur, telles la mère de l’héroïne et Zénabou. Mais pour d’autres, le présent seul suffira.

  • Dans le cadre temporel du roman, pour situer l’action du roman, l’auteur peut préférer le temps historique et le faire à une époque précise, parfois à un moment critique de l’histoire, parfois même à un temps non éloigné de notre époque. Dans « 8clos», on constate que l’histoire de ce livre n’est pas si éloignée que cela, en témoigne l’utilisation du téléphone portable dans le livre : « je me résolus finalement à utiliser le téléphone portable qu’il m’avait offert le soir ce notre première rencontre. Tremblante, je composai son numéro. Il laissa sonner plusieurs fois puis, sa voix rocailleuse et répugnante faillit me faire raccrocher » (p.86)

Dans le moment de l’action romanesque, lorsqu’un auteur situe l’action dramatique de son œuvre dans une période historique connue ou dans un cycle légendaire, il est amené à choisir un moment précis de la période ou de l’histoire des événements qu’il veut montrer. Ainsi, dans « 8clos », l’auteur commence son roman avec les personnages déjà sur place où l’héroïne est déjà enceinte. C’est après qu’on apprend comment elle est tombée enceinte.

Comme on peut le remarquer, en  ce qui concerne le temps de l’œuvre et ses indices, on constate qu’il y a un certain nombre d’indices temporels qui nous renseignent sur la temporalité de l’œuvre. En effet, à la page 5, nous avons les indices portant sur le moment de la journée : « samedi trois mai, cinq heures du matin », ce qui prouve le matin de bonheur. Nous avons aussi « A huit heures du matin », les prières matinales puisqu’il s’agit d’une famille musulmane. « Le soir », à la page 57, « un soir, alors que nous dinions, un cri strident nous arracha à la jovialité qui régnait entre nous ». « La nuit », « A vingt-heures et quart, toute l’équipe repartit aux urgences », (p.58).

A travers les interventions des personnages, nous avons aussi des indications qui portent sur la temporalité des personnages. Les indications sur le passé : Nazirath qui raconte au Docteur Umar ce qui s’est passé avec la blessure de Saïd, p.175 et l’histoire de la vraie famille de l’héroïne, (p.179).

6- Point de vue personnel

C’est la première fois que j’ai lu un livre où le personnage principal n’a pas de nom. En effet, dans « 8clos », l’héroïne est identifiée par « je », ou la sœur de Saïd. L’auteure aurait-elle oublié de donner un nom à son personnage ou l’aurait-elle fait sciemment ? Mais à y voir de près, on se rend compte que l’auteure avait une idée dans la tête en ne nommant pas le personnage principal de son roman. Une idée originale et vraiment subtile. En effet, je me dis que c’est une manière pour l’auteure de permettre à toute jeune fille musulmane de 15 à 17 ans, de s’identifier à l’héroïne, puisque l’éducation musulmane a tendance à marginaliser un peu la femme à qui on impose tout, surtout à cet âge : une femme, en un mot, est un être muselé. Cette condition se retrouve dans « 8clos », où l’héroïne est effectivement réduite à subir ce que son mari veut. Nommer son héroïne, reviendrait à penser qu’il faut avoir ce nom avant d’être peut-être concernée par cette histoire. Et c’est en cela que je trouve vraiment astucieux cette volonté d’universalité, en ne nommant pas l’héroïne, puisque tous les autres personnages ont de nom. Des noms musulmans presque pour tous les autres personnages.

L’autre chose à signaler dans ce livre est le style de l’auteur. Un style simple, clair où les actions s’enchainent à une vitesse de croisière. L’utilisation abondante du passé simple rend encore ce livre vivant. La structure dramatique du livre reste constante.

Conclusion

« 8clos » est un roman très intéressant compte tenu de sa thématique. L’auteur y dénonce plusieurs injustices dont, entre autres, cette ségrégation observée dans l’éducation des enfants dans les familles musulmanes où la fille n’est pas considérée au même titre que le garçon d’une part, et le rôle que les pratiques occultes jouent dans les familles pour qu’y règne une soit disant paix, d’autre part. Si dans « Une si longue lettre » de Mariama Bâ, la narratrice Ramatoulaye a réussi à donner à ses enfants pratiquement la même éducation en ne faisant pas la différence entre les sexes, Djhamidi Bond pose ce problème qui est un handicap pour les enfants musulmans. Au-delà de ce livre, on constate que ces thèmes sont encore d’actualités. A propos des pratiques occultes, Claude Kouassi OBOE, dans « Pour une histoire de virgule & la femme minée », présentait une histoire pareille où cette fois-ci, c’est un homme qui va miner sa femme de façon occulte afin que quiconque la monte, meurt, pare qu’il la soupçonnait d’infidélité. En ce XXIème siècle, il est temps que nous nous débarrassions de certains clichés qui aliènent nos familles et vont parfois à l’encontre de nos valeurs culturelles. Djhamidi Bond a le mérite de dire haut et fort ce que vivent certaines femmes au foyer, et en silence. « 8 clos » est un livre à lire et à relire. A un certain moment donné de la lecture, il devient facile de faire le rapprochement entre la transformation de l’héroïne dans ce roman et celle d’Ebinto dans « Les frasque d’Ebinto » d’Amadou Koné après que Monique a dit qu’elle était enceinte de lui. On pourrait aussi évoquer Ahouna dans « Un piège sans fin d’Olympe Bhêly-Quenum, devenu tout autre quand Anatou l’a accusé d’assassin et de mari infidèle. L’être humain est tellement faible et fragile qu’il ne faut pas grand-chose pour qu’il quitte l’état humain pour l’état animal. Et en le devenant, c’est un autre être, c’est un être mort.

Kouassi Claude OBOE

  1. Pauvre fille! Subir tout cela à quinze ans…. Félicitations à l’auteure qui nous introduit dans le huis clos de cette famille unie par les liens du mensonge et de la manipulation. Le sort de l’héroïne ne s’est pas du tout amélioré dans le livre. Triste fin que la sienne. La femme est-elle donc condamnée au désespoir et à la souffrance sans fin?