Introduction

La guerre est l’un des phénomènes les plus marquants et les plus réguliers  de l’histoire de l’humanité. Aujourd’hui encore, elle ne manque de faire rage sous certains cieux, de plusieurs manières différentes au vu des causes qui peuvent la faire naître et qui, sont parfois traitées de justes. Cependant, la guerre peut-elle se dire légitime même nourrie par des causes « justes » ? Ahmadou Kourouma, un des plus grands écrivains que l’Afrique ait connu, raconte dans Allah n’est pas obligé, à travers le personnage de Birahima, la guerre et ses réalités sanglantes dans un ton assez comique, tout en s’inspirant de faits réels. Allons à la découverte de ce livre.

  • Bref résumé du livre

Birahima est un garçon d’une dizaine ou d’une douzaine d’années, « incorrect comme barbe d’un bouc ». Ayant abandonné les classes en deuxième année du cours élémentaire, il devient un « enfant de la rue ». A la mort de sa mère, il doit être recueilli par sa tante, Mahan résidant au Libéria. C’est en essayant de rejoindre cette tante, qu’il se retrouvera avec son oncle Yacouba, impliqué dans les guerres tribales au Libéria et en Sierra-Léone, en tant qu’enfant-soldat. Durant cette aventure, son oncle et lui vivront les réalités singulières mais surtout barbares de la guerre.

  • Etude des personnages

Birahima: personnage principal et narrateur du roman. Il raconte la guerre et sa vie en tant qu’enfant-soldat.
Yacouba alias Tiécoura : oncle indirect de Birahima, commerçant, marabout multiplicateurs de billets et  féticheur. Il vit la guerre avec Birahima en tant que féticheur successif de plusieurs chefs de guerre.

Balla : féticheur, guérisseur et plus tard beau-père de Birahima.

Bafitini : mère de Birahima, elle souffrait d’un ulcère qui l’acheva.

Mory : père de Birahima.

Moussokoroni : exciseuse et sorcière ayant excisé puis lancé un sort à Bafitini.

Issa : frère de Mory.

Mariam et Fatoumata : sœurs de Birahima.

Mahan : tante de Birahima, vivant au Libéria. Mère de Mamadou et Férima. Elle est censée recueillir son neveu Birahima.

Morifing : ex-époux de Mahan.

Sekou Doumbouya : ami et camarade d’initiation de Yacouba. Féticheur et multiplicateur de billets. Il a lui aussi vécu la guerre au Libéria et en Sierra-Léone où il a rencontré à plusieurs reprises Birahima et Yacouba.

Colonel Robert’s papa le bon : représentant du NFPL(National Patriotic Front of Liberation) à Zorzor. Il avait toutes sortes de charges dont l’encaissement des taxes de douanes dans toute la région.

Samuel Doe : ancien chef d’Etat sanglant du Libéria. Il fut tué par Johnson.

OnikaDokuiBaclayDoe : sœur jumelle de Samuel Doe, nommée par ce dernier à un haut grade dans l’armée libérienne.

Johnny Baclay Doe: filsd’Onika Baclay Doe. Il est membre de l’armée et travaille aux cotés de sa mère durant la mère.

Sita Baclay Doe: première épouse de Johnny Baclay Doe.

Monita Baclay Doe: deuxième épouse de Johnny Baclay Doe.

Rita Baclay Doe: troisième épouse de Johnny Baclay Doe.

Tête brulée : enfant-soldat.

Taylor: homme fort du Liberia pendant la guerre. Il fait partie des opposants à Doe et crée le NFPL.

Thomas Quionkpa: ami et complice de Samuel Doe. Il fut assassiné par ce dernier.

Sœur Marie-Béatrice : religieuse libérienne qui, à l’arrivée de la guerre, prit d’une main de fer la défense de son institution contre les pillards et les soldats.

Prince Johnson: troisième homme fort du Libéria pendant la guerre. Il assassina Samuel Doe.

Milton Margai:il fut le premier homme à avoir occupé la fonction de Premier Ministre de la Sierra-Léone indépendante.

Albert Margai: frère de Milton Margai. A la mort de ce dernier, il fut à son tour Premier Ministre de la Sierra-Léone.

Juxton Smith : il fit un coup d’Etat à Albert et monta au pouvoir.

Siaka Stevens : successeur de Juxton Smith aux fonctions de Premier Ministre.

Saidou Joseph Momoh : Premier Ministre ayant succédé à Siaka Stevens par coup d’Etat.

Valentine Strasser : il devint Premier Ministre par coup d’Etat à Joseph Momoh.

Julius Manada Bio : vice-président du conseil provisoire de gouvernement sous Strasser. Il fit un putsch à ce dernier et prit le dernier.

Ahmad TejanKabbah : président élu démocratiquement en Sierra Leone en 1996.

Foday Sankoh : caporal dans l’armée Sierra-Léonaise, il crée le RUF (Front Révolutionnaire Uni) et essaie de mettre fin aux régimes successifs en Sierra-Léone. Avec son armée, il prend contrôle de la partie active du pays. Il sera désigné plus tard vice-président.

Johnny Koroma :chef d’État-major de la Sierra-Léone. Il prit une part active dans la guerre Sierra-Léonaise.

Sourougou : chef de l’armée  de Johnny Koroma.

Tieffi : haut-gradé de l’armée de Foday Sankoh.

Hadja Gabrielle Aminata : féticheuse, exciseuse puis Colonel de l’armée Sierra-Léonaise durant la guerre.

Sani Abacha : ancien président du Nigéria. Il joua un rôle important dans la guerre sierra-léonaise et dans l’embargo de la CEDEAO en Sierra-Léone.

Eyadema Gnassingbe : ancien président du Togo. Il joua aussi un rôle important dans le règlement du conflit sierra-léonais en trouvant la solution qui calma les ardeurs.

Felix Houphouet-Boigny : ancien président de la Cote d’Ivoire. Il eut un rôle important dans les conflits sierra-leonais et libérien. Il se chargea de l’achat des armes pour Taylor et de leur acheminement au Libéria.

Lassana Conte : ancien président de la Guinée Conakry. Il assure la médiation de la CEDEAO auprès de la Sierra-Léone.

Blaise Compaoré : ancien président du Burkina-Faso. Il joua un rôle important dans le conflit libérien. Il se chargea de la formation de l’encadrement de Taylor et de sa bande.

Kadhafi : ancien chef d’Etat de la Libye. Il reçut nombre de personnes impliquées dans la guerre libérienne à savoir, Taylor et sa bande afin de les faire former dans son camp de formation de terrorisme.

  • Etude des thèmes
  • La guerre

Il s’agit là du thème principal de l’ouvrage. « Quand on dit qu’il y a guerre tribale dans un pays, ça signifie que des bandits de grand chemin se sont partagé la richesse ; ils se sont partagé le territoire ; ils se sont partagé les hommes. Ils se sont partagé tout et tout et le monde entier les laisse faire» P.49. Et ces hommes qui sont les protagonistes et les acteurs de la guerre, les chefs de guerre peuvent « commander et peuvent tuer sans aucune forme de procès »P.36. Lorsqu’il y a guerre, « les enfants de la rue comme moi devenaient des enfants-soldats »P.41. La guerre pervertissait les enfants et leur enseignait les choses les plus ignobles qui soient, comme violer, voler, tuer, consommer des drogues et autres stupéfiants, massacrer. Par exemple, « pour devenir un bon petit lycaon de la révolution, il faut d’abord tuer de tes propres mains, tuer un de tes propres parents (père et mère) et ensuite être initié » P.177. La guerre servait aussi de fonds de commerce. « Avec la guerre, les marabouts multiplicateurs de billets ou devins guérisseurs ou fabricants d’amulettes gagnaient plein d’argent et de dollars américains. Ils gagnaient trop d’argent parce qu’il ne restait plus que des chefs de guerre et des gens qui ont trop peur de mourir »P.36. Quand un pays est en guerre, les besoins de base (l’argent, la nourriture,…) manquent cruellement. Pour cela, « les soldats-enfants et les soldats, pour se nourrir et satisfaire leurs besoins naturels, vendent au prix cadeau tout ce qu’ils ont pris et ont gardé…De l’or au prix cadeau, du diamant au prix cadeau, des 4×4 cadeaux, tout et tout au prix cadeau. Et quand tout est au prix cadeau dans un pays, les commerçants affluent vers ce pays »P.50. Au final, la guerre a toujours une conséquence inévitable et populaire : elle fait « beaucoup de morts »P.145.

  • L’Afrique des coups d’Etat

La Sierra-Léone, à l’instar de plusieurs Etats africains, a connu une multitude de coups d’Etat peu après son indépendance. De Juxton Smith à Foday Sankoh, « les coups d’Etat en chapelet se succédaient »P.164. « Quand le dictateur détenteur du pouvoir devenait trop pourri, trop riche, un militaire par un coup d’Etat le remplaçait. S’il n’était pas assassiné, le remplacé sans demander son reste s’enfuyait comme un voleur avec le pognon »P.164. Et ce fut ainsi de longues années durant, un peu partout en Afrique.

  • La pratique religieuse en Afrique

Par pratique religieuse, on pourrait comprendre la manière dont la religion est pratiquée. L’auteur en parle assez dans son ouvrage. L’africain se disant croyant, qu’il soit musulman ou chrétien, dans la pratique de sa religion, associe souvent les croyances et cultes endogènes africains. Ainsi il n’est pas étonnant de voir en Afrique un croyant avoir recours aux services d’un marabout ou d’un féticheur. A Togobala, « Balla était le seul Bambara, le seul cafre du village…Aucun villageois ne devait aller chez lui. Mais en réalité, tout le monde entrait dans sa case la nuit et même parfois le jour parce qu’il pratiquait la sorcellerie, la médecine traditionnelle, la magie et mille autres pratiques extravagantes »P.14. D’ailleurs, Prince Johnson  «était profondément chrétien…Il avait un féticheur chrétien. Dans les recettes de ce féticheur, il y avait toujours des passages de la Bible et toujours la croix qui trainait quelque part. Johnson était heureux de rencontrer Yacouba, un féticheur musulman »P.132. Et comme en Afrique, la foi n’oblige point le croyant à renier les croyances ancestrales et endogènes,  même un fieffé de cardinal comme le Colonel Papa le bon fut « très heureux d’avoir un grigriman »P.72.

 

  • Les effets néfastes de la consommation des drogues par les jeunes

Il s’agit là d’un sujet qui est toujours d’actualité car plus aujourd’hui qu’autrefois, les jeunes consomment toutes sortes de drogues. Durant la guerre, les enfants-soldats consommaient de la drogue en forte quantité qui « les rendait aussi forts que des vrais soldats »P.84. Mais si ici, le contexte diffère, les conséquences sont les mêmes. Fati, comme tous les enfants-soldats filles ou garçons, abusait du hasch (drogue) et en voulant tirer en l’air pour effrayer des enfants, «comme elle était dans les vapeurs, elle les a bien mitraillés avec son kalachnikov »P.93.  Sarah aussi, un enfant-soldat, après avoir consommé du hasch en forte quantité est devenue lunatique et « a vidé sur chargeur sur Tête brulée. Heureusement elle était dingue et ne voyait plus rien. Les balles sont parties en l’air »P.87.

  • Le racisme ethnocentrique

Il peut se définir comme le mépris d’une ethnie par une autre qui se dit supérieure à cause de son histoire, de sa culture ou de ses valeurs.

En Afrique, parfois dans un même pays, le racisme ethnocentrique sévit et par cela, certaines personnes se voient rejetés d’une communauté parce qu’elles sont issues d’une ethnie considérée comme inférieure. L’auteur schématise ce phénomène dans son ouvrage. « Les Malinkés les (gyos, ndlr) appellent les bushmen, des sauvages, des anthropophages…parce qu’ils ne parlent pas malinké comme nous et ne sont pas musulmans comme nous »P.59. Parfois ce racisme pouvait aller d’un simple rejet ou d’une exclusion à des menaces voire des actes de violences. « Les Yacous et les Gyos étaient les ennemis héréditaires des Guérés et des Krahns. Guéré et Khran sont les noms d’autres nègres noirs africains indigènes d’une autre région du foutu Libéria. Quand un Krahn ou un Guéré arrivait à Zorzor, on le torturait avant de le tuer »P.71.

Conclusion

« Il y eut du sang, de nombreux morts » (P.144) : c’est le bilan de chaque guerre. Et pour toutes ces vies qu’elle menace, pour tout ce sang qu’elle fait couler comme l’eau d’une rivière, les massacres et la faim qu’elle profile, la guerre est indubitablement une chose à éviter, quand bien même les causes qui la nourrissent paraissent justes. Quand il y a la guerre, la vie n’a plus de sens. L’homme doit comprendre que l’autre est son frère et voir en lui sa propre personne. Vivement une prise de conscience des uns et des autres pour le respect de la dignité humaine. Quand il y a la guerre, personne n’est en sécurité.

Ariel MIGAN