Il est de ces livres qu’on lit avec plaisir mais dont le partage vous prend un bout de temps parce que les événements et même le titre vous intriguent et vous mettent dans un sempiternel questionnement: « Comment le miel peut-il être amer? »
« Amer comme Miel » est un recueil de nouvelles publié en 2017 chez Taka Éditions. Il est écrit par Antonin Amangbé Kanlinsou, Béninois, Professeur Certifié de Lettres Modernes dans les lycées et collèges. Cet ouvrage est sa première signature littéraire. Composé de quatre truculentes nouvelles, ce recueil vous plonge dans un univers presque réel où les personnages principaux, typiquement béninois, sont en proie à des souffrances et des douleurs diversement mises en relief selon le contexte et le thème choisis par l’auteur. Dans la première nouvelle baptisée « La plaie » (pages 11- 53), un couple qui, malgré sa bonne volonté n’arrive pas à avoir d’enfant, décide de consulter le Fâ dans quatre différents lieux mais n’obtient à chaque fois que la même réponse, le même « Du » : il faut que le couple ait la bénédiction de la mère de l’homme. Mais comment retrouver une mère après plus 20 ans d’abandon et pourquoi une mère qui a délaissé son enfant tout nu à ses paternels mérite-t-elle ce genre de grâce ? Ne peut-on renier une mère? Sous un autre angle, l’auteur à travers la deuxième nouvelle « le champ de mon beau-père » (page 54-80), nous confirme l’utilité d’un parent dans la vie d’un homme surtout en Afrique. Il relate l’histoire d’un jeune homme, Akomagnon, à qui son futur beau-père demande de labourer son champ. Akomagnon, à raison, prend la demande comme un défi. Le beau-père voulait en réalité s’assurer qu’il a une famille qui l’accompagnerait dans sa démarche et que le lien qui lierait sa fille et lui lierait aussi les deux familles. Grâce à sa générosité, Akomagnon réussit à réunir plutôt de nombreux amis qui l’aident à exécuter la demande. Cette situation de Akomagnon qui vivait presque » sans famille » déplait à Akognon, le beau-père qui devant toutes les aides d’Akomagnon donne son verdict: <<Une femme ne se marie pas à un individu mais à une famille>>, page 80. << Les amis valent-ils mieux qu’un parent ?>>page 78. Cependant, va t-il lui refuser d’accorder sa fille pour ce motif?
La conclusion que vous retiendrez après la troisième nouvelle » Ah l’homme! » (page 81-106) est que l’Homme est mauvais, voire méchant. A travers cette nouvelle, on est convaincu que placer un enfant chez d’autres est l’une des erreurs les plus graves que pourraient commettre des parents. En aucun cas, le défaut d’argent ne saura justifier tout ce qu’a enduré Cossiwa chez sa tante inféconde. Bastonnades, insultes, nuits à jeun, suspicion de vol. Tant de malheurs. Elle croit pouvoir échapper au mal quand elle tombe sur un vieux gardien qui l’héberge abuse correctement d’elle. Avec chance et tact, s’enfuit, mais ailleurs est-il toujours mieux? Le mal ronge le monde et les enfants ont le droit de vivre près de leurs parents. Il est grand temps pour que tout le monde défende les enfants surtout les filles en proie au phénomène de Vidomegon « enfant placée« . À peine, vous vous soutirez du monde douloureux de Cossiwa que celui des étudiants de notre pays le Bénin vous interpelle: le chômage. L’auteur s’y intéresse dans sa quatrième nouvelle « L’énigme« (page 107- 128). Cette histoire est un dialogue entre un étudiant et son père au sujet du chômage et du système éducatif. Pourquoi tout le monde cherche à devenir « akowé » alors que pour développer un pays et soi-même, il vaut mieux s’investir dans une activité libérale sans attendre l’État? L’État peut-il tout faire? Évidemment que non. << on travaille par passion comme on travaille par intérêt… A défaut de gagner ma vie dans mon métier, j’y gagnerai en inscrivant mon nom en lettres d’or>> page 128. Telle doit être l’interpellation de cette dernière nouvelle pour tous. On ne vit pas pour dépendre des autres, on vit pour travailler, se construire.
Antonin Amangbé Kanlinsou
Cet ouvrage a le mérite d’embraser des thèmes importants de la société béninoise en particulier et celle africaine en général. De l’importance d’une mère à celle de la famille, du phénomène d’enfant placé à celui de chômage, on est captivé par le style de l’auteur qui, ancré dans sa culture, traduit certaines paroles fortes de nos langues locales en français pour contextualiser son ouvrage. Il faut noter que certains détails et erreurs ont échappé à l’éditeur et à l’auteur, mais cela n’entache en rien la richesse littéraire de cet ouvrage. « Amer comme Miel? » La douleur et la souffrance au cœur de notre société. On en fait le pari ? Prenez cet ouvrage et buvez-le. Vous ne serez pas déçus. Dans la gorge, l’oxymore peut avoir un gout de nectar. A votre plaisir, prêts, attaquez ce livre.
Amoni BACHOLA