« Je considère que certains mouvements féministes sont trop violents dans l’action et dans le verbe. On peut revendiquer mais respecter l’autre. » Ainsi s’exprime, chers amis de Biscottes Littéraires, l’écrivaine que nous recevons pour vous aujourd’hui. Elle s’appelle Arlette PUJAR et se définit comme suit : »Martiniquaise, d’origine africaine, européenne, caribéenne et indienne, je suis plurielle et multiculturelle. Mon combat est celui de l’acceptation de l’autre. « 

BL : Bonjour madame Arlette PUJAR. C’est un plaisir et un honneur pour nous de vous recevoir sur notre blog. Votre CV est long et impressionnant. Nous ne saurions le décliner ici sans peut-être manquer de l’écorcher. Nous vous laissons donc le soin de vous présenter à nos lecteurs.

AP : Martiniquaise, d’origine africaine, européenne, caribéenne et indienne, je suis plurielle et multiculturelle. Mon combat est celui de l’acceptation de l’autre. Du don et du contre-don. De l’amour et de l’amitié entre les hommes et les femmes.

BL : Parmi les nombreux et grands titres auxquels vous prévalez, celui d’écrivaine fait l’objet de notre intérêt. Comment est né cet attrait pour l’écriture et depuis quand écrivez-vous?

AP : Tout d’abord dans mon activité professionnelle l’écriture est capitale. Ensuite j’ai poursuivi des études universitaires où l’écriture là aussi est importante. J’ai eu à rédiger une thèse de droit public de plus de 400 pages, des articles scientifiques, deux participations à des ouvrages scientifiques. Je ne suis venue à l’écriture romanesque que depuis cinq ans avec la parution de mon 1er ouvrage : Vinivann, la boutique de Manzel Yvonne et puis de mon second, Suzanne, une trajectoire de vie. J’avais préalablement écrit une nouvelle intitulée, une journée dans la boutique de Manzel Yvonne pour lequel j’ai obtenu un prix littéraire.

J’ai également remporté un prix de poésie sur le thème de la différence.

 BL : D’où tenez-vous l’inspiration ?

AP : J’écris en permanence sur de petits carnets avant de tout retranscrire sur mon ordinateur. Tout m’inspire, mon environnement, la fréquentation de lieux où se trouvent de nombreuses personnes que j’observe, des scènes de vie, des paysages….

BL : Quelle(s) mission(s) assignez-vous à vos écrits?

AP : J’écris des romans/essais, c’est-à-dire des ouvrages à thèmes qui interrogent les lecteurs. Ils ont besoin de rêver mais aussi de se projeter dans un avenir plus ou moins proche. Je m’intéresse à la transmission sous toutes ses formes. La connaissance de notre histoire est capitale pour structurer des individus.

BL : Comment appréciez-vous l’univers littéraire martiniquais ?

AP : Je suis ravie de constater que depuis quelques années l’univers de la littérature martiniquaise se féminise de plus en plus. La qualité est au rendez-vous : romans, essais, poésies, jeux de société, bandes dessinées… textes en langues étrangères et/ou langue des signes. Les femmes osent montrer leurs talents, osent transmettre et savourer leurs récoltes.

BL : Quelle place les femmes y occupent-elles ?

AP : De plus en plus, la littérature martiniquaise se féminise. Le train est assez rapide. Maryse CONDE, la guadeloupéenne a obtenu le prix alternatif de littérature, une première dans les outre-mer.

BL : Pour vous qui êtes née et avez grandi en France, comment s’est fait le retour aux sources martiniquaises?

AP : Je suis née en Martinique mais j’ai quitté mon île à l’âge de 3 ans. Le retour aux sources martiniquaises s’est produit à l’âge de 20 ans sans aucun problème d’intégration. L’envie était très forte de découvrir la Martinique et de me fondre dans le paysage. J’ai simplement pris conscience que mon pays était la Martinique et non la France, ma couleur de peau devait être une fierté et non un handicap.

BL : Quels sont vos rapports à l’Afrique, continent auquel vous lie l’histoire ? L’appel des terres où tout a commencé résonne-t-il à vos oreilles ?

AP : Mon premier séjour en Afrique a eu lieu en 2000 à Gorée dans le cadre du festival culturel où je me suis rendue en compagnie d’élus. A l’issue des conférences en matinée, j’ai pu participer aux visites de l’île et à des expressions théâtrales et musicales. Je n’ai pas tout de suite ressenti l’appel des terres, cela s’est produit de façon progressive. J’ai envie de dire avec pudeur.

BL : Vous étiez au Bénin en Septembre 2019. Veuillez nous raconter votre séjour.

AP : Invitée à participer au 1er salon du livre de Cotonou, j’ai passé un excellent séjour, riche par l’accueil qui m’a été réservé et par la chaleur de la population. Je faisais partie de la délégation des auteurs de Martinique composée de Jala LAFONTAINE, Sandrine ANDRIVON MILTON, Euphrasie CALMONT, Djozer et Jude Duranty.

Les rencontres se sont tenues du 25 au 28 septembre 2019 au Palais des sports de Cotonou et à l’Université de Cotonou en présence de nombreux auteurs venant du Sénégal, de Côte d’Ivoire, du Cameroun, du Burkina-Fasso, du Togo,  de France, de Guadeloupe et  de Martinique.

Nous avons participé activement aux ateliers et conférences durant la manifestation qui ont porté sur la littérature féminine contemporaine et défis actuels, facilités de production, disponibilité et accessibilité pour le public des livres pour enfants, la littérature au service des patrimoines et du tourisme., grande rencontre des auteurs africains de la diaspora et afro-descendants.  Et nous avons pu bénéficier de cours en langue FON assurés par un professeur d’université.

En marge de la manifestation nous avons pu découvrir la ville de Cotonou, de Ouidah et de Ganvié.

Les auteurs africains et antillais ont plus de points communs que de différences. Il fallait pouvoir rapprocher les deux mondes littéraires.

Voyage mémoriel vers le Bénin, une terre marquée par la traite négrière et l’esclavage de milliers d’africains déportés vers l’archipel des Antilles. Il y a plusieurs siècles, visite de OUIDAH et du village lacustre de Ganvié.

Visite de lieux symboliques : place aux enchères, l’arbre de l’oubli, le fort portugais (ancien entrepôt négrier). La porte du no- retour, monument érigé par l’UNESCO à la mémoire des africains livrés comme esclave.

J’ai capté l’énergie de l’Afrique, et recherché nos racines.

BL : Avez-vous quelque opinion des mouvements féministes qui défraient la chronique ces dernières années ?

AP : Je considère que certains mouvements féministes sont trop violents dans l’action et dans le verbe. On peut revendiquer mais respecter l’autre. J’ai eu la chance de rencontrer Angéla DAVIS à l’occasion de son séjour en Martinique. Ce fut un grand moment d’émotion.

BL : De quel féminisme vous réclamez-vous ?

AP : Je me réclame d’un féminisme constructif ouvert à tous et à toutes sans passion, sans agressivité, dans l’Amour. Je revendique l’égalité professionnelle Femmes/hommes qui, malgré les textes de lois n’est pas encore rentrée dans les mœurs.

BL : On ne saurait parler du féminisme aujourd’hui sans évoquer le 08 Mars, Journée Internationale de la Femme. Que pensez-vous d’une telle journée ?

AP : Mon opinion sur la journée internationale des droits des femmes, est toute simple. Il ne s’agit pas d’une fête ! Il ne s’agit pas d’offrir des fleurs aux femmes ce jour-là en leur disant « bonne fête ».

Il s’agit d’un jour mémoriel où les femmes et les hommes doivent prendre conscience de leur place dans la société, des valeurs éducatives transmises aux jeunes, des talents sexués, des budgets  »  genrés« , des avancées sur tous les plans (métiers, salaires, mérites…).

Le 8 mars pour ma part, c’est tous les jours ! Je mène ce combat de l’égalité professionnelle Femmes/Hommes et non pas d’agressivité les uns contre les autres. Je milite pour que tous les métiers soient conjugués au féminin, de façon à ce que tout le monde s’acculture de cette possibilité de dire Ingénieure, doctoresse, directrice, cheffe de service, oui c’est possible. La législation française fait obligation aux collectivités de rédiger chaque année un rapport indiquant toutes les actions mises en place pour faciliter l’exercice des métiers « genrés« . Le combat est long et difficile car les habitudes sont profondément encrées dans les mémoires  un chef ne peut être qu’un homme, un responsable, un homme politique…. Il faut détricoter tout cela et dès l’école primaire mettre des images positives en face des jeunes. Oui une femme peut exercer tous les métiers dits masculins avec compétence et sérieux. La preuve : de nombreux métiers aujourd’hui : pilote d’avion, générale d’armée, chirurgienne, cosmonaute….

Au niveau de la littérature, les personnages doivent être également mis en avant pour démontrer qu’une histoire est possible conjuguée au féminin !

Il y a beaucoup à dire sur les jouets du style poupées et déguisements pour les filles, en rose de préférence et des jouets masculins, armes à feu, déguisement militaire, camion et voitures… Je m’arrête là !

BL : Parlez-nous de la genèse d’ »Une journée dans la boutique de Manzel Yvonne ».

AP : Cette nouvelle a été écrite grâce aux conseils précieux d’un écrivain du nom de Pierre PINALIE, paix à son âme, il nous a quittés depuis plusieurs années. Ce dernier m’a conseillé d’écrire et de commencer par un camarade. Il avait eu une vision qui me montrait en haut de l’affiche !

BL : Après lui avoir consacré une nouvelle vous avez décidé par la suite d’écrire un roman sur la même Manzel Yvonne. Pourquoi ce choix ?

AP : Tout simplement parce que l’obtention du 1er prix de la nouvelle m’a permis de me fortifier et d’avoir confiance en moi. L’annonce de cette distinction à Pierre PINALIE l’a ravie de joie et il m’a fortement conseillé de prendre la nouvelle et d’en faire un roman en me laissant guidé par mon inspiration. Ce fut un excellent moment pour moi.

BL : Pourquoi écrire un livre sur la Martinique des années 1960? Quel en est l’intérêt pour la génération actuelle ?

AP : J’ai souhaité écrire sur les années 1960 jusqu’à la période contemporaine. Nous avons très peu de livres écrits par des martiniquais pour des martiniquais évoquant notre histoire. Il est important que nous puissions écrire par –nous-mêmes et révéler nos sentiments. L’intérêt pour la génération actuelle c’est de se projeter à 5 voir à 10 ans. Cette force provient de la prise de conscience que nous sommes capables de nous construire autour de nos valeurs.

BL : Vous y traitez des sujets tels que le mode de vie des gens d’alors, les relations interpersonnelles, l’immigration entre les Antilles et la France. Parlant d’immigration, quel avis en avez-vous, notamment sur la manière dont cela se passe actuellement ?

AP : Nous sommes tous et toutes des migrants en puissance. Je demeure persuadée que de plus en plus nous aurons à accueillir des migrants climatiques. Nous devons nous y préparer et apprendre à bien recevoir les migrants qui pourront nous aider dans l’avenir.

BL : Votre deuxième livre est tout autant impressionnant et fort bien accueilli par le public : « Suzanne ». Vous aviez certainement des relations étroites avec le personnage éponyme….

AP : J’ai connu Suzanne, résidente d’un établissement d’hébergement pour personne dépendante à l’occasion d’une séance de remise de cadeaux. Parmi les fauteuils, les déambulateurs, les cannes, j’ai aperçu un petit bout de femme qui s’activait autour des plateaux de friandises.

Nous sommes tombés d’amour comme disent les canadiens. Une grande amitié est née sans que nous ayons des rapprochements privilégiés.

BL : Quand on lit « Suzanne « , on ne peut qu’aimer le personnage. Quel a été le secret de votre réussite peindre ce personnage et à le faire aimer au lecteur comme s’il cheminait et conversait avec lui ?

AP : Je pense que Suzanne a guidé ma plume tout simplement. Elle qui n’a pas connu l’amour d’une famille, a donné en retour beaucoup d’amour aux autres et notamment au personnel médical et administratif qui s’est occupé d’elle tout au long de sa présence en institution.

BL : Finalement Suzanne n’aura jamais vécu le bonheur d’être aimée réellement malgré tout l’amour qu’elle dégage et qu’elle distribue à foison. Sa vie n’aura-t-elle été qu’un échec ? Suzanne, une vie inachevée ?

AP : Suzanne a su développer une résilience, une belle leçon de vie tout au long de son existence. Elle avait appris à ne jamais se plaindre, à tout accepter avec le sourire et à donner aux autres. Sa générosité a porté ses fruits puisqu’elle a reçu beaucoup d’amour et de tendresse de personnes qui ont eu la chance de la côtoyer. Sa chambre où elle a séjourné plus de 30 années, était décorée avec amour et elle ne manquait de rien. Elle aidait le prêtre à l’office religieux et elle priait pour tous les résidents qui souffraient pour les aider à partir dans la joie.

BL : Elle est décédée après la publication de ce livre qui retrace sa vie. Comment l’a-t-elle reçu ?

AP : Elle avait souhaité que j’écrive ce livre pour rendre avant tout hommage au personnel qui l’a tant aimé. J’ai pu lui lire des extraits du livre et elle m’a demandé de mettre sa photo en couverture et d’intituler le livre « Suzanne ». Je me suis autorisée à ajouter un sous-titre : « une trajectoire de vie, an didan, an dewo », ce qui signifie en créole : à l’intérieur et à l’extérieur. J’ai considéré qu’elle m’avait transmis ses secrets mais qu’elle avait pris soin de garder pour elle certains passages douloureux de sa vie.

BL : Les personnes du troisième âge sont vues de plus en plus comme un poids pour les familles. Et pourtant elles constituent une source d’expériences et d’enrichissements. Comment arrivez-vous à les apaiser quand l’asile prend parfois pour elles le sens de l’exile, de l’abandon et du rejet ?

AP : Les sociétés occidentales considèrent en effet les personnes âgées comme des personnes qui n’ont plus leur place dans l’activité économique et sociale. C’est la raison pour laquelle les EHPAD fleurissent partout. Les familles ne prennent pas soin des aînés. Il conviendrait au contraire de prendre soin des aînés et de leur donner un statut particulier qui permettrait de retenir leurs savoir-faire, leurs potentiels et la nécessité de profiter de la durée de l’espérance de vie pour traduire et capitaliser leur présence parmi nous.

BL : Parlez-nous de vos projets littéraires.

AP : Je suis en train d’écrire mon 3ème ouvrage qui portera sur l’existence du 1er lycée en Martinique du nom de lycée Schoelcher. Il s’agit pour moi de faire revivre des souvenirs du passage des élèves, qui souvent sont devenus des enseignants, dans ce temple du savoir. Que sont-ils tous devenus ? Voilà la question que je me suis posée. Pourquoi aujourd’hui les élèves n’ont plus de respect et de reconnaissance envers leurs enseignants ? Que s’est-il passé ? Pourquoi nos valeurs se sont-elles diluées ?

BL : Votre portrait chinois à présent :

  • Un héros ou une héroïne ?
  • Une héroïne : Michelle OBAMA
  • Un personnage historique ?
  • Nelson MANDELA
  • Un auteur favori ?
  • Denzel Washington
  • Un animal ?
  • La girafe
  • -Un plat préféré ?
  • Dombrés de crevettes
  • – Une qualité principale ?
  • La générosité

BL : Merci Mme PUJAR pour votre disponibilité. Votre mot de la fin.

Je remercie sincèrement le blog Biscottes Littéraires. J’ai une pensée spéciale pour tous mes lecteurs. Je voudrais informer les uns et les autres que mon livre « Vini vann, la boutique de Manzel Yvonne » publié chez Kéditions, est disponible sur le sitewww.keditions.com. Pour se le procurer, il suffit simplement de passer commande en ligne ou à Paris Chez L’Harmatan, rue des écoles ou à Présences Africaines, rue des écoles à Paris. Pour tous ceux qui voudraient e procurer  « Suzanne, une trajectoire de vie, an didan, an dewo », publié chez Sydney Laurent, passer commande : AMAZON, FNAC, CULTURA, Espace culturel E. Leclerc, Cdiscount, Chapitre COM, DECITRE. Je voudrais ajouter, pour finir ceci : « Que tous les enfants du monde grandissent dans l’amour et la paix. »