Introduction

Tant de poèmes à sa gloire, tant de récits de ses exploits, tant de chants pour le célébrer. Des grands poètes aux griots les plus éloquents, ils sont nombreux les auteurs qui n’ont point tari d’inspiration pour magnifier Béhanzin, ce héros d’hier et d’aujourd’hui, cet illustre roi dont on conte encore la bravoure. Joseph Amegboh n’a pas été du reste. Il a senti la nécessité d’arracher à l’oubli et à l’oralité l’épopée de ce roi unique, et s’est mis à l’écriture de ce livre intitulé  » Béhanzin roi d’Abomey ». L’œuvre est parue chez  » les Nouvelles Editions Africaines » en 1983 et couvre 111pages. Sans doute très épris du récit de ses moult prouesses, l’auteur-historien s’est plié à la noble tâche de restituer et d’écrire une énième fois la passionnante histoire de la vie et du règne du roi-dieu. Pour présenter ce livre, nous partirons du résumé pour aboutir aux jugements personnels en passant par l’étude thématique et celle des personnages.

I-Résumé

XlXè siècle. Vieux de plus d’une centaine d’années, le royaume de Danhomey qui s’étend d’Abomey sa capitale à Ouidah et Cotonou était grand et prospère. De nombreux et illustres rois s’étaient succédé à sa tête et chacun à sa manière en avait jusque-là fait un royaume puissant, craint par tous ses voisins. Par ce mois de décembre 1889, les nouvelles ne sont cependant pas très bonnes à Abomey. Pour cause, le roi Glèlè, vieux et fatigué vivait ses derniers jours. Dada Glèlè, le pacifique mais aussi l’auteur de célèbres razzias à Kétou et en pays mahi, l’ami des Blancs qui avait laissé aux Français, aux Allemands, aux Anglais et aux Portugais libre accès à ses territoires pour le commerce, allait s’éteindre. Tout le royaume retenait son souffle. Informés de la nouvelle, les Français qui avaient enclenché avec le monarque des négociations pour qu’il leur cédât Cotonou s’en furent en toute hâte à Abomey boucler le marché. Mais surprise, ils ne purent rencontrer le roi alité mais plutôt son héritier et successeur désigné Kondo, le futur Béhanzin. Le jeune Kondo qui, très tôt avait été initié à la gouvernance, ne voyait pas d’un bon œil ces Blancs à qui son père offrait une trop grande liberté à son goût. Ceux-ci se permettaient le vilain luxe de juger les traditions dahoméennes et non contents de cet affront formulaient désormais l’idée d’installer à Cotonou un bureau de douane pour percevoir des taxes pour le compte du gouvernement français. Aussi osaient-ils réclamer que cessassent les attaques répétées de Dahomey contre le royaume voisin de Porto-Novo à la tête duquel régnait le <<traître>> Toffa ,originaire comme Glèlè d’Adja Tado et qui s’était mis sous protectorat français. Davantage irrité par l’audace désinvolte des Français et de leurs propositions, Kondo refusa bien évidemment de signer le traité proposé et renvoya Jean Bayol et son interprète Xavier Béraud qui toute suite virent en le jeune prince un ennemi avec lequel la France devra compter. Entre temps Glèlè mourut ou du moins « partit en voyage » accompagné d’une multitude d’esclaves et d’épouses désignés pour l’accompagner dans la mort. Kondo fut intronisé roi à sa place et se choisit le nom Gbè-han zin aï djrê <<le monde tient l’œuf que la terre désirait>>. Force sacrifices humains et animaux furent immolés à l’occasion. De leur côté, les Français avec à leur tête Jean Bayol, gouverneur et médecin français décidèrent de se moquer de la position de Béhanzin. A partir de Janvier 1890 de nombreux navires français investirent la côte de Cotonou. De plus, des espions de Béhanzin avaient surpris des conversations des Blancs où il était clairement question d’arracher au Danhomey le contrôle de Cotonou. Comble de la provocation, Bayol ordonna l’enlèvement des « agorigans » Ouèkètomé et Assavédo, respectivement chefs territoriaux de Cotonou et de Ouidah. Excédé par cet énième affront, Béhanzin, jusque là patient, réunit son conseil et décida de partir en guerre malgré la désapprobation de l’oracle. Entre temps, les français, toujours aussi impudents avaient commencé à raser Cotonou et à en brûler les cases .C’en était trop. Béhanzin et ses troupes composées de plusieurs milliers de guerriers et d’Amazones décidèrent enfin de riposter. La riposte fut double. D’une part ils séquestrèrent un groupe de français à Ouidah avant de lancer d’autre part une violente attaque contre les installations françaises le 4 mars à Cotonou. La bataille fut sanglante: on compte 600 morts et plus de 1000 blessés dans les deux camps. Terrifiés par la violence de la riposte, Jean Bayol et le commandant Terrillon réclamèrent des renforts pour pallier à toutes attaques futures. Forts de leurs nouveaux renforts, les français revinrent à la charge et brûlèrent plusieurs villages des rives de l’Ouémé. S’avançant dangereusement vers Danhomey, ils rencontrèrent une résistance si farouche que Oulard, le capitaine du navire bombardier commandé par Terillon, en perdit la vie. Ce nouvel échec provoqua la chute du sulfureux Jean Bayol et de Terrillon. Mais leurs successeurs toujours aussi passionnés par la guerre lancèrent de nouvelles attaques. Béhanzin riposta cette fois-ci en attaquant le 25 Avril 1890 un territoire Porto-Novien, Atchoukpa. La défaite infligée aux troupes françaises bien que aidées des guerriers de Toffa fut cinglante. La bataille terminée, Béhanzin se servit des otages français enlevés à Ouidah et emprisonnés à Allada pour obtenir une trêve. Aussi se lia-t-il d’amitié avec le père Dorgère, l’un des otages qui, opposé aux velléités colonisatrices de la France, décida de négocier définitivement la paix entre Danhomey et le gouvernement français. Plusieurs médiateurs furent envoyés par Paris à Abomey mais malgré leurs bonnes paroles, le roi qui subodorait un piège français resta sur ses gardes et se fit livrer d’importantes cargaisons de fusils allemands. Il n’aura pas eu tort .Dès le 28 Mars 1892 de nombreux navires français accostèrent à Cotonou. Ils transportaient quantité d’armes et de munitions mais aussi des renforts militaires. A leur tête, le colonel Dodds missionné par Paris pour dompter Danhomey préparait ses troupes. Face à la résistance persistante de Béhanzin, la guerre est déclarée depuis Paris. Le 18 juillet 1892 l’armée de Dodds s’ébranle et avance résolument sur Abomey. Toujours aussi combatifs, Béhanzin et son armée résistèrent tant bien que mal à l’avancée des troupes françaises. Mais celles-ci fortes de 7 compagnies d’infanterie, 800 légionnaires et de 2 escadrons de spahis sénégalais bravèrent les assauts des Danhomènous. Le 13 octobre elles atteignirent le camp d’Akpa,porte d’entrée de Canal ,la ville sainte de Danhomey où étaient enterrés tous les rois. Acculés, Béhanzin et sa bande diminués de nombreux et braves soldats décidèrent de brûler Cana et le palais d’Abomey afin qu’une fois la ville atteinte, les Français ne trouvassent sur place que ruines et désolations. Ceci fait, Béhanzin alla se cacher dans une clairière près d’Atchérigbé, entourés d’une poignée d’amazones, de quelques ministres fidèles, de ses 5 épouses, de ses fils Kpotassi et Ouanilo et de son fidèle ami Gnimavo. Dodds parvint enfin à Abomey le 7 novembre et à la place du majestueux palais, ne trouva qu’un amas de pierres. Abomey ainsi pris, Dodds y planta le drapeau français et fit introniser Goutchili, frère aîné et ancien chef de guerre de Béhanzin, n’en déplaise aux Danhoménou qui continuaient de vénérer Béhanzin, le roi-dieu. Ce dernier ayant renvoyé ses ministres et soldats, décida de se rendre aux Français pour que son peuple recouvre la paix durable. Avec ses épouses, ses 2 enfants et Gnimavo, il fut déporté en Martinique et interné au fort Tartenson. Vieux et malade, Béhanzin fut par la suite transféré en Algérie où il mourut 1 an plus tard en 1906 à l’âge de 64ans.

II- Étude des personnages

La trame du livre a été tissée autour d’une belle pléthore de personnages (authentiques) aux rôles distincts.

*Kondo devenu Béhanzin : il est incontestablement le héros du livre. Homme noir et trapu, le roi de Danhomey était totalement différent de son feu père Glèlè .<<Plus grand, plus fort, mais surtout plus impérieux et plus dur>>, le roi-dieu adulé et vénéré dégageait une aura qui faisait trembler Blancs et Noirs. Décidé à ne pas prêter flanc aux velléités colonisatrices des Français, il mena contre ces derniers une guerre sans merci, leur infligeant défaite sur défaite avant de se voir lui-même obligé de se rendre aux colons français qui le déportèrent en Martinique puis en Algérie où il mourut en 1906 de vieillesse et de maladie.

*Ses ministres

  • Yévogan: chargé des affaires étrangères
  • Migan: bourreau et sacrificateur
  • Gaou: général de l’armée et ministre de l’intérieur
  • Mèhou: interprète et porte-parole du roi

*Autres dignitaires et personnalités importantes du royaume

  • Kpanligan: griot et crieur public
  • Houkpatin: Architecte
  • Zinzindohoué, Kinvo, Vilon, Goutchili, Tokpo, Setondji: Princes du royaume, frères du roi
  • Etchiomi: favorite du roi
  • Ouanilo: fils du roi
  • Kpotassi : fille du roi
  • Gnimavo: meilleur ami du roi, lié à lui par un pacte de sang
  • Naga: sœur d’Etchiomi et générale des Amazones
  • Les Amazones : vouées à la chasteté, ces femmes guerrières et chasseresses, braves et impitoyables comptent parmi les 15500 soldats qui peuplent l’armée danhoméennes

*Assavédo et Ouékétomé: chefs territoriaux de Ouidah et de Cotonou

*Chef Adongbé: chef de guerre de Béhanzin

*Nougbodohoué: devin du royaume

*Les Colons

  • Jean Bayol : médecin français et gouverneur des Rivières du Sud. Cet homme sulfureux et hautain méprisait les Noirs. Il mena plusieurs assauts français qui se soldèrent par des revers cuisants
  • Xavier Béraud : interprète français.
  • Père Dorgère: Avec Chaudoin et Borelli, ce missionnaire catholique était l’un des 4 français séquestrés par Béhanzin en représailles à l’enlèvement des agorigans du sud

*Terrillon: Commandant puis lieutenant-colonel français, il mena lui aussi plusieurs assauts conte Béhanzin.

*Candido Rodriguez, Feliciano et Georges da Souza: Portugais et amis de Béhanzin, ils nourrissaient une certaine haine contre les Français

*Dodds: Ce métis né au Sénégal pourrait se targuer d’avoir été celui qui précipita Béhanzin dans le gouffre. C’est en effet lui qui était à la tête de la nombreuse armée qui fit capituler Béhanzin et ses troupes

*Victor Ballot: gouverneur et résident de Porto-Novo

*Angot: secrétaire du précédent

*Autres personnages

  • Toffa: cousin de Béhanzin, le roi de Porto-Novo lui aussi originaire d’Adja Tado s’est allié aux Français, s’attirant ainsi la foudre des Danhomènous qui le considèrent comme un traître.
  • Leguêdê: guerrier danhoméen
  • Zanbounou: espion danhomènou.

 

III- Étude thématique

Plusieurs thèmes jalonnent le long fleuve du roman, le secouant de leurs tumultes. Allant du colonialisme à l’esclavage, de la révolte à la guerre en passant par le sacrifice humain, ces thèmes ont épicé de part et d’autre l’œuvre. Voici une brève analyse des principaux thèmes.

*Le colonialisme: Avec l’esclavage, c’était l’un des fléaux phares de la période allant du XVllè au XIXè siècles. Ses principaux auteurs étaient les Blancs français jaloux des richesses de l’Afrique et dédaigneux de ses traditions qu’il fallait remplacer de gré ou de force par les habitudes occidentales. Pour parvenir à cette fin tous les moyens étaient bons : razzias, conquête de territoire, déportation ou exécution des résistants. Le Danhomey en a lui aussi fait les frais. Mais il n’y avait pas que les Blancs qui avaient des velléités colonisatrices. Les rois africains n’hésitaient pas eux non plus à coloniser les peuples environnants pour accroître leur suprématie. En témoigne le récit donné à la page 13 de la conquête de Kétou par Glèlè.

*L’esclavage : Bien avant l’arrivée des colons qui en furent eux aussi d’actifs acteurs, l’esclavage sévissait en Afrique. En effet, les monarques revenaient de leurs conquêtes et expéditions avec des armées entières d’hommes et de femmes, réduits à servir soit comme soldats, soit comme serviteurs ou régulièrement à être immolés lors de grandes cérémonies. Béhanzin était d’ailleurs lui aussi descendant d’une mère esclave ainsi que le prescrivait la tradition.

*Le sacrifice humain : C’était un des pires pans de la tradition dahoméenne,une coutume barbare dont l’éradication fut l’un des rares bienfaits de la colonisation. Lors de grandes cérémonies en effet, de nombreux esclaves ou condamnés à mort étaient sacrifiés puis leur sang versé sur l’autel des dieux. L’auteur en fait un récit des plus macabres à la 47è page de l’œuvre *La révolte Mue par leur courage sans faille,la révolte était l’arme fatale des Danhoménous face à la colonisation française. Sonnée par Béhanzin lui-même dès 1890, elle fut nourrie par plusieurs batailles entre Blancs et Noirs

Conclusion

« Béhanzin : roi d’Abomey » est une grande œuvre jaillie de la plume de Joseph Amegboh, brillante par son originalité car l’auteur aurait pu en faire un simple livre d’histoire plutôt qu’un roman. On ne saurait reprocher à cet ouvrage que sa quasi perfection. En effet, très informé, M. Amegboh n’a pas fait économie de mots ni de vérité dans sa retranscription romanesque de l’histoire de Béhanzin, étoffant son récit de dates précises, faisant incessamment appel aux rapports originels des expéditions françaises en terre danhoméenne. Toutefois, en jetant un coup d’œil rapide à quelques-unes des nombreuses autres œuvres qui traitent de la vie de Béhanzin, il est tout aussi aisé d’en relever les insuffisances. Comparaison n’est pas raison, mais on pourrait souligner les limites de l’auteur à réécrire les prouesses de Béhanzin de manière aussi impeccable et poignante que le fit un certain Jean Pliya qui, à travers <<Kondo le Requin >> n’a point été taciturne quant à raconter l’histoire de Béhanzin de manière aussi remarquable que fut l’existence du roi-star de l’ancien Danhomey. On pardonnera volontiers ce faux pas à l’auteur d’origine togolaise. Car quoi qu’il en soit, ce roman restera une référence historique en ce qui concerne l’histoire de l’ancien royaume de Danhomey et nous aura aidé en plus d’affermir notre connaissance de Béhanzin, à toucher aussi du doigt les sentiments et états d’âme qui furent siens. Lire un tel livre, c’est comme revivre les faits ainsi qu’ils se sont déroulés.

 

 

Junior Gbeto est étudiant en 1 ère année à l’Université d’Abomey Calavi (UAC) où il se forme en administration culturelle.