La littérature béninoise peut se targuer d’avoir des plumes prometteuses. De jeunes pousses se font remarquer et donnent l’assurance d’une moisson abondante. Et c’est avec plaisir qu’au nombre de ces étoiles montantes dans le ciel de la littérature béninoise, si distingue Grégoire FOLLY. Ce dernier vient de publier un recueil de nouvelles baptisé ‘’Blues de boue’’. L’œuvre est parue 2019 chez Les éditions Savanes. « Blues de boue » est un recueil de dix nouvelles tissées et tirées des savanes de notre quotidien tropical. Par sa plume alléchante Grégoire Folly –Enseignant de Français en fin de formation à l’Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo- balaie les coins et recoins du vécu béninois et entasse au carrefour du jugement collectif les immondices ramassées çà et là.

Résumé

Dans la première nouvelle intitulée ‘’La nuit assassine’’, l’auteur arpente le sentier clair-obscur de cette pensée poétique et mystérieuse de l’écrivain Sénégalais BiragoDiop qui, dans ‘’Le souffle des ancêtres’’ a déclaré : « Les morts ne sont pas morts ». Une assertion qui se trouve questionnée ici par Naomie. Une fille de joie qui n’a de recours que son sexe pour avoir sa pitance quotidienne. Mais les ombres de l’impasse envahiront sa vie quand elle aura à partager sa couche avec Régis, un homme sexy au penchant féminin. Une nuit pour voir le cours de sa vie bouleversé. Car abandonnée sur le drap de l’hôtel après une séance de plaisir charnel, elle apprendra que Régis était un homme mort depuis des lustres. Alors, était-ce son penchant fin et affûté pour l’entretoise féminine qui l’a ramené de l’au-delà pour se satisfaire sur la terre des vivants ?  ‘’Petit enfer d’amour’’, la deuxième nouvelle se veut curieuse sur le train de vie mené dans les couvents : les liens entre un ‘’hounnon’’ et ses fidèles. Assiba, la cause de la mort de son mari –parce qu’elle le trompait avec son chef de culte et ce dernier, voulant que cela perdure, était obligée d’éliminer le plus grand obstacle du chemin- se verra rejoindre ce dernier d’une manière horrible et triste. Alors, une question se dresse : était-ce parce qu’elle avait ‘’mis pied dans la brousse’’ ? Un mystère de chez nous qui n’a jamais cessé de nous surprendre et de nous faire poser des questions. ‘’La sirène du désert’’ met en exergue la portée de la jalousie féminine à travers les moyens auxquels la femme amoureuse peut avoir recours pour garder son homme. Floriane l’apprendra à ses dépens. ‘’La nuit est tombée sur le chaos’’ peint ce monde de la jeunesse où l’ignorance, l’innocence et le besoin d’expérimenter toute chose étalent leur chape. David, après avoir engrossé Lorna lui suggère d’avorter. D’abord réticente, elle finit par y consentir. La fin d’une  telle décision l’amènera à gémir de sang par ses entrailles à la porte de David pour rendre son dernier souffle. ‘’Le revers du Diable’’, la cinquième nouvelle caricature ces mères amères qui, pour de l’argent, sont prêtes à tout sacrifier et remettre dans les mains du sort odieux l’avenir de leurs filles. Louise, dans son agonie sur le lit d’hôtel qu’elle venait de partager avec Mr Dédji, sur l’insistance de sa mère contre une promesse d’argent, essaie de percer le mystère qu’est l’argent et qui peut pousser une mère à oublier ses souffrances de parturition, de maternité pour se plier à un veule papier. Est-ce vrai que le salut d’un être se trouve entre les mains d’un homme sur cette terre ? A qui sommes-nous et qui nous fait ? Une cohue de questions que pose ‘’L’intérieur de la mamelle’’. Une femme dont l’enfant est malade et qui par tous les saints et les ancêtres, voulait le sauver. Un brin d’espoir la conduit chez son pasteur pour une séance d’exorcisme. Mais pour que l’enfant puisse recouvrer sa santé, la réponse du pasteur fut stricte : Madame « Le rétablissement de votre fils passe aussi par l’exorcisme de votre corps » p.99. ‘’Bleues de boue’’ la nouvelle éponyme fait irruption dans la vie conjugale et lance ses rets sur ce couple où la phallocratie domine. Lysane, victime des coups de sangle de la part de Marc, son mari, pour une histoire vétille met fin à la relation. Recouvrant le vent de l’amour dans les bras de Jonas après un long moment de solitude, son ex-mari revient prendre ce qui lui appartenait. Un soir, dans les sables mouvants de la plage de Grand-Popo, le sort réunit les trois âmes. Mais pour quoi ? Un règlement de compte ou une fête Coca-light ? La huitième nouvelle ‘’Coca-light’’ fait de Mondé une parfaite victime d’une l’adolescence mal vécue qui ne conduit qu’à la bière. ‘’Bières en bière’’ dévoile les techniques usitées par les contrebandiers pour transporter les boissons du Nigéria vers les entrepôts et succursales de rafraichissement de Cotonou. Des bouteilles de Bières ‘’Golbert’’ dans les bières ! ‘’Le cadavre d’une vie’’, la dernière nouvelle peint ce que vivent parfois dans les mains des laveurs, les corps dans les morgues. Surtout ceux de jeunes filles aux contours moulants et aguichants. Cette dernière nouvelle a la même racine que la première mais lui sert de réponse : les morts ne sont pas morts.

Thématiques Principales Développées 

  • La mort : Un thème qui s’observe dans la plupart des nouvelles. On se demande si l’auteur cherche à questionner la mort. Tant le thème a ponctué plus de la moitié des textes de ce recueil. Ce qui parfois avertit le lecteur, qui au début d’une nouvelle, s’attend à une fin triste.
  • L’avortement : Un thème qui se vire en une question. Est-ce l’ignorance, l’innocence de l’adolescence ou de la jeunesse qui conduit jusqu’à ce point. L’auteur n’a quand même pas hésité à peindre le côté sombre de l’avortement à travers surtout ‘’ La nuit est tombée sur le chaos’’
  • La jalousie : Elle s’observe dans ‘’La sirène du désert’’, surtout quand elle femelle, jusque où elle peut conduire la femme.
  • L’adultère : ‘’Petit enfer d’amour’’ en est la parfaite illustration. Mais qu’est-ce qui peut pousser la femme à l’adultère ? Juste le sexe ? Et pourquoi la femme qui commet l’adultère est passible de la mort alors que l’homme n’a jamais aucun souci à se faire ?
  • La Violence : Surtout celle faite à la femme. La nouvelle éponyme ‘’Blues de Boue’’ en parle. Lysane en est victime. Mais Marc se plongera dans les remords et apprendra que la femme est comme une phalène. Tu essaies de la toucher avec la mainet elle s’envole.

Impressions Personnelles

« Bleues de boue » récure l’intérieur de notre quotidien. Ce sont des histoires « ramassées » sur les toits de nos maisons, dans les ruelles de nos quartiers, sous les prunelles de nos yeux. D’un style fluide et charmant, parfois à l’allure poétique, l’auteur rend attrayants ses textes et maintient le lecteur dans une atmosphère culturelle. Tant nos espaces géographiques y sont évoqués : Dantokpa, Grand-Popo, Fidjrossè, Djèrègbé. La présence du xénisme qui garde le lecteur plus proche de sa linguistique locale : Gbômitan, hounnon, Talopkémie, Zém. Une plume vivante et jeune, mais aux contours parfois  salaces et peut-être volontairement provocateurs. « Bleues de boue » trouve son mérite dans la capacité de l’auteur à peindre les histoires imagées et impressionnantes. Mais la plupart des textes sont couverts de draps opaques qui suscitent des interrogations chez le lecteur.

CONCLUSION

« Blues de boue » est un miroir dans lequel chaque lecteur peut se regarder sans feinte ni hypocrisie pour comprendre certaines de nos réalités quotidiennes et culturelles. Le livre se veut être une question sur tout ce qui trouble l’inconscient humain. Le lecteur sort toujours réflexif à la fin de chaque nouvelle. C’est un tableau noir que Grégoire Folly a peint pour montrer à quel point notre quotidien est entaché mais qu’on feint d’ignorer.

Ricardo AKPO