Ricardo AKPO, jeune poète béninois a commis un recueil : « Brin d’hysope » que j’ai eu l’heur et le plaisir de lire. Et c’est avec joie que je partage avec vous, dans le cadre de la présente analyse littéraire, ce que m’inspire ce recueil et ce que j’en retiens.

Il est des esprits voyant dans la nature les secrets et l’essence des  mystères de la vie de l’humain parmi les siens, de l’homme et de sa foi, du vivant et de tout ce qui concerne son âme et son cœur. Ces esprits-là voient dans le plein ciel ouvert, sans télescope, la Vérité aveuglante, tendre ou dure, souriant auprès des étoiles à chaque fois que sur terre leur regard se pose sur les corolles d’une jonquille ou sur les pétales d’une rose, sur les bourgeons printaniers ou sur les brins d’hysope. Ricardo AKPO fait indubitablement partie de ceux-là, lui qui écrit tranquillement en restant fidèle au décor de son recueil:

« Son désidérata, fût-il gai ou vulgaire.

Et si tout est grâce comme on aime à le dire

Alors, l’action incomprise de Dieu est claire

Même quand bien parfois elle nous parait dure ». (p.40)

A travers son recueil de poèmes « Brin d’hysope « , Ricardo AKPO qui conçoit la poésie comme une activité de dialogue avec soi-même sous certaines conditions, se livre librement en abordant plusieurs thèmes de façon aussi bien poétique que profonde. L’homme et Dieu, l’amour avec ses différentes facettes et le temps de l’enfance, la vie et la mort, un peu de métaphysique etc. sont au rendez-vous dans « Brin d’hysope « .

Ricardo AKPO fait porter à ce recueil l’étendard de l’existence de l’homme qui cherche à se connaître et à décrypter son âme et celle des autres dans la puissance du verbe et dans la lumière de la verve. Il fait montre de la fragilité de l’homme destiné à humer la myrrhe de la mort et à périr comme une fleur, une orchidée, un œillet etc. On comprend dès lors le titre du recueil, une métaphore plus qu’imagée qui met en exergue la beauté et la fragilité de la vie de l’homme.

A vrai dire, « Brin d’hysope«  est un recueil de poèmes aux sources diverses et variées qui repose sur une logique manichéenne de la vie qui s’écoule comme le temps. Ce qui témoigne de sa beauté et de sa profondeur. Toutefois, il enferme des limites qui relèvent à la fois du poète et de son éditeur.

En  effet, ce recueil puise son essence et sa beauté aussi bien dans la nature que dans les écrits de certains poètes et ceux de la bible.

Déjà, les poèmes liminaire (p.15) et final (p.134) qui s’adressent au lecteur, annoncent tous deux les grandes axes du recueil tout en montrant les sources d’inspiration du poète. Ricardo AKPO s’inspire des éléments de la nature de façon générale mais tire surtout et particulièrement son inspiration du monde floral. Les différentes espèces de fleurs peuplent ainsi le recueil. On y voit plusieurs fois la jonquille et l’hysope qui dansent jusqu’à épuisement, les bourgeons des lilas et les fleurons des lys qui scintillent de beauté, la nitescence de la rose et l’attirance des fleurs-marguerites, ah les tournesols et les orchidées, les hibiscus et les œillets etc. La connaissance du poète parlant des différentes espèces de fleurs est claire et limpide. Ce qui explique par conséquence les parfums de celles-ci qu’il mentionne pour enivrer et charmer le lecteur.

Par ailleurs, la saison des fleurs revient plusieurs fois dans « Brin d’hysope « . Ainsi Ricardo AKPO affirme dans  « l’heureuse du jour«  (p.84) :

« Ne presse pas de mûrir tes frêles pensées

Contente-toi de l’aube, jouis bien du printemps

Les années sont comme des fleurs entremêlées ;

Ne les défeuille pas plus vite que leur temps. »

Il faut dire que le printemps ne représente pas que la saison des fleurs pour le poète. Cette saison est aussi celle de la jeunesse et de sa beauté, le temps des couleurs vives de la vie et des aromes exquises, le temps de la joie et de l’insouciance, ce temps qui s’écoule dans l’âme comme la jeunesse sur les corps des vivants.

Mais Ricardo AKPO ne s’inspire pas que du monde floral et de la belle saison des fleurs, il puise aussi sa sensibilité dans les écrits de certains poètes et dans les psaumes et histoires bibliques.

En réalité, Hugo et Lamartine ne cessent d’errer dans « Brin d’hysope « . Le poète les convoque en effet à sa guise, à travers les épigraphes et certaines expressions.

S’agissant de l’auteur des contemplations, il apparait quatre fois en dehors de la préface, à travers  les en-têtes (p. 17,48, 78 et 87). Ce qui montre bien par conséquent que le poète puise son inspiration du génie hugolien. Toutefois, le recours répétitif aux épigraphes dans les différentes phases du recueil donne l’impression que le poète réécrit voire commente de façon poétique la sensibilité du grand poète français. De plus, on pourrait voir par là une forte dose de pédantisme et de recherche de légitimité en tant que poète comme si cette légitimité relèverait plus de la présence des pensées et sensibilité des poètes reconnus en général que du génie propre à l’auteur de « Brin d’hysope « . Est-ce possible que le poète ait manqué de confiance à son génie ? On est en droit en tout cas de lui poser la question.

Et en ce qui concerne Lamartine, Ricardo AKPO le convoque à travers le procédé de la réécriture. En effet comme Baudelaire qui par le procédé de l’emprunt, un sous-type de la réécriture, emprunte l’Albatros à Polydore de Baudouin, Ricardo AKPO emprunte une partie du Lac à Lamartine en chantant :

« Ô ! Ciel ; ô temps ! ô soleil, suspendez le vol !. »

Ce même procédé est utilisé dans un vers du poème comme une fleur (Je cueille sur tes lèvres gaies le doux baiser. (P.102) ainsi que dans plusieurs poèmes du recueil. Ce qui par conséquent montre bien les sources de son inspiration. Notons aussi que le poète utilise beaucoup le récit poétique et la poésie narrative dans ses textes.

Par ailleurs, les psaumes et histoires bibliques donnent des ailes à la pensée et la sensibilité du poète. Le poème « A toi femme… » (p.60) renvoie à l’histoire d’Adam et Eve contée dans le saint livre alors que les expressions comme « votre esprit est tout blanc » (p.119) ou le recours au mot « hysope » dans un vers qui met en exergue l’idée de purification (p.15) font penser comme l’a relevé la préfacière du recueil au psaume suivant :

« Purifie-moi  avec l’hysope,  et  je  serai  pur  ;  lave-moi  et  je  serai blanc,  plus  que  la  neige« .

De plus, les épîtres de Saint Paule (épîtres aux romains 11, 33) caressent l’esprit au contact de ces vers du poète :

« Alors, l’action incomprise de Dieu est claire

Même quand bien parfois elle nous parait dure. » (p.40)

En somme, les diverses sources d’inspiration dans « Brin d’hysope « donnent une voix et un ton particulier au recueil. Cette particularité apparaît également dans la logique manichéenne qu’adopte le poète dan ses poèmes.

Il faut en effet relever qu’il y a toujours une dualité dans le recueil de Ricardo AKPO. La vie et la mort, le noir et la lumière, l’aube et le crépuscule, la haine et l’amour, l’âme et le corps, la prière et le péché etc. Mais celle-ci est d’ordre conflictuel. Cette dualité pourrait ainsi trouver une explication dans les sources d’inspiration du poète, notamment dans le religieux qui féconde beaucoup son inspiration et la rend fertile. Car dans les écrits saints, cette contradiction apparaît toujours. Ainsi, dans Noël 2, le poète écrit :

« Lumière de joie et de sourire

Sur nos cœurs perlés de soupir.

C’est le signe de la prophétie

Qui nous donne l’attendu Messie »(p.74)

On voit par là le sourire qui s’oppose au soupir. Cette opposition revient d’ailleurs dans plusieurs poèmes (Jeu plaisant (p.106), Mon rêve (p.115) etc.). Ce qui permet conséquemment au poète de penser sa vie et sa foi, d’accepter  l’endurance pour connaître la paix de l’âme.

En définitive, il convient de noter que les sources d’inspiration du poète et la logique qu’il couche dans « Brin d’hysope « , permettent de façon plus large et profonde, d’en saisir l’immense beauté. Tout de même, malgré tous les points positifs relevés, ce recueil enferme plusieurs limites. Parmi ces dernières, il y a celles qui relèvent du poète et celles qui concernent le travail de l’éditeur.

Concernant le premier point, nous en avons fondamentalement relevé trois. La première limite est d’ordre formel. En effet, le poète fait quasiment toujours recours dans ses poèmes à des quatrains. Ainsi rares sont les fois où il change la forme de ces derniers. Cela installe par conséquent une certaine monotonie et ressemblance formelle entre tous les textes. Ce qui dés lors fatigue aussi bien les yeux que l’esprit du lecteur.

La deuxième est relative à la rime. Avec AKPO, on a l’impression que la poésie est dans la rime et seulement dans la rime même lorsque celle-ci assassine parfois la beauté des poèmes. En réalité, presque tous les textes du recueil sont rimés et parfois sans même tenir compte au rythme des vers. Le poète casse souvent et le rythme et le souffle de ses poèmes. Cet extrait en illustre d’ailleurs bien nos propos :

«  Les poussins lancent plaisamment leurs

pioupious

Apeurant bien les rongeurs nocturnes filous

Un matin de bonheur, un matin de bonheur » (p. 18)

Cela est visible et ressenti dans plusieurs poèmes du recueil. Et parfois, l’envie de dire au poète ceci: « Tu sais, la rime doit toujours être l’esclave de la poésie et non le contraire ».

Enfin la troisième limite est liée à la poéticité même de certains passages des textes du recueil. Plusieurs poèmes sont poétiques par intermittence. Ce qui illustre par ricochet un manque de rigueur dans le processus de création du poète. Certains passages n’ont que des rimes et point de poésie :

« Vous portez désormais en vous le doux remède

De la souffrance de ce monde en pleine opacité,

La cure efficace aux maux de l’univers en fatalité.

Soyez bons, qu’au doute, jamais l’esprit ne cède » (p.120)

Alors que d’autres ressemblent plus à des phrases simplement métrées et dont font usage le commun des mortels tous les jours :

« Alors, je croirai ton cœur ferme

Muet, sourd, calme et qui renferme

Tant de froideur et d’ignorance

Envers le mien pauvre en souffrance ;

Dans le cas échéant, je viendrai, bien muré,

Chaque jour frapper fort aux étroites portes

D’église de ton âme pour que tu me portes

De la paroisse de ton cœur, le curé » (p.91)

Et pour ce qui est des limites qui relèvent de l’éditeur, il faut dire qu’elles sont de deux ordres. D’abord, le manque notoire de sérieux qui est visible dans la mise en page. En effet, les en-têtes se confondent parfois avec les textes du poète parce que très mal placés dans le recueil. Ce qui ne valorise pas le contenu du livre.

Ensuite, certains textes du recueil comportent des erreurs que l’éditeur n’a pas pris le temps de corriger. D’ailleurs, ce problème est aussi très souvent visible dans les textes publiés par les maisons d’édition sénégalaises et sans exception. Ah un manque de professionnalisme qui n’honore point le livre !

Pour conclure, je dirai pour ma part que « Brin d’hysope  » a sans doute du potentiel malgré les limites relevées. Mais à vous d’en faire votre propre idée.

Zacharia Sall