Introduction

Il me plait de commencer ce voyage littéraire avec ces mots du préfacier Apollinaire AGBAZAHOUN qui vous installe et vous avertit de l’insécurité qui règne dans cet ouvrage.  » (…) Animal fait homme, il abrège l’existence de tous ceux qui font obstacle à ces projets sordides et banalise la gent féminine au point de verser, sans état d’âme dans le viol et dans l’inceste au milieu d’une polygamie incontrôlée. Le génie de l’écrivain en a fait le parent très rapproché de toutes ces victimes et le héros et antihéros de l’œuvre. » (P. 8) En effet, Si l’homme est capable du bien, il est aussi capable d’animosité. Et dans un monde où cohabitent le bien et le mal, une osmose peu habituelle, seule la vertu est capable de faire triompher le BIEN.

Cette étude littéraire que nous vous proposons s’articulera autour de quatre axes importants : un flash sur l’auteur, bref aperçu sur l’œuvre, une étude thématique, des notes sur l’œuvre.

 

Biobibliographie

Originaire d’Avrankou (Bénin), Houénou KOWANOU un est écrivain béninois né le 24 mars 1956. Ingénieur du génie civil, il a connu des spécialisations successives : maintenance du bâtiment à Nancy en France, expertise géochimique de l’environnement au Landes Amt fur Umwelt und Geologie à Radebeul et Freiberg en Allemagne, Pédagogie à l’Université de Laval de Québec au canada. Malgré ses longues études, il demeure un homme ancré dans sa culture dont il s’inspire. En Août 2010 et en décembre 2011, il publie aux Editions Universitaires Européennes deux ouvrages scientifiques. Il s’agit respectivement de :

  • Habitat traditionnel au Bénin : étanchéité des toitures de terre, essai
  • Matériau à base de granulats liés par des sachets plastiques fondus, essai

Outre ces ouvrages, il enrichit la littérature Béninoise à travers

  • Les enfants de la poubelle, roman, éditions HDH, 2000
  • Les rêves secrets, poésie, éditions 2003, 252 pages

Et enfin, l’ouvrage dont nous vous proposons une étude « Le colonel Zibotey » qui fait peau neuve depuis 2015 avec LAHA éditions après sa première édition chez Plumes Soleil 2013.

Résumé

Ce chef d’œuvre est une histoire tiraillée entre le réel, le mystique, la superstition et la tradition relatée sur 359 pages regroupée en 22 chapitres. Il retrace les aventures rocambolesques de Tobi. Jeune homme brillant, lieutenant dans l’armée de son pays, hautement diplômé avec un passé chargé de mystères et de péripéties, depuis le début de son aventure dans ‘’Les enfants de la poubelle’’, Tobi est jalousé par son supérieur, le fameux colonel Zibotey qui ne se prive par de l’humilier et de le blâmer chaque fois qu’il en a envie. En effet, il voit en ce jeune homme plein de potentialités pouvant lui faire ravir son poste alors même que ce dernier n’en était nullement intéressé. De plus, l’amour de Lorry qu’il tente de courtiser sans espoir mais qui est plus proche de Tobi, l’admiration que lui voue Nourou, maitresse du colonel n’arrangeront pas la situation en sa faveur. Le « géant, tête rasée, moustache en balai, yeux et oreilles d’éléphant » (P. 19) est décidé à éliminer Tobi de sa trajectoire et ceci jusqu’à planifier plus d’une fois son assassinat. Tobi étant conçu sous des astres glorieux et destinée à la souveraineté, n’échappe pas à son destin. A bout des harcèlements et manigances de son supérieur, Tobi démissionne et quitte son pays natal. Pendant ce temps, Zibotey continue les abus hiérarchiques au sein de l’armée ainsi que les détournements de deniers publics. Il fut nommé ministre de la défense. Cependant, il ne profitera pas longtemps de ce poste ‘’juteux’’ qui accentue son arrogance et ses airs de tout puissant. Son limogeage entraine son déclin sur tous les plans. Il apprend que Nourou, celle qu’il voulait ajouter à son harem d’« une femme légitime, six illégitimes, maitresses incomptables » (P. 71) n’était rien d’autre que sa fille issue d’un viol dans le passé et dont il a détruit la vie ainsi que celle de sa mère. Il finit par se suicider après avoir été paralysé en voulant une fois encore nuire à Tobi. Quant à Tobi, il est intronisé roi ensuite élu président et s’entiche de Lorry. Ces deux font de leur aventure romanesque ce que l’on appelle communément destins croisés. L’enchainement logique de cette trame donne : « une légende-une histoire-une rencontre-un mariage-une scène de ménage-un hasard-une dérive-une dispute fatale-un viol dangereux-les ancêtres se fâchent-un héritage, avant la chute du XXIIe chapitre qui est la situation finale qui clôt l’œuvre et qui exempt le titre » (Pp 9-10).

Etude thématique

Plusieurs thèmes ont été développés dans cet ouvrage. Au nombre de ceux-ci, on a : la polygamie, la tradition-mystère, mariage-virginité-fidélité.

La polygamie :

La polygamie est le fait pour un homme d’avoir plusieurs femmes. Elle s’oppose à la monogamie qui désigne l’état de mariage où l’homme n’a qu’une seule femme. C’est une pratique qui a traversé les âges et même si aujourd’hui, elle est mal vue au profit de la monogamie promue dans toutes les sociétés, elle reste pour d’autres un acquis religieux, social ou traditionnel. En effet, avec l’évolution des droits de l’homme, l’influence des mœurs et pratiques occidentales sur celles africaines, d’aucuns se rendirent compte des bienfaits de la monogamie et des répercussions que la polygamie génère dans la société : fratricide, pauvreté, insécurité sociale et des frasques familiales dépeintes par le célèbre ouvrage en la matière ‘’Une si longue lettre’’ de Mariama Ba. Cependant, il revient de dire que si la polygamie reste une exigence à certains égards tels pour un roi qui, avec sa première reine, n’a pas eu un héritier, ou une possibilité offerte par la religion, l’Islam par exemple, cela peut advenir des caprices de certains hommes nantis ou peut-être pas mais dont  l’appétit sexuel  est très poussé. Le cas de Zibotey, un cupide et désireux des femmes est illustratif dans cet ouvrage.

Tradition-Mystère

La tradition est l’ensemble des pratiques culturelles et cultuelles d’un peuple ou d’une génération qui doit être transmis à celle à venir. Le mystère, c’est ce qui a du mal à être perçu ou compris raisonnablement du fait du surnaturel qui s’y trouve. Des faits fantastiques. Dans cet ouvrage, on note à plus d’un endroit des évènements que la raison ne saurait expliquer et qui laisse pantois le lecteur : « un léopard métamorphosé en homme ».

Généralement, ce sont dans les contes que l’on rencontre une telle dose du fantastique. Des histoires qui vous mettent dans une imagination inhabituelle et vous interrogent : doit-on croire possibles ces faits ?

Mariage-virginité-fidélité :

Le mariage est l’union de deux personnes reconnue de façon officielle par la loi ou les règles en vigueur en formant un couple. La virginité est l’état d’une personne vierge, immaculée. Nous considérerons vierge celui ou celle qui n’a connu aucun rapport sexuel avec un autre. La fidélité est l’attachement à ses devoirs, à ses affections, ainsi que la régularité à remplir ses fonctions.

Ces trois termes associés pour former notre troisième thème nous plongent dans l’histoire et le rôle des femmes dans l’ouvrage, en l’occurrence Lorry par rapport au premier mari qu’elle eut et à Tobi dont elle sera la reine à la fin.

En effet, comme il est de coutume encore dans certaines sociétés, il est impératif de rester vierge jusqu’au mariage. Mais, il faut l’avouer, de nos jours, cette possibilité est rarissime. Le mariage est sacré et doit demeurer ce lien fort qui unit deux êtres mais également deux familles. Mariés, l’une des obligations qui échoit aux deux conjoints demeure la fidélité pour extirper toute possibilité de polygamie dans l’union. Pour certains, il n’incombe qu’à la femme cette obligation pourtant nécessaire pour les deux époux. De toute façon, Lorry saura rester fidèle, ce qui lui fera valoir la place importante de Reine auprès de Tobi devenu Roi. Si la virginité conduit donc à un mariage méritoire, la fidélité est un facteur du maintien du couple dans le bien ou dans le bonheur que devrait leur procurer le mariage.

Notes sur le livre

Cet ouvrage est un chef d’œuvre. Ecrit dans un style appétissant avec une touche d’humour réussie, il s’inscrit dans la gamme des ouvrages que toute catégorie de personnes voulant améliorer son registre langagier peut se procurer.

Riche en images descriptives et peaufiné avec des figures de styles, on ne se rend point compte du temps qui passe en ayant cet ouvrage en mains.

Il a une portée culturelle de par son auteur qui est assez ancré dans sa culture et qui miroite en tous ce que nos traditions doivent être pour nous, de sorte à ce que tout lecteur issu d’une tradition s’interroge sur les pratiques de celle-ci.

On ne saurait oublier également la sagesse et la philosophie que procure cet ouvrage à travers des expressions et proverbes qui vous conseillent mais également vous montrent le chemin à suivre.

En vrai, cet ouvrage est unique en son genre avec une dose du réel et du fantastique qui le particularise. L’intrigue est exceptionnelle et décrit si bien l’homme en lui-même et le monde en faisant triompher le bien sur le mal quitte à montrer au lecteur que seul le bien et la vertu conduisent au bonheur.

Conclusion

L’écrivain Kowanou offre un joyau à la littérature béninoise. Cet ouvrage riche en leçons de vie traduit les aspirations divergentes des sociétés et des hommes qui les composent.  Homme de culture, l’ingénieur de formation a su dérouler son intrigue, tel un ingénieux de manière qu’à chaque chapitre, vous vous sentez obligé d’entamer le suivant. De la polygamie à la fidélité, du mal au bien et des pièges au bonheur, il vous fait vous vautrer dans son monde littéraire où l’humour et la vertu ne font point défaut.

CITATIONS ET BELLES PHRASES TIRÉES DE L’OUVRAGE

  1. « Il parait plus indiqué de permettre à quelqu’un de t’aimer, plutôt que d’aimer quelqu’un qui ne te le permet » (Pp 50-51)
  2. « L’amour est rarement pair ; lorsque l’un aime, l’autre fait semblant » ( 59)
  3. « Si tu sais obéir, tu sauras commander » ( 62)
  4. « Dès l’instant où tu t’engages à jouer avec un enfant, prépare-toi à recevoir du sable dans les yeux » ( 65)
  5. « Le regret peut permettre de s’orienter mieux. J’ai peur d’avoir déposé les regrets. J’ai plutôt honte et la honte est une maladie incurable » (72)
  6. « Parfois les premiers des académies font partie des plus abêtis de la vie active » ( 75)
  7. « Tu as beau jouer les lions, en prison un lion peut être appelé mouton » ( 76)
  8. « Dans la vie, si tu te fais poulet, tu dois craindre les lance-pierres des enfants ; si tu te fais mouton, tu dois craindre la canne des bergers. Désormais, je voudrais te voir rugir, rugir comme un lion blessé ; tu dois faire peur aux autres bêtes » ( 77)
  9. « Tant qu’il y a un enfant, les parenthèses d’un mariage ne se referment jamais définitivement » ( 77)
  10. « J’ai compris que la nature fleurit dans la sobriété. Je suis convaincue que les maquillages ne conviennent qu’aux vilaines créatures » ( 85)
  11. « Ton malheur, c’est d’avoir connu le succès, sans succès, tu aurais été certainement plus conscient, dépourvu de conscience tel que tu es, tout conseil de vie doit te paraitre une longue leçon de science à un con » ( 95)
  12. « La jalousie ne mesure pas seulement l’intensité de l’amour. Elle mesure autant la convoitise, la cupidité, le dépit de l’incapacité et bien d’autres défauts. » ( 105)
  13. « Il n’y a pas pire danger qu’une intelligence méprisée » ( 114)
  14. « Faire du bien fait du bien » ( 116)
  15. « La conscience, c’est la voix de la justice. Elle est irréductible, incorruptible, irrépressible » ( 120)
  16. « On dit que la faiblesse du fort, c’est de croire qu’il peut résoudre tous les problèmes par la force » ( 130)
  17. « Lorsqu’un enfant résiste à l’éducation en chambre, c’est qu’il préfère les châtiments sur la place publique » ( 144)
  18. « L’inconscience conduit à des gâchis dont on ne peut mesurer la portée qu’en devenant conscient » ( 149)
  19. « Quels que soient ses caprices, l’enfant devrait demeurer un enfant pour ses parents » ( 165)
  20. « Lorsqu’on est jeune, on est rarement conscient d’être heureux. Des expériences sont nécessaires. Il faut de la hauteur, de la sagesse pour sentir le bonheur dans sa vie. Et personne ne peut t’y aider. Il s’agit d’état d’âme. » ( 166)
  21. « Quand il est impossible de gagner la guerre, on négocie la paix » ( 198)
  22. « Le goût de l’omelette ne vous dit combien la poule a mal au cul » ( 201)
  23. « L’argent sans sueur n’a aucune valeur » ( 204)
  24. « Si tu tiens à remporter une bataille, évite la forme de combat qui avantage ton adversaire » ( 249)
  25. « Le pardon est une vertu qui combat la cupidité » (P. 261)
  26. « L’intelligence nous permet d’avancer ; mais c’est l’expérience qui nous fait éviter les embûches » ( 277)
  27. « Quels que soient les millions que vous saurez gagner ailleurs, si votre pays demeure dans la misère, vous ne serez jamais épanoui. Les conditions humaines ne s’empruntent pas » ( 283)
  28. « Votre bonheur, c’est de parvenir à poser une pierre intelligente, une pierre de bonne intention, aussi infime soit-elle, alors la descendance lira à travers l’héritage, l’histoire de vos empreintes pour continuer l’œuvre de bravoure dont votre pays a besoin pour s’en sortir » ( 283)
  29. « Le chagrin tue dans la désolation pendant que la pauvreté tue dans l’espoir » ( 292)
  30. « Sans esprit, étranger à la culture, toute évolution est limitée. Pour évoluer, le monde a besoin de tout le monde » ( 336)

Gloria Carelle OMBARI

OMBARI Gloria Carelle est née à Natitingou le 14 Septembre 1999. Après ses études primaires à l’école catholique Saint Augustin de Natitingou, et celles secondaires commencées au collège privé « Les Elites », et achevées au collège marianiste « Chaminade » de Natitingou sanctionnées d’un baccalauréat série A2, elle poursuit actuellement ses études universitaires en Administration Générale et Territoriale à l’École Nationale d’Administration et de Magistrature de l’Université d’Abomey-Calavi. Amie de la lecture et de l’écriture, elle fait de son attachement à la protection de l’environnement et à l’agronomie une passion jalouse que rien ne saurait lui dérober.