Il était une fois un orphelin nommé Edjↄna. Il n’avait pas connu son père qui était décédé sept mois avant sa naissance. Sa mère qui devait veiller sur lui rendit l’âme aussitôt après lui avoir donné la vie. Depuis la mort de son mari, cette dernière, rejetée et renvoyée de la demeure conjugale, était obligée de ramasser du bois mort dans la forêt, qu’elle devait vendre afin de se nourrir et veiller sur sa grossesse. Elle était la seule rescapée de sa famille qui a péri dans un incendie. Elle n’avait vraiment personne au monde pour l’aider. Comme à l’accoutumée, de bonne heure, elle se rendit dans la forêt. Là, elle eut de violentes contractions qu’elle confondit à ses habituels maux de ventre. Le temps de comprendre ce qui se passait réellement, elle se surprit en train de donner naissance à son enfant, seule au milieu de la forêt. Après l’accouchement, elle se mit à saigner abondamment. Elle succomba des suites de son hémorragie. Au coucher du soleil, une vieille qui rentrait des champs, entendit des pleurs. Curieuse, elle chercha à savoir d’où pouvaient-ils provenir. Elle découvrit alors avec effarement la tragique réalité. Elle vit la mère inerte et le bébé vagissant. Elle récupéra l’enfant et le prénomma Edjↄna. Avant de quitter les lieux, elle enfonça un grand piquet dans le sol, à l’endroit où elle avait vu l’enfant et le cadavre de sa mère. Quand arriva la saison des pluies, elle planta un iroko à l’endroit où elle avait enfoncé le piquet en terre. Elle éleva Edjↄna avec amour et tendresse. Elle vit en cet enfant la réalisation de ses rêves, un don du ciel, une réponse de Dieu à ses prières, elle qui, toute sa vie durant, a désiré d’un grand désir jouir des grâces de la maternité. Au soir de sa vie, la nature la gratifiait d’un joli bébé. Edjↄna grandissait et faisait la fierté de la vieille. La vieille lui raconta comment elle l’a découvert dans la forêt et à chaque nouvelle lune, ils allèrent se recueillir sous cet arbre en mémoire de la mère de Edjↄna. La vieille était tout pour le petit. Elle était son soleil et sa seule raison de vivre. Il rêvait de devenir riche et de changer la vie de sa vieille-mère. Cependant, la vie ne le lui permit pas, car en se réveillant un matin, alors qu’il n’avait que quatorze ans, il comprit qu’il devait apprendre à vivre sans elle. Il l’enterra au pied de l’arbre sous lequel ils se recueillaient à chaque nouvelle lune. Paumé et déboussolé, Edjↄna entreprit de quitter le village pour une longue aventure. Mais chaque fois qu’il s’éloignait du village, il ne rencontrait que malheur sur son chemin. Son destin était lié à ce village où était enterrée sa vieille-mère. Il décida alors de s’installer pour toujours au village. Très vite, il se distingua par son zèle et son ardeur au travail. Tous ses congénères prirent se marièrent mais aucune femme ne lui ouvrait son cœur. Après moult tentatives infructueuses, il se résigna. Il mit une croix sur le mariage et s’évertuait à exceller dans ses travaux champêtres. A cause de sa situation de célibataire, il n’était pas considéré dans le village. Tous se moquaient de lui. En plus d’être doublement orphelin, la nature le vêtait du statut de célibataire endurci.

En revenant des champs un jour, il rencontra une vieille qui croupissait sous le faix d’un gros fagot de bois. Il s’empressa de l’aider. Il se chargea du fardeau et suivit la vieille jusque dans son village. Cette dernière, émerveillée par la spontanéité et la générosité de Edjↄna avait résolu de le gratifier. Elle lui demanda de formuler une requête. Celui-ci demanda une femme. La vieille lui présenta Weziza, sa fille unique qui était tout son trésor. Edjↄna hésita à accepter l’offre : « C’est vrai que je n’ai pas de femme, mais ce n’est pas pour cette raison que je vous prendrai votre unique fille qui est tout votre trésor et votre raison de vivre. En vous aidant à porter votre fardeau, je ne m’attendais à me faire payer en retour. » La vieille le supplia de recevoir Weziza non comme une récompense, mais comme l’acceptation de son obole, manifestation de sa gentillesse envers lui. Et Edjↄna fut obligé d’accepter. La vieille, émue, les bénit : « Edjↄna, je te donne Weziza. Elle est aveugle. Mais elle s’appelle Weziza. Elle sera la lumière de ta maison. Mes jours sont comptés. Bientôt, je serai de l’autre côté. Je te la confie à la fois comme sœur et épouse. Aime-là et veille sur elle. Protège-la et tu ne seras pas déçu. Je sais qu’elle sera la lumière de ta maison. Je vous souhaite de vivre heureux et jouir de la vie. » Douloureuse séparation. Weziza suivit Edjↄna, son mari, son frère et son protecteur.

Edjↄna, avant d’introduire Weziza sous son toit, la conduisit d’abord dans la forêt, au pied de l’arbre du souvenir de sa mère et de sa vieille mère. Quand ses amis se rendirent compte de ce que sa femme était une aveugle, ils se mirent à se moquer de lui. Mais il leur répliquait qu’il préférait une femme aveugle à une case sans lumière car malgré sa cécité, Wéziza, avant le retour de son mari, allumait déjà les lampions et apprêtait le repas. Elle savait mieux faire le ménage que les femmes qui n’étaient pas aveugles. En matière d’ordre et de propreté, Wéziza n’avait pas de concurrente dans le village. Quand à toutes ces qualités, l’on ajoute sa beauté, ses fossettes, sa rondeur, ses longs cheveux, son sourire éclatant, la suavité et la netteté de sa voix, l’on réalise que Weziza était une déesse privée de la vue. Edjↄna la bichonnait et la traitait comme une princesse. Pour son premier accouchement, elle donna naissance à des jumelles. Ensuite, le couple reçut la visite d’un triplet, tous des garçons. Le troisième accouchement gratifia Edjↄna et Weziza d’un quadruplet : deux filles et deux garçons. Ils « fermèrent le trou avec un joli Dossou ». Le village était dans l’émerveillement et les quolibets s’estompèrent. Edjↄna était devenu une personne crainte dans le village. Alors que habitants vaquaient chacun à ses activités, une épidémie de charbon se déclencha sans préavis. Les devins s’attelèrent à apaiser la colère des dieux mais aucun d’eux n’y parvinrent. Il fut révélé à l’un d’eux que la seule personne qui pouvait apaiser la colère des dieux était une femme dont les yeux n’avait jamais vu le mal et dont les entrailles, trois fois de suite, on accouché de jumeaux, de triplet et de quadruplets. Toutes ces caractéristiques étaient présentes chez Wéziza. Elle offrit le sacrifice au nom de tout le village et l’épidémie s’éloigna. Tous les devins se prosternèrent devant elle pour l’adorer et toute la contrée fit d’elle sa reine.

Mon conte s’arrête ici.

Destin Mahulolo