Le mensonge est comme un siège sur lequel prend place tôt ou tard la vérité. Rien ne demeure éternellement dans l’ombre. Mais est-il impérieux de fouiller la tradition pour mettre à la lumière ses coins sombres ? N’est-ce pas que la tradition est fille de la culture et cette dernière l’image et l’essence d’un peuple ? Pourquoi tâter donc la tradition ou la culture afin de s’assurer de son fond pur ou obscur ? Mais est-ce pour une raison aussi de taire ce que la tradition a et fait d’ignoble ? Une grappe de question qui vous assaille l’esprit au fur et à mesure que vous dévorez chaque pan de ce livre aux allures cadencées. « Crabe de métal pur » est un roman de l’écrivain Béninois Gaston Zossou et paru aux éditions Riveneuve. Un roman au titre inquisiteur. Peut-être métaphorique ? ou allégorique ? En tout cas, « Crabe de métal pur » « tond ce qui est à la portée de ses mandibules » p.116. L’auteur choisit un angle romanesque pour faire asseoir une trame aussi effrayante que terrible. Attention ! Que les esprit fragiles et sensibles ne s’aventurent pas sur ce chemin profond et lugubre dont Gaston trace les sillons avec une plume aussi fustigatrice que véridique. Toutefois, si vous avez le thorax râblé et le sternum solide, vous pouvez esquisser un pas, s’assurer de le tenir gagné et debout avant d’effectuer le second tout en vous déchaussant et ayant l’esprit libre comme celui qui va au temple sacré. Aklo était un jeune cultivateur mais qui s’adonnait aussi à la chasse, l’élevage des troupeaux de bœufs. Un jeune aimé et admiré pour son travail, son audace et son courage sans précédent. Orphelin, il fut élevé par son grand-père Agbozo. Un vieux parent à qui il obéissait sans réfléchir. Depuis son enfance, le vieux l’emmenait faire des sacrifices la nuit à la croisée des chemins. Quel sacrifice ? Le « koudio ». « Le rituel consistait, sur une croisée de chemins, à attirer le trépas sur un leurre, à créer les conditions pour sa brusque intervention, à se mettre hors de danger soi-même, par une douche magique de protection, à irriter l’ange de la mort afin qu’il frappe une victime supplétive en substitution de soi, quand il se rendrait compte de la supercherie et à s’octroyer, ce faisant, un bout de longévité, une rallonge de vie » p.55. Le vieil homme ne voulait pas mourir. Il se voulait éternel. Il s’usait donc de ce rite pour rester jeune et intrépide. Aklo qui, malgré lui, l’assistait par obéissance verra son cousin Gouton qui était son meilleur ami et confident rendre son souffle au petit matin de la nuit du rite. Remords ! Douleurs atroces ! Aklo prit le chemin de l’exil, car les villageois comprirent que c’étaient son grand-père et lui qui avaient perpétré le forfait. Assister à un mal fait de vous forcément un coupable ? Aklo, à l’instar d’Ahouna dans « Un piège sans fin » prit la voix de l’exil laissant son village qu’il aimait tant et surtout Abla, la jeune fille du marigot pour qui il agonisait d’amour. Alors, de piège en piège, de vicissitude en turpitude, de la cruauté à la trappe mortelle, Aklo devra faire face aux évènements douloureux que lui réserve le sort. Même si le cri d’un simple « Hoklohooo » p.230, changera le cours de sa vie à jamais. Gaston Zossou, insensible, met à la cadène la tradition et stigmatise certains de ses méfaits. Il questionne la conscience individuelle sur l’essence véritable de ces deux mots ambivalents ‘’ Bien et Mal’’ « surtout que les deux s’équivalent » p.236 ; tord le cou aux principes de « la peine de mort » par un furtif cri assourdissant venu du néant : « Hoklohoo » et place une force transcendantale au-dessus de tout autre terrestre : Dieu ! « Dieu est le Bien lui-même » p.241. D’un style classique, Zossou dresse un tapis roulant émaillé d’atrocités qui détournent le monde des valeurs cardinales qui ne se trouvent que dans le bien et auprès du Bien, Dieu. Dans le « Crabe de métal pur », le paganisme et la religion se querellent, la liberté et la justice s’endimanchent, la vie et la mort se disputent la place, le Bien et le Mal sont exposés sur le van pour un tri, le tout ponctué parfois d’humour qui donne de la suavité à la lecture. Mais qu’est-ce que le « Crabe de métal pur » ? Métaphore filée ? Métaphore prolongée ? De l’Allégorie ? Encore que toute allégorie trouve son essence dans l’analogie ! N’est-ce pas que le crabe est un crustacé décapode ? Qu’est-ce donc ce « Crabe de métal pur » ? Seule la lecture vous donnera satisfaction.
Ricardo AKPO