Choisir entre sa mère et son épouse n’est pas chose aisée, et Djossou est confronté à cette amère expérience. C’était à Yèmin, un royaume florissant dirigé par une reine, Minamon. Déjà depuis sa naissance, Djossou était choyé par sa mère. Benjamin d’une famille de onze enfants, il était aimé de tous. Sa mère lui donna une éducation exemplaire et lui vouait une affection particulière. Ceci rendait jaloux ses frères qui sont pourtant du même sang que lui, mais lui les aimait sans réserve. Toutes les fois où on lui faisait des présents, il les partageait avec ses frères, en prenant toujours la plus petite part. Etant né malade, il n’avait point grandi en taille. Mais son intelligence était hors norme.
Parmi les jeunes filles du village, il avait donné son cœur et tout son amour à Nansi, fille de Minamon. A la vérité, Nansi était une jeune belle nymphe qui tournait la tête des garçons. A son passage, les vieux redressaient instinctivement le pagne noué autour de leurs reins. Quant aux jeunes garçons, ils restaient hébétés devant la beauté féérique de la cité imprenable qu’était Nansi. Combien d’avances n’avait-elle pas reçues des hommes ? On lui promit monts et vallées, la lune et les étoiles, le ciel et la terre, mais elle ne voulait que le difforme malade Djossou. Et Djossou aussi la voulait. Et Djossou l’aimait. Et Djossou était prêt à tout pour elle. Personne ne comprit comment et pourquoi ces deux êtres que tout opposait, pouvaient s’aimer, et surtout, pourquoi Nansi affichait publiquement qu’elle aimait Djossou, cet éclopé qui a refusé de grandir. Si c’étaient seulement les mauvaises langues qui déblatéraient, uniquement les jaloux et les éconduits qui les dénigraient, le problème ne se serait pas posé. Mais voici que Nyonouklébé, la mère de Djossou était habitée d’une jalousie morbide et craignait que Nansi, la belle aux fesses gigantesques et aux traits ensorcelants ne s’emparât de son fils et ne la privât de le voir et d’être avec lui. Le jeune garçon était déchiré entre l’amour pour sa mère et celui de sa dulcinée. La situation dura plus de deux ans. Un jour, Djossou tomba malade, d’une mystérieuse maladie, puisque personne ne sut de quoi il souffrait. Sa mère, ainsi que Nansi étaient aux soins matin et soir et ainsi durant deux semaines. La maladie s’aggravait de jour en jour. On consulta l’oracle. La réponse des mânes des ancêtres fut implacable. On devrait sacrifier, pour sa survie, une personne qu’il aimait. Cette décision fut connue de tous. Or, il s’avère que les deux personnes que Djossou aimait le plus étaient sa mère et Nansi. Il devrait donc, pour retrouver définitivement sa santé, ordonner qu’on abatte une de ces deux créatures. Il demanda deux jours pour réfléchir à cette situation apocalyptique. Il en profita pour les passer avec elles et en fit les plus beaux moments de son existence. Le jour arriva. Les préparatifs allaient bon train. Nansi et la mère de Djossou étaient habillées de leurs plus belles parures et attendaient la décision de Djossou. Chacune était prête pour le sauver en donnant sa vie. Les émissaires se dirigèrent dans la chambre de Djossou pour le chercher et écouter sa décision. C’est une fois rentrés qu’ils constatèrent que Djossou, plutôt que de laisser une des deux personnes qu’il aimait se sacrifier pour lui afin qu’il survive, a préféré se suicider, pour que ces deux êtres chers à son cœur vivent. On l’enterra sans trop de tapage, dans un silence et une tristesse profonde. Nansi refusa, bien qu’elle ne fût pas encore mariée à Djossou, d’autres avances et décida de vivre définitivement chez les parents de Djossou. Elle préféra ainsi devenir veuve sans avoir été mariée et passa le reste de ses jours chez la mère de Djossou comme sa fille. Nynouklébé n’arrêta de pleurer son fils qu’elle eût bien voulu vivant.
Kouassi Claude OBOE
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