La littérature béninoise ne cesse de faire peau neuve. Un jeune auteur, Eric BONOUADI, entend redorer le blason de cette littérature qui  l’enchante au quotidien. « Je voudrais nous inviter à prendre conscience des conséquences qui pourraient jaillir de l’ignorance de la littérature et de vite passer aux actions censées pour redresser la pente. » Eric BONOUADI

BL : Bonjour M. Bonouadi. Nous sommes heureux de vous recevoir sur Biscottes littéraires pour ce précieux moment d’échange. Veuillez-vous présenter à nos aimables lecteurs.

EB : Bonjour et merci Biscottes littéraires. Le bonheur est partagé. Je m’appelle Eric Bonouadi. Je suis administrateur en Management des services publics et privés. Je dirige actuellement une association dénommée Charity Club International qui œuvre dans le social. Les écrits, la peinture et la sérigraphie sont aussi mes domaines de passion.

BL : Qu’est-ce qui a allumé en vous la passion pour la littérature ?

EB : La littérature en général, et la littérature béninoise en particulier est un domaine que je côtoyais depuis tout petit. J’étais impressionné par la façon dont les écrivains tels que Olympe BHELY-QUENUM, Jean PLIYA et Oumane SEMBENE, pour ne citer que ceux-là,  livrent leurs histoires sur la beauté de la nature, sur la méchanceté et la bonté des hommes. J’étais très séduit par leur art d’écrire? parlant du fond et de la forme des textes. Cela me faisait voyager ou me faisait tout simplement rêver.

BL : Pourquoi avez-vous décidé d’écrire ? Quel sens l’écriture revêt-elle pour vous ?

EB : L’écriture est un moyen d’expression pour ceux qui savent se taire pour observer. Elle est un canal pour avouer ou dénoncer quand on veut se passer du bruit. Ma décision d’écrire ne souffre d’aucun doute. Je suis convaincu que mon don s’exprime aussi par là. J’écris donc pour me faire entendre et donner mon opinion sur les revers sociaux. J’écris pour immortaliser les histoires entendues et vécues. J’écris pour dénoncer, sensibiliser et corriger.

BL : Comment définissez-vous le rôle et la place de l’écrivain dans nos sociétés actuelles, celle béninoise, en l’occurrence ?

EB : L’écrivain est un interprète du langage de la couleur du temps. Il est porte-parole des sans voix. L’écrivain est comme tout autre artiste qui séduit pour faire passer un message rempli d’aveux, de dénonciations, d’analyses et de leçons. Il occupe alors une place dans le rang des sages. Il est celui que nous devons écouter pour avoir la connaissance parce qu’il peint toujours dans ses écrits, les habitudes d’un monde dans lequel chacun de nous peut se retrouver. Malheureusement l’écrivain est peu écouté dans nos sociétés actuelles, en particulier celle béninoise. De jour en jour, la littérature perd sa place parce que nos sociétés ont affaire à une jeunesse qui met la charrue devant les bœufs. La jeunesse oublie que le bonheur s’acquiert par la connaissance. Elle ignore que les grands hommes de ce monde ont beaucoup lu. Ce désintéressement est dû à l’envie démesurée des jeunes à la recherche du gain facile. L’autre n’a-t-il pas raison de dire que pour cacher quelque chose aux africains qu’il faut le mettre dans un livre ? Moi je dirais “jeunesse’’ à la place de ‘’africains’’. Mais pour autant, l’espoir n’est pas perdu. C’est au sein de cette même jeunesse que se lèvent des jeunes épris de la littérature.

BL : « Regard violé » est votre premier fait littéraire, un recueil de nouvelles. Comment est né et a pris forme ce projet ?

EB : Mon empathie envers les femmes a eu raison de moi. (Rire…). Mes œuvres ont toujours d’empreinte sur la femme. Dans ma vie, j’ai plus entendu d’histoires sur les femmes que sur les hommes. Elles souffrent silencieusement. Elles se sacrifient beaucoup pour des vies. Elles s’ouvrent lorsqu’elles se sentent en sécurité. Cette sécurité qu’elles ont trouvée chez moi les ont amenées à se confier à moi. Du coup, il m’a plu de leur rendre hommage en immortalisant toutes leurs histoires douloureuses. D’où ce projet d’écriture réalisé en mai 2020 avec la sortie du recueil de nouvelles ‘’Regard violé’’. C’est ma façon de redorer le blason de la littérature béninoise qui ne cesse de m’enchanter.

BL : Au départ, vous étiez mordu de poésie et avez même réussi à remporter des prix grâce à votre habileté à mimer Victor Hugo. Pourquoi n’avoir pas fait votre entrée dans l’univers littéraire par un recueil de poèmes, par exemple ?

EB : C’était la sortie d’un recueil de poèmes sur la femme qui était programmée. A la veille, j’ai renoncé à cela pour écrire ce recueil de nouvelles plus tard parce qu’il est selon moi, un genre plus accessible que la poésie. La poésie réduit les lecteurs à cause de son langage qui peut être codé. J’ai donc choisi d’écrire une nouvelle dans un français courant pour vite faire passer mon message d’hommage à la femme. Mes prochaines œuvres seront variées.

BL : Une chose frappe dès qu’on se plonge dans la lecture de ce recueil. Il s’agit de la place que vous y accordez à la femme. Vous en faites l’héroïne de chacune de vos nouvelles. Pourquoi ce choix de mettre en exergue la femme ?

EB : Comme je l’ai dit précédemment, le projet est né pour rendre hommage à la femme. Elle est au centre des histoires racontées. La femme dans chacune des nouvelles incarne l’amour, la douleur, la détermination, la bravoure parce qu’elle affronte les épreuves de la vie jusqu’à la mort. Cette incarnation fait d’elle une femme de forte personnalité. L’objectif poursuivi dans cette œuvre, c’est de faire comprendre aux lecteurs, la détermination de la femme au cœur de ses épreuves et aussi de leur démontrer que la femme ne commet rien sans raison. Il y a forcément un mobile qui la pousse à agir, soit à tuer, soit à se tuer. Il est alors de bon ton de lui reconnaitre sa valeur, sa place dans cette société où les inégalités battent leur plein. Elle ne doit pas être au regard des hommes, l’incarnation de la faiblesse et du mal mais plutôt une force en matière de droits et de responsabilités. Dans la littérature béninoise, je crois qu’il faut redéfinir le rôle de la femme et cesser de la cantonner dans des postures peu valorisantes.

BL : Une autre chose qui n’échappe pas au lecteur attentif, c’est le rôle de vos héroïnes. Que ce soit Lolita, Laura ou Ayiwa , vous en faites des victimes et des martyres. Pourquoi cela ?

EB : Nous sommes dans un monde où la femme a été toujours prise comme citoyenne de seconde zone. Elle vit sous le joug de la tradition qui la considère comme inférieure à l’homme. Elle subit les conséquences qui jaillissent des différends ancestraux qui la limite dans son choix de l’homme à épouser. Plus malheureux, malgré son sacrifice ou son amour qu’elle donne, elle se voit trahie, violée, violentée.

BL : C’est cela, pour vous, le sort de la femme, un éternel souffre-douleur ?

EB : Nous sommes dans un monde dynamique. Tout évolue. La mentalité change. Alors, nous ne sommes plus dans le temps où la femme n’a pas droit à la parole. Le sort de la femme n’est pas dans la douleur éternelle. Beaucoup de femmes ont compris aujourd’hui qu’elles ne sont pas nées pour subir. Elles savent qu’elles peuvent changer la situation de la femme qui court dans nos campagnes et villes. Nos sociétés se réveillent petit à petit en lui reconnaissant ses droits pendant longtemps bafoués. Il y a de même des associations qui militent pour cela. La sortie de ce recueil de nouvelles est une raison palpable qui prouve que la femme n’est aucunement née pour être victime éternelle du malheur. Les réactions des héroïnes à la fin des histoires, sont violentes et montrent donc leur contestation à ces situations auxquelles elles font face au quotidien. Ce livre est une œuvre de dénonciation.

BL : Vos nouvelles mettent en scène des personnages relativement jeunes. Vous plantez le décor des trois premières dans le milieu universitaire. À croire que la cible principale de votre livre constitue la jeunesse estudiantine. Qu’en dites-vous ?

EB : Le milieu universitaire est le reflet de nos sociétés. Toutes les réalités sociales sont présentes en miniature à l’université. Les cadres des récits ont été choisis en fonction de la couleur de l’histoire vécue par chaque héroïne.

BL : En plus de votre casquette d’écrivain, vous arborez, entre autres, celle de président d’une association versée dans le social. Parlez-nous de la genèse de Charity Club International et de ses ambitions.

EB : Charity Club International est une association sociale qui s’investit dans la solidarité et la charité envers les démunis, les personnes vulnérables, les orphelins, les enfants et les femmes. Elle milite pour un monde plus humain comme le martèle sa devise. Pour cela, elle œuvre pour plusieurs objectifs à savoir:

  • Réaliser des concours entre cultivateurs dans les campagnes en se basant sur les bonnes procédures et la qualité des cultures à travers l’activité ‘’Agriculture, ma culture’’.
  • Révéler les talents des enfants démunis ou de rue après les avoir entretenus, en leur offrant des formations dans leur domaine de passion.
  • Tourner des films et exposer des œuvres d’art et littéraires pour dénoncer la violence faite aux femmes et aux enfants.
  • Planter des arbres et sensibiliser la population sur la protection de la faune et de la flore à travers l’activité dénommée ‘’Espace Vert’’ et l’exposition des photos sur le thème ‘’Nature étouffée’’.
  • Sensibiliser les femmes vendeuses sur la propreté et la sécurité alimentaire en décernant le meilleur prix de la qualité alimentaire à travers l’activité ‘’Ma santé d’abord !’’
  • Soutenir par un quelconque moyen les personnes vulnérables et les orphelins et rendre leur milieu propre tout en organisant une campagne dénommée ‘’100 frs pour sauver une vie’’ en leur faveur.
  • Organiser des campagnes de sensibilisation sur les méthodes préventives contre les maladies qui sévissent notre monde actuel.

BL : Quel accueil le lectorat a-t-il fait au Regard violé ?

EB : Les lecteurs (européens et africains) ont accueilli favorablement mon livre et lui accordent un grand intérêt. Ils trouvent les thèmes abordés, d’actualité. Ce qui est encore plus intéressant à leurs yeux, c’est le fait que j’ai glissé de la poésie, du chant et des proverbes dans ce recueil de nouvelles pour lui donner une saveur littéraire gourmande.

Leur attention porte aussi sur l’image de la première page de couverture et donc ils cherchent à comprendre pourquoi une femme blanche. Je leur fais savoir que l’œuvre n’a aucun rapport avec la couleur de peau. Elle parle plutôt de la femme. Nous devons alors effacer cette mentalité qui nous pousse à faire un choix selon notre appartenance. Plus clair, les histoires relatées peuvent être vécues par les femmes noires, blanches, rouges ou jaunes. C’est une œuvre universaliste.

Ils cherchent également le sens que je donne au titre de l’ouvrage. Regard violé est une métaphore qui désigne une femme vierge, une âme innocente ou une femme d’amour ayant vécu des épreuves douloureuses dans sa vie comme la violence, la trahison, le viol, les déceptions, la solitude en amour, malgré son sacrifice. Toutes ces situations horribles qui défigurent son regard premier constituent les mobiles dans sa folie de se venger, de tuer ou de se tuer.

BL : La lecture devient de plus en plus une corvée pour beaucoup, les plus jeunes, surtout. En tant qu’écrivain et enseignant, quel remède prescrivez-vous à cette phobie presque épidémique sous nos cieux ?

EB : A ce problème, il faut que les écrivains ou associations littéraires initient des concours pour inciter les jeunes à la lecture. Ces concours peuvent être du genre à récompenser des jeunes tout en leur offrant des vivres, de l’argent ou des formations dans leur domaine de passion.

BL : Comment appréciez-vous vos premiers pas dans le milieu littéraire béninois et comment trouvez-vous globalement ce milieu ?

EB : Mon entrée dans le milieu littéraire (en particulier la littéraure béninoise) a été très encourageante. Un monde impressionnant de lecteurs a accueilli chaleureusement mon œuvre. Mais il faut noter qu’il manque de solidarité entre les écrivains au Bénin. La chose la plus louable que je souhaite, c’est de voir les ainés tendre la main aux jeunes qui entrent dans le milieu. Nous écrivons bien au Bénin. Malheureusement, plusieurs sont ces écrivains qui ne vivent pas de leur art ou manquent de politique de se faire connaitre. Il manque aussi des initiatives à leur endroit pour plus les faire connaître sur le plan national et international.

BL : Vous ne comptez certainement pas vous en arrêtez à ce seul recueil. Parlez-nous de vos projets littéraires en cours ?

EB : Il y a un concours social et littéraire en cours dénommé ‘’Flamme’’ qui vise à amener les jeunes à concourir pour remporter des trophées, vivres, de l’argent et plein d’autres lots à la femme de leur choix (mère, sœur, femme, fille). Bientôt, une œuvre dramatique et romanesque naitront.

BL : Où et comment peut-on s’offrir Regard violé ?

EB : Le livre est disponible dans les librairies Notre Dame, SONAEC, Le Rosier et au siège de Charity Club International au carrefour Parana. Les contacts sont : +2269 66432483 ou +2269 99992444.

BL : À part Regard violé, quel(s) livre(s) pourriez-vous recommander ?

Les impatientes de Djaili Amadou Amal, Essen’ciel de Mireille Bergès, Le ventre de l’Atlantique de Fatou Diome, Cocogirl de Rodrigue Atchaoué, Le mandat d’Ousmane Sembène et tous les ouvrages de Fatou Diome etc.

BL : Votre portrait chinois :

– Un personnage historique : Nelson Mandela

-Un héros ou une héroïne : Nelson Mandela

-Un livre : La Bible

-Un auteur : Sembène Ousmane

– Un animal : Une colombe

-Un plat : riz

-Une qualité : humilité

-Un défaut : curiosité

BL : Merci M. Bonouadi pour votre disponibilité. Votre mot de la fin.

EB : Je tiens à vous remercier très sincèrement pour l’intérêt que vous portez à cette rencontre. J’espère que j’ai réussi à vous répondre totalement comme vous l’avez souhaité. Si non, veuillez m’en excuser. Je voudrais nous inviter à prendre conscience des conséquences qui pourraient jaillir de l’ignorance de la littérature et de vite passer aux actions censées pour redresser la pente. Longue vie à Biscottes littéraires et à mon lectorat.