« Je suis juste écrivain de mon temps.  » Ainsi se définit fondamentalement, celui que nous recevons pour vous en ce jour, chers amis de Biscottes Littéraires. Il se nomme Fidèle Goulyzia, journaliste écrivain ivoirien qui croit fermement que « L’engagement revêt l’acception qu’on veut lui donner. »

BL : Bonjour cher Fidèle Goulyzia. C’est une grande joie pour nous de vous recevoir sur notre blog. D’entrée, nous vous remercions pour avoir accepté de répondre à nos questions. Pour commencer, nous souhaiterions que vous vous présentiez aux lecteurs de Biscottes littéraires.

FG : Parler de soi est un exercice complexe quand on veut repousser sans cesse la tentation d’un narcissisme béat. Mais pour les besoins de la cause, je vais m’y prêter. Je suis juriste internationaliste de formation et journaliste de profession d’origine ivoirienne. Passionné de voyages, de cultures et de contacts humains. J’ai passé trois belles années de ma jeune carrière de reporter au Bénin d’abord en tant que journaliste agencier pour le compte d’une agence de presse privée Alerte Info avant de rejoindre plus tard LC2 Télévision. C’est au Bénin que j’ai tissé mes plus belles amitiés dans le milieu du journalisme. Je dois beaucoup à ce pays.

BL : Quand avez-vous rencontré l’écriture romanesque ? Et comment vous est venue l’envie d’écrire ?

FG : Ma rencontre avec l’écriture romanesque remonte à ma prime enfance, au contact de la lecture. Mon père était instituteur et bibliothécaire. A l’époque, tous les instituteurs compilaient chez eux les journaux du parti unique. Je m’abreuvais de lectures diverses. C’est à partir de la classe de 4è que j’ai commencé à m’intéresser à la littérature africaine. Et la Carte d’identité de Jean Marie Adiaffi, les Soleils des indépendances d’Ahmadou Kourouma et le Vieux Nègre et la médaille de Ferdinand Oyono m’ont définitivement imposé un style satirique, à la limite de la grivoiserie. Mes déclinaisons langagières ouest-africaines, je les dois aux personnages de Mélédouman, Fama et Méka qui ont forgé cette écriture romanesque en moi. J’ai toujours eu envie d’écrire.L’écriture journalistique m’a montré le chemin de la littérature. J’ai mis trois années à mûrir ce projet littéraire. Tout est parti de mon reportage au Mali, une semaine après l’attentat contre le Radisson Blu en novembre 2015 qui a fait plus d’une vingtaine de morts. J’ai été frappé par la résilience des Maliens que j’ai rencontrés à Bamako face à l’attaque terroriste. Quelques mois plus tard, en mars 2016, la Côte d’Ivoire, jusque-là épargnée, a été victime d’une attaque terroriste dans la ville balnéaire de Grand-Bassam. J’étais à Abidjan ce dimanche 13 mars 2016, jour de l’attaque. J’assurais la permanence du site d’informations dont j’étais le rédacteur en chef. Le troisième fait qui m’a encouragé, c’est la situation du confrère camerounais Ahmed Abba, correspondant de RFI, accusé de non-dénonciation d’actes de terrorisme et qui a passé 29 mois en détention préventive avant d’être libéré en décembre 2017. Ces trois faits, mis l’un dans l’autre, m’ont définitivement convaincu d’écrire un roman qui traiterait  de la menace terroriste et des questions sous-jacentes de bonne gouvernance, de crise démocratique et de la liberté de la presse.

BL : Dans votre roman à paraître « Tchapalo Tango », il est question d’un jeune journaliste Paul Stokely. Serait-ce une autobiographie ? Vous vous identifiez à lui ?

FG : C’est une question qui revient (rires).Mais rassurez-vous ! Je n’aimerais pas être à la place de Paul Stokely, amant de la maîtresse du porte-parole du gouvernement de Dougoutiana, obligé de s’exiler parce qu’on l’accuse faussement de complicité de terrorisme. Ce n’est pas heureusement mon cas ! (rires). Mais il y a une génération de journalistes qui s’est battue avec sa seule volonté d’apprendre, qui peut s’identifier au parcours de Paul Stokely. Paul est étudiant en sociologie. Il vient de terminer sa licence et il doit prendre en charge la grossesse de sa petite amie. Le seul « job alimentaire » qui se présente à lui, c’est le journalisme. Et c’est dans un cabaret où l’on commercialise le tchapalo (tchapalodrome) qu’il rencontre son mentor dans le journalisme. La thématique de la liberté de la presse abordée dans ce roman est universelle et parle forcément à tous les professionnels des médias dans le monde et à tous les militants des droits de l’homme et de la démocratie tout simplement.

BL : La thématique que vous avez choisi d’aborder dans votre roman est très actuelle. Est-ce que vous vous inscrivez dans l’univers littéraire en tant qu’écrivain engagé?

FG : Je suis juste écrivain de mon temps. L’engagement revêt l’acception qu’on veut lui donner. L’engagement n’est pas que politique. Je ne suis pas dans une classification des plumes entre écrivains à l’eau de rose, aux écrits édulcorés et évasifs et ceux à la plume véhémente et conquérante. Autant Camara Laye était engagé dans ses descriptions idylliques dans  l’enfant noir, autant je trouve un engagement frontal et sans concession chez les chantres de la Négritude comme Damas ou Césaire.  Pour moi, tout est engagement dans le choix de vie. La petite vendeuse au carrefour d’Allada qui vend ses morceaux de viande grillée est engagée dans la lutte pour  sa dignité tout autant que l’étudiant d’Abomey-Calavi qui veut obtenir un titre  universitaire.

BL : Est-ce que le but d’écrire un roman est d’abord de dénoncer, de décrier une réalité brute? Vous vous sentez une mission lorsque vous écrivez ou vous suivez tout simplement votre imagination ?

FG : Tout dépend de qui tient la plume. Je ne suis pas vraiment adepte de débats d’école sur la fonction première du genre romanesque. Je me sens très à l’aise dans ce genre parce qu’il est pour moi une continuation codée du journalisme que je pratiquais jusqu’à présent. Je veux juste décrire une réalité. Les Lecteurs ont leur propre opinion à se faire. Ils ne sont pas dépourvus de sens non plus. Ils comprennent les mots et c’est le début d’un éveil ou d’un enracinement de la conscience citoyenne. Je ne me crois pas investi d’une mission prophétique quand j’écris. Par contre, je n’ai l’âme de quelqu’un qui s’appesantirait à décrire les senteurs d’un fromage de chèvre là où son peuple est oppressé par une autocratie délirante.

BL : Quelles sont vos sources d’inspiration ?

FG : Mon vécu professionnel, mes expériences humaines et mes souvenirs d’enfance sont de véritables terreaux fertiles pour moi. J’y puise chaque fois des réminiscences pour bâtir mes récits. Ma formation de juriste se ressent souvent dans mon champ lexical et mon esthétique d’écriture. C’est également une source d’inspiration pour moi quant à l’angle à aborder sur un sujet précis.

BL : Dans votre roman, vous parlez de Farafinaso. Si l’on vous dit que c’est de l’Afrique vous parlez, que diriez-vous ?

FG : C’est fort probable. Dougoutiana, Kluiklui-land, Fafafinaso, Koumba Tchefing…bien sûr que tout cela sonne ouest-africain. Mais je n’écris pas en épinglant des maux propres au continent noir. Etymologiquement, Farafinaso veut dire en malinké « pays des hommes à la peau noire ». Je pars d’un particularisme géographique pour me projeter vers un universalisme dans lequel tous les Hommes partagent une communauté de préoccupations. La menace terroriste et la liberté de la presse n’ont pas de couleur de peau.

BL : Vous vivez en France mais vous réclamez aisément votre « africanité ». Comment un écrivain africain est perçu en Occident ? Vivez-vous pleinement votre passion d’écrire ?

FG : Je vis pleinement ma passion décrire depuis que j’ai choisi le journalisme. C’est la forme littéraire que j‘embrasse avec ce premier roman. Je ne sais pas si je suis à l’aise avec mon africanité. Je vous parle dans une langue qui n’est mienne, avec en prime un vouvoiement langagier que je ne retrouve pas dans ma langue maternelle. Mon africanité, c’est ma parure intérieure que ma terre natale m’a léguée. Mes valeurs de respect de la communauté, des aînés. Après, je me préfère être humain tout simplement. Sur la condition des écrivains africains en Occident, je ne peux pas avoir la prétention de parler à leur place. Mais pour avoir côtoyé certains d’entre eux en tant que journaliste, je peux dire qu’ils sont à féliciter. Ils vivent dans un monde où pour exister, ils doivent se justifier et démontrer qu’ils écrivent tout aussi bien que leurs homologues caucasiens. Ils sont perçus comme un exotisme tropical. Et bien souvent la double nationalité vient leur donner une visibilité certaine que beaucoup d’autres talents africains n’auront pas. Je refuse cet exotisme étriqué qui veut que l’écrivain africain soit confiné dans un zoo littéraire à chaque grand salon en Occident.

BL : Quelle est votre vision idéale pour l’Afrique ?

FG : Une Afrique au firmament de ses potentialités qui n’a aucun retard à rattraper si ce n’est celui de la mise au diapason de ses richesses avec ses ambitions de renaissance, comme le soutient Felwin Sarr. Une Afrique décomplexée qui tourne le dos à l’eurocentrisme. Pour cela, Il faut l’émergence d’une race de dirigeants non pas élitiste sorties de grosses usines universitaires de prêts-à-porter intellectuels. Mais des leaders qui aiment leur pays  tout simplement et sont sans complexes dans leurs rapports avec les autres Etats.

BL : On dit qu’un peuple sans culture est un peuple perdu. Vous avez eu à côtoyer plusieurs cultures. Pour vous, quelle est la place de la culture dans le monde ?

FG : La Culture, tout le monde en parle ! Mais pas il n’y a pas grand monde quand il s’agit de se bouger. Si on décide que c’est le cacao ou le coton qui font vivre nos Etats, alors on est parti pour un nouveau siècle d’extraversion économique. Il faut que cesse ce rôle d’amuseurs publics dans lequel sont confinés tous ceux qui ont choisi la culture pour s’exprimer. Le métier de reporter sur le continent africain vous fait prendre conscience qu’il y a tellement de talents qui n’attendent que d’être découverts et qui ne verront jamais la lumière faute d’encadrement. On se plaint de l’hégémonie de l’ancienne puissance colonisatrice sur nos terres, pourtant son soft power est indéniable. Tous ses instituts sont des creusets culturels qui valorisent mieux les artistes locaux. Tout est dans la volonté politique. Il faut sortir du stade de divertissement abrutissant pour atteindre celui d’industrie culturelle capable d’employer ingénieurs et acteurs d’entreprises culturelles. Cela est de l’ordre du possible.

BL : Si vous aviez le choix, voudriez-vous éditer une fois en Afrique ?

FG : Bien sûr ! Pour moi, tout est dans la relation de confiance entre l’éditeur et l’auteur. C’est aussi une relation humaine qui se bâtit de l’acceptation du manuscrit à la distribution de l’œuvre. J’ai une admiration particulière pour tous les acteurs du livre sur le continent qui se battent au quotidien pour faire vivre un secteur sinistré, parent pauvre des politiques culturelles, si elles ont la chance d’exister.

BL : Que pensez-vous de la géopolitique actuelle et de la gouvernance sous les tropiques ?

FG : Le continent africain cherche encore ses repères. Les pays africains doivent s’adonner à un savant jeu d’équilibrisme pour ménager la susceptibilité de l’ancienne puissance coloniale (pour le cas des anciennes colonies françaises) qui voit toujours d’un mauvais œil la moindre hardiesse politique d’un dirigeant. Les velléités d’hégémonie chinoise, russe,  turque, iranienne sont indéniables. L’Afrique doit prendre garde à ne pas être recolonisée puisqu’elle reste le seul continent îlot de croissance économique. Pour cela, améliorer la gouvernance économique, financière et le leadership est impérieux. La lutte pour l’autodétermination monétaire et politique est précieuse. Mais elle serait vaine, si nous formons des citoyens sans valeurs de probité qui cherchent de hautes fonctions publiques pour s’en mettre plein les poches.

BL : « Tchapalo Tango » est publié depuis novembre aux Éditions Captiot en France. Comment ce livre a–il été accueilli en Afrique ?

FG :  Je n’ai pas écrit ce roman en pensant au jury d’un prix littéraire spécifique ou pour être adoubé par une communauté d’écrivains. J’ai écris ce roman en pensant à mon lecteur à Djougou ou Bohicon  au Bénin, à celui de San Pedro, Odienné en Côte d’Ivoire ou encore au lecteur d’Owando, de Ouesso ou Kinkala au Congo-Brazzaville. C’est à eux de décider du succès de ce livre. Mais réussir à l’éditer déjà est une victoire pour moi.

BL : Quels sont vos projets littéraires après ce roman ?

FG : Plusieurs projets fourmillent dans mon écosystème littéraire. Je peux vous confier  déjà que mon prochain roman portera sur les relations France-Côte d’Ivoire, sous le prisme d’un couple mixte qui décide de s’installer à San Pedro, deuxième ville portuaire du pays, ville du cacao.

BL : Votre mot de fin

FG : Mon plus grand bonheur, c’est d’aller à la rencontre de ceux pour qui j’ai écris ce roman. Particulièrement pour le continent africain, ma maison d’éditions travaille à nouer des partenariats de distribution de l’œuvre dans les circuits habituels de distribution du livre, et ce dans les plus brefs délais. C’est une aventure qui commence pour moi. Je suis certain qu’avec le soutien de tous les lecteurs, elle sera belle et riche d’émotions.