Trop tôt…A 55 ans, l’homme qui hantait ses nuits et motivaient ses ambitions de réussir venaient de tomber. Yaëlle avait senti son échine se glacer, sa gorge se coincer et son cœur se serrer à la nouvelle. Pourtant aucune goutte de larmes n’avait pu couler de ses yeux…

Yassir s’était donc éteint. Vraiment ? Elle n’avait pas fini de le défier ; de le surprendre. Pourquoi fallait-il que la mort le fauche si tôt. Son oncle David lui avait confié récemment que son père même s’il ne le lui disait pas était fier de ses succès ; de son ascension professionnelle et de sa réussite sociale mais qu’il était trop guindée, trop snob pour le lui avouer….

Enfin de compte ; Yaëlle devait sa réussite à cet homme, son géniteur. C’était à cause de lui ; qu’elle avait veillé toutes ses nuits pour étudier ; qu’elle avait rassemblé tous ses sous pour lancer son commerce de cosmétiques ; aujourd’hui géré par sa mère ; c’était à cause de lui qu’elle avait choisi de devenir une diplomate ; c’était à cause de lui ; qu’elle avait développé une soif inextinguible d’ambitions. Et si elle avait réussi, c’était pour lui prouver qu’elle pouvait réussir sans lui ; qu’elle pouvait construire un avenir sans lui. A la réflexion ; Yaëlle nourrissait inconsciemment le désir de devenir une fierté pour ce père qui l’avait de tout temps rejeté, ignoré.

Ce soir-là, Yaëlle n’avait pas pu pleurer mais elle n’avait pas fermé l’œil de la nuit. Après avoir couché les enfants ; Ben était venu sans mot dire se blottir contre elle dans le lit conjugal.

  • Bae….
  • Oui chérie
  • Tu te décides à me dire enfin ce qui te rends muette ?
  • Yassir est mort…Mon papa n’est plus…enfin mon géniteur je veux dire…
  • Ella ; il n’y a aucune honte à éprouver des sentiments pour quelqu’un aussi détestable que tu puisses penser qu’il soit. Tu es son sang et que tu le veuilles ou non ; il est ton père.

Yaëlle soupira :

  • Ils seront tous là…je ne les connais même pas…Je ne sais pas si j’ai vraiment envie d’aller à cette rencontre.
  • Ce sont tes frères ; ils feront avec et toi aussi. Je suppose qu’il s’agira d’obsèques et d’héritage ?
  • Héritage ? ricana Yaëlle. Je n’ai pas envie d’en entendre parler. Sans fausse modestie, je me suffis et je vis bien. Rien à foutre de l’héritage d’un homme qui n’en avait que faire de moi de son vivant…
  • Soit…Il te faut dormir pour retrouver des forces. Demain est un autre jour.

Ben savait qu’une Yaëlle émotive n’était pas raisonnable pour deux sous et comptait sur la nuit pour lui porter conseil.

 

Le lendemain aux aurores après une nuit agitée ; Yaëlle se décida à informer sa mère. Malgré le décalage horaire ; Geneviève serait déjà en éveil à pareil moment. Il devrait être quatre heures du matin sur Cotonou.

-Allô maman. Comment vas-tu ? Bien j’espère ?

-Bien ma chérie et toi-même ? Ben ? Et mes amours ?

-Ils vont tous bien Dieu merci. Ecoute…Yassir est décédée. Tante Jacqueline m’a appelée tard hier soir pour m’en faire part.

La jeune femme expliqua à sa mère, les conditions du décès et l’entendit soupirer à l’autre bout du fil

-Je mentirai ma fille si je disais que le décès de ton père ne m’émeut pas. Il fut quand-même mon premier amour et le père de trois de mes enfants. Ce n’est pas comme si il n’avait pas compté      …

-Je sais maman…J’imagine…Mes sincères condoléances….Comment vas Sébastien?

-Il va bien. Il est à côté. Tu souhaiterais que je te le passe ?

-Oui maman mais avant je voudrais te dire que je dois me rendre au Canada dans une semaine pour la réunion des enfants de Yassir. Il sera enterré là-bas.

-Ok. Compris ma fille. Que Dieu t’accompagne et te ramène et que les anges bienveillants qui sont avec toi te protège de tout mal. Tu es fille de grâce et de bénédictions et tu le demeureras. Tes frères jumeaux de l’autre côté du regard t’accompagnent pour rendre encore plus légitime ta présence au milieu de vos frères consanguins.

– « Amine nan ». Yaëlle s’était sentit fortifiée après cette litanie de bénédictions venant de sa bien-aimée mère. La jeune-femme savait que cela n’était pas vain. Les bienveillantes prières de sa mère l’avaient accompagnée toute sa vie. La preuve partie de rien ; délaissée par son géniteur, elle avait réussi malgré cette sensation d’injustice à se construire une vie  non moins respectable.

Sa mère avait connu Yassir très jeune, très naïve aussi. Yassir était mariée à une riche commerçante ; faisant croire à sa mère qu’il était célibataire ; amoureux et désireux de l’épouser. L’idylle était parfaite mais s’écroula très vite lorsque Yassir appris que Geneviève était enceinte de lui…

 

Lhys DEGLA