Chaque société a son histoire, une histoire qui se transmet de génération en génération à travers l’écriture (écrivains, historiens) ou l’oralité (griots). Malheureusement, l’histoire, à des moments donnés devient polémique et victime de la subjectivité de certains historiens. Ceux-ci y mêlent leurs propres opinions, leurs sentiments ou veulent juste raisonner selon leur tendance et par intérêt. Pour preuve, les historiens français nous ont longtemps conté notre propre histoire nous taxant même de peuples sans histoire puisque sans écriture. Le temps a font son œuvre et, dorénavant, l’Afrique peut bomber le torse et être fière son histoire, histoire écrite qui vient démanteler, déloger les anciennes et fausses vérités relayées par ceux qui ont toujours voulu voir en elle une race inférieure, un peuple sans passé. Chinua Achébé avait déjà flairé ce mépris, quand il écrivait : « Tant que les lions n’auront pas leur propre histoirel’histoire de la chasse glorifiera toujours le chasseur ». Les africains ont commencé par écrire leur propre histoire. Voilà pourquoi un accueil chaleureux fut réservé à la pièce théâtrale « Le gong a bégayé« , un ouvrage à portée historique et étudiée en classe de seconde au Bénin.

Pour mieux appréhender ce chef-d’œuvre d’Apollinaire AGBAZAHOU, nous vous proposons un topo reposant sur le résumé, l’étude des personnages, une étude thématique et des critiques. Mais avant, nous vous présenterons succinctement l’auteur.

 

I-Bref aperçu sur l’auteur.

Apollinaire AGBAZAHOU est inspecteur de l’enseignement secondaire du second degré, homme des lettres, enseignant de français. Il fut ancien président du Conseil d’Administration du Festival International du Théâtre du Bénin (Fitheb). Il reçut l’oscar des grands Prix d’Afrique Francophone en décembre 2011 pour sa contribution à la culture du Bénin.

Il est également l’auteur de :

– La bataille du trône (2010).

-Kalétas la mascarade, Flamboyant, 2011.

-« Douloureuses amours » in Même l’amour saigne, Plumes Soleil, 2012

-« L’empire noir sur la toile de l’univers » in Obama et nous, Plumes Soleil, 2013

 

II-Un bref aperçu sur « Le gong a bégayé »

« Le gong a bégayé » est une histoire fictive que l’auteur fait dérouler dans le palais royal de Danxomè. C’est, contrairement à la forme des autres théâtres écrits en actes et scènes, un ensemble de symboles car « la vie au palais est une forêt quotidienne de symboles » dixit l’auteur. Au nombre de six, chaque symbole apporte sa contribution à ce chef-d’œuvre. Symbole d’ouverture : l’élément déclencheur fut installé automatiquement. Vidaho, moderniste, va sommer Kpanligan d’arrêter les louanges des ancêtres pour s’affairer à autre chose. Mais Kpanligan, au début imperturbable, continua jusqu’au moment où voulant signifier l’importance de son travail, pécha (la langue lui fourcha) et le gong aussi se mit à bégayer. Double crime qui ne peut être pardonné par le roi qui entre en scène fâché, avec Migan, prêt à s’exécuter. Le droit de réponse fut accordé au malheureux griot pour s’expliquer. C’est ainsi qu’il dénonça le prince Vidaho d’être celui qui fit bégayer le gong.

Deuxième symbole : un laps de temps est laissé à Vidaho pour préparer son droit de réponse vu qu’il est le véritable coupable. Avec Migan et Kpanligan en scène, la lutte des idées entre tradition et modernité continua ; l’inquiétude de Kpanligan grandissait car Vidaho est un prince héritier pas un griot qu’on peut décharger facilement. Le roi revint sur scène pour ouïr les raisons qu’émettrait son fils avant qu’il ne fût déchargé.

Troisième symbole : Migan et Kpanligan rendirent compte au roi des ambitions outrecuidantes de son fils qui pensait à une révolution culturelle dans le royaume. Vidaho essaya de tenir tête à son père. Alors celui-ci, dépassé, congédia l’assistance pour un tête à tête avec son fils. Ce symbole exprime qu’un roi ne se « dénude » pas en plein jour, il trouve toujours une possibilité pour ne pas se faire ridiculiser.

Quatrième symbole : Le roi se mit à discuter avec Vidaho espérant le faire raisonner mais celui-ci ne quitta point son point de vue. Décidé à le maudire pour son affront, Kinnoumi, la promise de Vidaho entra en scène, apaisa le roi et se montra plus ouverte à l’histoire de Danxomè. Le roi leur indiqua le mode de désignation des rois et leur fit comprendre que les blancs racontent bien ce qui avantagerait leur culture à eux et nous y contraignent ou l’inculquent à nos enfants à l’école. Pour preuve, l’esclavage est mal conté. Ce symbole s’acheve sur l’appel de Kpanligan sur scène.

Cinquième symbole : « l’histoire est la torche qui éclaire les sentiers de l’avenir « . De plus, « notre histoire est merveilleuse et le culte du beau est dans notre sang« . C’est ce qu’on retient à ce niveau. En effet, Kpanligan revint sur scène, lui, la mémoire du royaume pour expliciter le phénomène de l’esclavage. Et c’est là que l’on comprend amplement les réserves de vérités dans l’histoire inculquée à l’école des blancs. On retient aussi qu’au Danxomè, les germes de la démocratie étaient déjà présents dans la gouvernance car le prince Danxomenou est le produit de la société, de la classe dominante et de celle dominée. Il doit être de sang mêlé. À la fin du symbole, le roi confia à Vidaho la signification de la jarre trouée de Guézo voulant faire participer toutes les couches de son royaume au développement: « si tous les danxomènous venaient de leurs doigts boucher les trous de cette jarre trouée, alors la patrie est sauvée » confiait-il.

Symbole final : tous les acteurs de la scène allèrent de leurs doigts boucher les trous de la jarre trouée en commençant par Vidaho. Désormais, il est fier d’être un roi prédestiné, fier des pratiques traditionnelles de son royaume. Bien des fois, il nous suffit juste d’une explication ou une persuasion paisible pour nous ressaisir ou reprendre bon chemin. Ce symbole finit sur une note de joie, de satisfaction, d’intérêt pour la tradition.

 

III-Etudes des personnages

Cinq personnages sont présents dans ce théâtre.

Le roi: Père de vidaho, il est le chef, le guide et le responsable du royaume de Danxomè. Patient et perspicace, il usa de ses atouts pour ramener son fils à la raison. C’est un exemple de père à suivre. Il a su défendre la tradition lors du choc tradition-modernité.

Vidaho: Prince de Danxomè, héritier du trône. Farouche guerrier du modernisme au début, c’est lui qui fit bégayer le gong. Quelques fois indélicat dans ses impressions, il est appelé à prendre pour épouse Kinnoumi.

Kinnoumi: Promise de Vidaho, belle et intelligente. Elle aida Vidaho à considérer les paroles paternelles et fut celle qui empêcha sa malédiction. Exemple de fille africaine à suivre. Kpanligan: Griot du roi, mémoire du royaume, « incarnation vivante des archives sonores du Danxomè« . Il fut le premier à être accusé après le bégaiement du gong. Avec l’avis du roi, il illumina les ténèbres de Vidaho sur le phénomène de l’esclavage au Danxomè.

Migan: Main punitive du Royaume, il exécute les sanctions qu’exigent le roi et le règlement.

 

IV-Etude thématique

Deux thèmes s’imposent à la lecture de ce livre: Traditionalisme et modernisme. Le traditionalisme

1- Le traditionalisme

Selon le dictionnaire Larousse Poche+2016, le traditionalisme est l’attachement aux idées, aux coutumes transmises par la tradition. La tradition, quant à elle, est la transmission de doctrines religieuses ou morales de légendes, de coutumes par la parole ou par l’exemple, ce qui est transmis. Les traditionnalistes de cet ouvrage sont le Roi, Kpanligan, Migan, très attachés aux habitudes à eux léguées par leurs ancêtres. Pour eux, c’est un grand affront aux aïeux que le gong bégaie ou que la langue fourche au griot. Les pratiques traditionnelles révèlent nos identités culturelles. Elles nous font découvrir notre histoire, la gloire de nos prédécesseurs et nous ouvrent l’esprit pour de meilleurs défis. Les renier, c’est, en quelque sorte, se perdre, perdre son chemin. C’est même perdre la boussole de sa vie car on ne saurait savoir là où l’on va si l’on ne sait d’où l’on vient. Notre passé nous est utile. Il faut reconnaître, cependant, qu’il y a des pratiques traditionnelles qui effraient et écœurent, confrontent à de lourdes souffrances. La meilleure solution est d’élaguer les mauvaises pratiques et celles requérant mort et sang des pratiques traditionnelles.

2- Modernisme

Le modernisme est la recherche, le goût de ce qui est moderne. Être moderne, c’est appartenir au temps présent ou une époque récent bénéficiant des progrès les plus récents. La modernité est donc le caractère de ce qui est moderne. Le moderniste de l’ouvrage est Vidaho. Pour lui, il faut évoluer avec le temps. Les pratiques traditionnelles deviennent rétrogrades et il faut les abandonner et progresser. C’est cette idée qui l’a conduit à faire bégayer le gong. Ce qui est intéressant en effet, comme lui, on constate la même manie chez les jeunes gens de nos jours. Pour eux, il faut être dans ce qui est là, ce qui est en vogue. Il faut automatiquement délaisser les vieilles habitudes pour les nouvelles. Or, ils oublient que ce sont des vieilles habitudes que naissent les nouvelles. C’est au bout de l’ancienne corde qu’il faut tresser la nouvelle.

Au demeurant, modernistes et traditionalistes, dans leur choc, doivent se rendre à l’évidence qu’il y a un point commun aux deux modes de vie et qu’il est souvent meilleur de moderniser (améliorer) ce qui est traditionnel mais ne jamais abandonner la tradition pour la modernité.

 

V-Critiques

« Le gong a bégayé » est un théâtre riche d’originalité. Son originalité ne vient pas du fait qu’il traite du choc modernisme-traditionalisme (puisqu’avant lui, Seydou Badian dans Sous l’orage et Wolé Soyinka dans Le lion et la perle l’ont déjà fait) mais du fait d’avoir essayé de restituer une histoire, d’authentifier un fait, de faire valoir la tradition. Il conduit Vidaho dans l’intrigue à opter pour la tradition alors même qu’il était un farouche moderniste. Ainsi, cette œuvre à portée historique s’inscrit dans les archives du Bénin alors DANXOME (dans le ventre de Dan) à double titre : elle est étudiée comme œuvre au programme en classe de seconde et sert aussi de ressource livresque pour l’histoire danxoméenne.

Ce qui est également élogieux, c’est le style de l’auteur et la forme ou l’habit du texte. En effet, l’auteur a utilisé un style adéquat, travaillé, accessible à tout genre de lectorat. Il a préféré scinder le texte en symboles plutôt qu’en actes et scènes comme on en a l’habitude dans les pièces théâtrales. Le véritable souci est qu’il ne fait que louanger les ancêtres, les anciens rois, les pratiques traditionnelles de Danxomè. Or, il appert que tout n’a pas été aussi bien qu’il le dit, loin s’en faut. On pourrait comprendre que le souci de restituer une histoire « bafouée » l’aies conduit à cet atavisme fait d’envolées laudatives toutes à la gloire du passé danxoméen. Mais au delà de tout, « Le gong a bégayé » est et restera un ouvrage à portée historique dont il faut s’abreuver incessamment.

 

Conclusion

En définitive, ce chef-d’œuvre nous offre un tableau peint méticuleusement par un historien censuré, un choc entre modernistes et traditionalistes qui intéresse, plaît et enivre toute personne ayant l’aubaine de l’ouvrir. L’auteur interpelle par cette histoire tous les africains, en particulier les écrivains africains, sur l’urgence de s’investir dans l’écriture/réécriture de notre histoire. Nous sommes ce que notre histoire dit de nous. Nous sommes fiers de l’oralité, rendons fiers la postérité de notre écriture. L’histoire fait de nous des êtres fiers, fiers de ce que nos aïeux ont su bien faire et fiers de ce que nos fils trouveront de bien et pérenniseront. « Le gong a bégayé » cette fois-ci pour qu’à l’avenir il ne bégaie plus. « Le gong a bégayé« , une œuvre à portée historique très intéressante. Bonne lecture.

 

Emmanuel Amoni BACHOLA

 

  1. Un bon résumé, qui englobe tout et permettant d’avoir une bonne compréhension du contenu du livre même si on ne l’avais pas lu tout entier.

    • Merci, Monsieur LOGOSSOU pour le beau commentaire. Ce livre est riche, en effet