« Je n’ai pas le sentiment que cette génération actuelle soit perdue pour le livre. Si nous travaillons ensemble, parents, acteurs du système éducatif et associatif à mener une sensibilisation de long terme, les résultats seront à la hauteur de nos espoirs. » A le lire, l’on peut aisément deviner son optimisme, sa foi en l’avenir. Seydou GOUGNA, puisque c’est de lui qu’il s’agit, nous vient de la Côte-d’Ivoire. Il est auteur de deux livres. Votre blog est allé à sa rencontre, pour vous. Découvrons-le dans la pressente interview où il se dévoile totalement.

BL : Bonjour M. Seydou GOUGNA. Bienvenu sur notre blog. Veuillez-vous présenter.

GS : Je suis Seydou GOUGNA, Ivoirien, cadre dans une compagnie d’assurance de la place, écrivain et conteur à mes heures perdues.

BL : Vous êtes lauréat 2018 du Prix Bernard Dadié du jeune écrivain ivoirien. Waoh! Un an après, quels sont vos sentiments. Se remet-on facilement de l’émotion d’avoir reçu une distinction aussi prestigieuse?

GS : Ce fut et ça reste un immense bonheur d’avoir été le lauréat du très prestigieux Prix National Bernard B. Dadié du jeune écrivain. En être le lauréat montre l’estime des autres pour le travail accompli. Je reste toutefois conscient, qu’il me reste énormément de choses à parfaire. Ce prix consacre surtout une attente à confirmer.

BL : Ce prix, que représente-t-il pour vous ? Un défi personnel relevé ou un cadeau providentiel auquel vous ne vous attendiez pas?

GS : Quand j’eus terminé le manuscrit, je me souvins avoir dit en plaisantant à ma femme: “c’est le prochain Pulitzer.” en référence au prix qui récompense les meilleurs journalistes aux Etats-Unis. Ce livre en lui-même était un défi pour moi. Je m’étais promis d’écrire sur l’Egypte antique, d’apporter un nouvel éclairage sur cette civilisation et la rendre accessible à tous.

BL : Un livre sur Toutankhamon, pharaon de l’Égypte antique, c’est ce qui vous a valu ce Prix. Pourtant des légendes et héros ivoiriens, ce n’est pas ce qu’il y a de plus rare. Pourquoi un pharaon égyptien ? Pourquoi avoir cherché si loin ?

GS : Mon premier livre « Le royaume mystérieux et autres contes de la sagesse » est un recueil de trois contes dont deux rendent hommage au riche patrimoine culturel de mon pays. On y trouve un conte Bété avec « Le courage de Gnako » et un conte Djimini avec « Gbosso et le petit singe ». Ceci étant dit, je voulais juste préciser que Toutankhamon était un Africain et l’Egypte antique n’était pas si loin de nous. C’est justement ce genre d’approche qui tend à faire croire que l’antiquité égyptienne nous était étrangère qui m’a conforté à écrire ce livre. Il nous appartient de faire face à cette propagande insidieuse qui travestit la vérité.

BL : L’œuvre aurait pu être un essai, un livre d’histoire ancienne, comme la plupart des ouvrages axés sur des légendes du passé. Mais c’est finalement un roman. On se demande pourquoi.

GS : J’ai choisi d’écrire une légende parce que ce genre littéraire me permettait à la fois de prendre encrage dans la réalité mais aussi d’y associer le merveilleux et le fantastique. Ce livre est avant tout, une aventure extraordinaire, haletante qui oppose deux prétendants au trône d’Egypte. J’y décris aussi les rapports des Egyptiens sur le plan social, économique et culturel.

BL : Jeune écrivain, certainement pas des plus renommés de l’arène littéraire ivoirienne, vous êtes le porte-voix et l’exemple d’une jeunesse qui n’a pas fini d’impressionner. À votre avis, l’avenir de la littérature ivoirienne est-elle assurée ?

GS : La littérature ivoirienne est une aube qui se renouvelle sans cesse. Elle est riche de talents de toutes les générations. Ce qui est formidable aujourd’hui, ce sont les formations et les échanges instituées par l’AECI (Association des Ecrivains de Côte d’Ivoire) afin de renforcer les acquis des jeunes écrivains.Je n’ai aucun doute sur l’avenir radieux de notre littérature. C’est le lieu de saluer Gauz pour avoir reçu le Grand Prix Littéraire d’Afrique Noire 2018.

BL : Quels sont selon vous les défis à relever pour une littérature ivoirienne prospère ?

GS : Le plus grand défi de la littérature ivoirienne est sans nul doute, de transformer notre société en une amie du livre. Sacré défi que d’inculquer aux jeunes, aux prochaines générations, l’amour du livre sans le soutien massif de l’État. Bien entendu, les défis liés à la qualité et à la visibilité de nos œuvres, aux revenus dérisoires perçus par les écrivains sont indispensables à relever pour un rayonnement de la littérature ivoirienne.

BL : L’écrivain, selon vous, que doit-il écrire, qui doit-il être, quelle image doit-il renvoyer ?

GS : L’écrivain doit écrire son ressenti. Si son texte est utile aux lecteurs et qu’il revêt en plus une certaine esthétique, tant mieux.

L’écrivain est un citoyen libre, il doit garder ce regard lucide et critique sur la société. Il a le devoir moral de prendre position quand les libertés et la justice sont en péril. Il doit renvoyer l’image d’un sage. Enfin, ce serait l’idéal.

BL : Depuis quand écrivez-vous, pourquoi écrivez-vous ?

GS : Je crois que j’ai toujours écrit. Plus sérieusement, depuis la classe de 5eme. A l’époque, j’écrivais des récits d’une quinzaine de pages afin d’exorciser mes angoisses. Ce fut une thérapie heureuse pour moi, à un moment où ma mère fut très malade.

BL : Écrire, est-ce facile ? On se doute que non. Dites-nous un mot sur les difficultés qui jalonnent le parcours, le vôtre particulièrement.

GS : Écrire c’est quelque chose d’absolument magique, un pur bonheur. Sortir de son imagination un monde virtuel, créer des personnages, leur donner vie, un vrai plaisir. La principale difficulté est le temps qui manque avec les occupations professionnelles.

BL : Le livre nourrit-il aujourd’hui ?

GS : Un jour viendra. Certainement.

BL : Prix national du livre. Voilà un titre ronflant mais astreignant. Vous êtes désormais un garde-fou du livre, l’avenir de la littérature ivoirienne dépend aussi de vous. Que faites-vous de concret pour son rayonnement ?

GS : Je fais partie d’une dynamique qui essaie d’écrire de nouvelles pages de notre littérature. Avec d’autres, je sillonne de nombreuses écoles, participe à des rencontres, conférences et débats afin de sensibiliser les jeunes et les parents sur l’importance du livre. Nous avons créé avec des amis depuis 2013, une association caritative « Des Ptits Riens ». Nous offrons des mini-bibliothèques aussi bien à des écoles publiques qu’à des établissements privés,sans oublier, les manuels scolaires aux enfants de familles démunies.

BL : Inculquer l’amour de la littérature à une génération actuelle qui semble nourrir une rancune tenace contre le livre, Dieu quelle mission ! Comment vous-y prenez-vous?

GS : Je n’ai pas le sentiment que cette génération actuelle soit perdue pour le livre. Si nous travaillons ensemble, parents, acteurs du système éducatif et associatif à mener une sensibilisation de long terme, les résultats seront à la hauteur de nos espoirs.

BL : Qu’avez-vous comme projets littéraires ?

GS : Je travaille sur le Tome2 de «Toutankhamon, la légende de l’enfant pharaon» Je termine également un conte.

BL : La vie garde des choses jalousement pour elle. Elle les dévoile souvent contre le gré des dieux et des hommes.» La vie ne serait-elle finalement qu’une grosse capricieuse qui fait ce qu’elle veut des humains ?

GS : La vie est bien cette capricieuse qui semble même jouée des tours au créateur. Elle est jalouse et c’est la raison pour laquelle, il faut l’aimer exclusivement. Elle ne cède presque rien gratuitement et vous renvoie toujours l’amour que vous lui donnez.

BL : Toutankhamon, c’est le héros célébré. Un héros fragile, malade et gênant. Mais c’est finalement le héros définitif au détriment d’Amenhotep. Est-ce une preuve du caractère dérisoire de la vie qui ne fait que nous imposer ses choix ?

GS : La victoire de Toutankhamon est une leçon de vie. Nos sociétés ont créé des normes sélectives à tous les niveaux : qui est assez grand pour devenir gendarme, qui n’a pas de handicap physique pour embrasser le métier d’enseignement, qui n’a pas un casier vierge pour espérer concourir à la fonction publique. Bien souvent, nous sous-estimons ceux qui entrent dans ces clichés. Fort heureusement, la vie nous le rappelle.

BL : « Le royaume mystérieux et autres contes de la sagesse: recueil de contes » est un livre illustré. Quel rôle assignez- vous aux images dans l’univers du conte?

GS : L’illustrateur du « Royaume mystérieux et autres contes de la sagesse » est le talentueux Yapsy. Son travail a apporté du relief et du caractère au livre. C’est grâce aux illustrateurs, qu’un simple conte, devient une sorte de conscience morale indélébile pour le lecteur.

BL : Comment passez-vous vos journées ?

GS : Je suis très casanier de nature. Je m’organise toujours les weekends afin de trouver un peu de temps à consacrer à ma passion.

BL : Qu’est-ce que cela apporte/rapporte à l’Afrique d’être le berceau de l’humanité avec un passé pharaonique aussi impressionnant si ses fils meurent de faim?

GS : En Amérique, en Europe, des gens meurent dans la rue, de froid et ne mangent toujours pas à leur faim. Bien sûr que c’est un scandale.

Les difficultés que nous traversons ne sont pas une excuse pour tout oublier, renoncer à son histoire.

Toutefois personnes ne vit dans le passé, c’est même malsain. Mais, notre histoire commune doit être sue, sans complexe. Il ne faut jamais minimiser l’impact du passé sur le présent et l’avenir. Notre retard dans bien des domaines est d’abord mental. Quand nous arriverons à soigner et guérir cette vision négative que nous avons de nous-même, alors, nos efforts dans tous les domaines seront multipliés par mille. Il n’existe aucune fatalité sur l’Afrique.Aucune.

Je viens vous raconter un fait qui montre l’importance de ce que nous considérons comme sans intérêt. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, un sondage avait été fait auprès des Français et en Europe pour savoir ce qui avait fait basculer le conflit. A l’époque, dans leur grande majorité, tous étaient unanimes que c’est l’échec des Nazis en Russie et l’armée rouge qui ont rendu irréversible l’issue de la guerre. 50 après la guerre, les avis ont bien changé.

Les générations qui n’ont pas fait la guerre et qui ont regardé les films sont formelles, ce sont les Etas Unis qui ont gagné cette guerre. Que s’est-il passé entre temps ? C’est tout simplement l’énorme machine de propagande américaine qui a réécrit l’histoire à leur profit : les documentaires, le cinéma, les réseaux sociaux, et le tour est joué !

Quelle est l’image que nous avons des Russes aujourd’hui ? Vous croyez qu’ils pourront l’attendrir aussi facilement en une génération ?

BL : Que proposeriez-vous pour une redynamisation du secteur du livre en Afrique ?

GS : Avant, je pensais naïvement qu’il fallait juste de la volonté pour redynamiser le secteur du livre en Afrique. Il en faut bien plus et les pouvoirs publics seront au cœur ou non de ce bouleversement qualitatif. Que nos livres puissent voyager sans visa et sans autres taxes douanières en Afrique. Qu’il soit mis une véritable politique d’urgence qui dote les écoles et certains lieux publics de bibliothèque. Que les associations et autres bénévoles qui promeuvent le livre soient soutenus. Que l’écrivain ne soit plus le parent pauvre de notre culture, qu’il ait droit à une rétribution digne de son statut.

BL : Quels sont vos projets en matière de littérature ?

GS : De nombreux projets littéraires avec certainement de nouvelles publications. Je promets de vous en accorder la primeur dans les mois à venir.

BL : Gougna Seydou, un cœur à prendre?

GS : Je suis marié avec une passionnée de Cheikh Anta Diop. D’ailleurs, elle croit à un retour à nos racines africaines. Je suis père de deux filles.

BL : Qu’appréciez-vous chez une femme ?

GS : Tout homme espère trouver en sa seconde moitié, une complice, une amie et c’est vice-versa. Je n’aime pas me focaliser sur les défauts parce que j’en ai beaucoup trop.

BL : Qu’attendez-vous d’elle ?

GS : Pour moi, une femme est déjà quelqu’un d’exceptionnel pour en attendre quoique ce soit davantage. Si elle peut devenir une amie, une complice, ce serait l’idéal.

BL : Votre portrait chinois à présent. Vous répondez juste en un mot. C’est parti. Si vous étiez :

BL : Une femme ?

GS : Mésyt

BL : Une couleur

GS : Noir

BL : Un animal

GS : Buffle d’Afrique

BL : Un résistant

GS : Béhanzin

BL : Un repas

GS : Riz à la sauce graine avec tikriti

BL : Une qualité

GS : la patience

BL : Un défaut

GS : Opiniâtre

BL : Un feuilleton

GS : Commissariat de Tampi

BL : Un livre

GS : « La révolte d’Affiba », de Régina YAOU.

BL : Un personnage mythique

GS : ISIS

BL : Merci pour votre disponibilité à répondre à nos questions. Votre mot de la fin

GS : Je tenais à vous remercier pour le travail remarquable que vous abattez en faveur de la promotion du livre. Soyez bénis ! Merci à tous vos lecteurs et très bientôt!