« Mon féminisme n’a pas de couleur particulière. Il s’accommode de toutes les luttes en faveur de la femme. »

BL : Bonjour Madame Adélaïde FASSINOU (A. F). Merci pour cette interview que vous accordez à Biscottes Littéraires (BL). Pourriez-vous vous présenter à nos chers lecteurs?

AF : Je me nomme Adélaïde FASSINOU ALLAGBADA. Je suis professeur certifié de Lettres – Ecrivain, actuellement Secrétaire Générale de la Commission béninoise pour l’UNESCO

BL : Vous êtes éducatrice et mère de famille. Comment arrivez-vous à harmoniser les cliquetis de la vaisselle avec les gémissements et les appels de l’intérieur, quand vient l’heure des grandes inspirations?

AF : Les femmes béninoises sont des mères courage, femmes aux mille bras. Même des journées de 48 heures ne peuvent leur suffire. A la maison, au bureau et en société, elles veulent être présentes et parfaites ; assumer leur part de job afin que tout aille bien. Moi, c’est ce que j’essaie de faire. Ce n’est pas facile, mais, ça fait si longtemps que je surfe sur tous ces tableaux que j’y suis habituée.

BL : Vous êtes auteure d’une quinzaine de livres environ. Vous vous êtes illustrée dans le roman, la nouvelle et la poésie. Est-ce l’expression d’une soif de communiquer et de transmettre par tous les moyens possibles ce qui rugit aux tréfonds de vos entrailles de créatrice?

AF : J’ai à mon actif 14 ouvrages en divers genres comme vous l’avez si bien notifié. J’ai même des livres pour enfants, car à un moment donné, j’ai voulu communiquer avec la jeunesse d’ici et d’ailleurs. J’aime communiquer effectivement ; j’aime partager mes joies et mes peines avec ceux qui m’entourent. J’aime susciter des questionnements sur le monde, sur l’humanité ; amener les hommes à s’interroger sur le pourquoi et le comment des choses. Je veux que l’humain se sente concerné par tout ce qui concerne l’autre, car ce monde dans lequel nous vivons est devenu si déshumanisant qu’il nous faut revoir nos centres d’intérêt, afin de remettre l’Homme au centre de tout. Et dire comme l’autre : «  Il n’y a de richesses que d’hommes ».

BL : On découvre dans vos livres la récurrence des thématiques suivantes: la femme l’éducation et l’amour. Que ce soit dans « Jeté en pâture » ou « Ma vie entre parenthèses », et notamment dans « Le Journal d’Esclamonde », le lecteur sent de la part de l’auteure cette quête de l’amour, ce cri de cœur qui résonne derrière chaque mot et revendique ce que la vie et la société auraient arraché à la femme. Est-ce une expression du féminisme ou l’affirmation de la femme qui laisse jaillir de ses entrailles une supplique en faveur de la femme?

AF : Moi, je suis femme et j’aime la femme. J’aime tout ce qui a rapport à la femme et je me bats pour qu’elle évolue correctement et se sente vraiment à l’aise dans cette société créée par l’homme et pour l’homme. Toutes les fois que nos autorités cherchent à nous trouver une meilleure place dans cette société, on fait tout pour nous empêcher d’évoluer. Mais comme je l’ai écrit quelque part, la terre tourne, et il n’y a pas de raison pour qu’elle ne tourne pas du côté de la Nation Bénin.

En tant qu’éducatrice effectivement, mes livres, même sans y faire attention vulgarisent beaucoup d’enseignements en faveur de la gente féminine, des enfants, de la jeunesse qui nous est confiée en tant qu’enseignante. L’amour étant un thème transversal, tous les créateurs d’œuvres de l’esprit s’attellent à le répandre dans les cœurs des lecteurs des passionnés de la chanson et autres moyens d’expression artistiques. Quand l’amour est la chose la mieux partagée sur terre, la guerre recule et disparaît. Professons l’amour autour de nous, partout et en tous lieux. Lorsqu’on vit entouré d’amour, on se sent très heureux et on aime voir les gens heureux autour de soi. Donc l’amour est une denrée très vivifiante qui apporte beaucoup d’énergie aux humains en général. On ne devrait pas hésiter à en consommer à profusion. Et c’est pourquoi j’en parle abondamment dans mes œuvres. Et qui dit femme dit paix et amour. Je plaide énormément pour qu’on accorde à la femme sa place dans notre société. Afin qu’on vive dans la paix et l’amour.

 

 

 

 

 

 

BL : Les femmes, dans la littérature béninoise, ne sont pas les plus cotées. Quelles en sont les raison, selon vous? Que pensez-vous faire pour susciter chez vos consœurs un engouement plus fort pour la littérature?

AF : Vous savez qu’on ne force pas la créativité. Si mes consœurs n’ont pas d’engouement pour l’écriture, je n’y peux rien. Elles n’y pourront rien non plus. Si Aziza ne vous visite pas, vous ne pouvez pas le forcer à entrer chez vous. Si j’ai créé une Association de Femmes Ecrivains, c’est bien pour donner envie à mes jeunes sœurs de lier leur corde à la mienne. Mais je constate que ceci n’a été qu’un feu de paille. Pourtant, je ne suis guère découragée. Je continuerai le combat jusqu’au soir de ma vie, en tant que femme engagée qui n’a pas peur de se monter femme.

BL : Dans ce sens, quelles couleurs le féminisme prend-il chez vous, dans vos combats?

AF : Mon féminisme, je le revendique haut et fort, et j’affirme que cela me galvanise dans tous les combats que je mène au nom des femmes. Mon féminisme n’a pas de couleur particulière. Il s’accommode de toutes les luttes en faveur de la femme.

BL : Le monde évolue, et les mentalités aussi. De plus en plus, on assiste avec plaisir et joie, au fait que beaucoup de femmes vont au boulot. Mais pendant ce temps, les enfants sont confiés à la domestique. Le rôle de l’éducatrice qu’est la femme ou la mère de famille, semble délaissé au profit du « gagne pain ». Qu’est-ce que l’écrivaine et l’éducatrice que vous êtes pense de cette situation ?

AF : Nous sommes dans une société où les femmes n’entendent plus être traitées comme des marchepieds de la gent masculine qui, au nom de son pouvoir économique et financier, est souvent bien tenté de dominer et de mépriser celle qui porte et donne la vie. Et c’est heureux que les femmes aient compris que la source véritable de toute autonomie, est l’autonomie financière. Vous savez que bien des hommes abandonnent femme et foyer pour des motifs qu’ils trouvent valables. Mais si dans ces situations, la femme n’a aucun boulot, vous voyez vous-même que les enfants sont livrés à eux-mêmes, à la misère et à toutes sortes de vices. Je trouve très important que les femmes aillent au boulot. Mais courir derrière l’argent au point de délaisser l’éducation des enfants, j’avoue qu’il y a là un déséquilibre à corriger. Je pense qu’il faut toujours viser le juste milieu, trouver absolument du temps pour s’occuper des enfants. Il ne sert à rien de se faire de l’argent si les enfants sont mal éduqués. La domestique ne peut remplacer la mère auprès de l’enfant. L’enfant a besoin de sa mère pour bien croître.

BL : Depuis quelques mois trône dans les rayons de nos librairies une œuvre intitulée « Le temple de la Nuit profané ». Vous y affirmez que c’est la nuit qui est profanée. Mais à y voir de près, l’on peut être tenté de croire que ce qui est profanée, c’est moins la nuit que le temple de la vie que représente la femme. Qu’en pensez-vous?

AF : Si vous faites attention, vous auriez remarqué que le terme « Nuit » est écrit en majuscule. Cela désigne un être humain, en l’occurrence la vieille de 80 ans qui a été violée par le jeune homme qu’elle a élevé. Heureusement c’est le temple de la vie qui a été profané. Mais vu la violence de l’acte la nuit s’est abattue sur le village, sur la communauté. Raison pour laquelle on a pensé à cette métaphore de la Nuit. Je profite de cette aubaine que vous m’offrez pour saluer et remercier tous ceux qui ont œuvré à la publication de cet ouvrage collectif qui porte la marque de l’Association « Plumes Amazones ».

BL : « Plumes Amazones » : un label exclusivement féminin? L’Association de toutes les écrivaines béninoises ? La tribune officielle des femmes de lettres du Bénin? Un cercle fermé de quelques écrivaines de notre pays? Qu’en est-il réellement?

AF : « Plumes Amazones » regroupe une douzaine de femmes qui ont adhéré aux idéaux que prône cette association de femmes écrivaines. Le cercle n’est pas fermé, il est ouvert à toutes celles qui veulent faire entendre la voix des femmes à travers l’écriture. L’Association « Plumes Amazones » est ouvertes à toutes les écrivaines du Bénin, quel que soit leur âge, leur orientation littéraire. C’est notre affaire à tous, notre commune cause. Toutes les femmes de Lettres du Bénin y ont leur place, car je crois fermement que, nonobstant les projets particuliers, nous, femmes, devons nous unir afin qu’on nous accorde plus d’intérêt. Et je crois que la publication de notre première création collective, Le Temple de la Nuit profané a marqué un grand coup dans l’histoire de la littérature féminine au Bénin.

BL : La dénomination « Plumes Amazones » porte en creux une connotation guerrière et chevaleresque. Les femmes de Lettres du Bénin, à vous en croire, vont en croisade, elles vont à la guerre. Mais qui combattez-vous? Que combattez-vous au juste?

AF : Connotation guerrière ! Pourquoi, A cause du mot « amazone » ? Ben ! Vous avez raison, car nous voulons à notre tour monter à l’assaut de la bastille qu’est l’écriture, une place solidement tenue par les mâles dans notre pays. Nous revendiquons notre place sur cet échiquier et aspirons à une reconnaissance à part entière. Et nous entendons le faire dans la concorde, la cohésion, la tolérance et la solidarité, à l’image de nos amazones, nos ancêtres, si redoutables sur les champs de bataille qu’elles faisaient fuir l’ennemi…. Rires !

BL : Vous êtes aussi représentante de l’UNESCO au Bénin. Quel diagnostic faites-vous de la santé culturelle de notre pays le Bénin?

AF : Je dirige la Commission béninoise pour l’UNESCO qui est une direction du Ministère des Enseignements Maternel et Primaire. C’est l’interface entre le siège et le Bénin. C’est ma direction qui capte tous les projets de l’UNESCO et les dissémine dans les ministères et structures de notre pays concernés par lesdits projets.

En ce qui concerne la santé culturelle du pays, on peut se réjouir de ce que les choses aillent beaucoup mieux. La créativité est florissante ; chaque jour les œuvres paraissent. Bien que l’aide de l’Etat ne soit plus à l’ordre du jour, les hommes et femmes de culture ne baissent pas les bras et s’investissent dans ce qu’ils aiment et savent mieux faire. Créer le beau ! En réalité, l’Etat se réorganise afin que les choses se passent autrement. On ne pouvait continuer à entretenir ce clientélisme de mauvaise graine. On doit gérer correctement les finances publiques pour offrir leur chance aux artistes qui font du bon travail. Vraiment….

BL : Vous avez certainement beaucoup de projets….

AF : Pour le moment, je m’investis dans ma direction afin de la faire rayonner pour que l’UNESCO retrouve ses lettres de noblesse dans notre pays. Le Bénin a signé un Accord Cadre avec le siège de Paris le 03 avril dernier 2017, pour la réalisation de 16 projets répartis entre les cinq ministères de compétences de l’UNESCO. Bientôt, nous allons être si occupés qu’il faudra que je sacrifie quelque peu la littérature. Mais elle et moi ne faisons qu’une. C’est dire que je vis et respire littérature et ne dois mon nom qu’à elle.

BL : Avez-vous un mot à l’endroit de vos consœurs?

AF : Je suis écrivaine ; j’y suis et je reste. C’est ma raison de vivre, ma passion. Et plus rien n’a de sens en dehors de cette dame si attachante, si possessive avec qui j’ai signé un pacte. Je peux dire à toutes celles qui veulent s’y investir de s’armer de patience, car on fera tout pour vous décourager ; mais si vous croyez en vous-mêmes, en « Aziza » qui vous a donné cette arme puissante qu’est l’écriture, alors accrochez-vous et vous irez loin. La créativité est d’essence divine et personne ne peut vous l’arracher si Dieu vous l’a spontanément et généreusement offerte.

BL : Votre mot de fin…

AF : Je remercie les initiateurs de ce projet qui nous donne l’espace pour exprimer notre foi en ce que nous faisons. Propager nos idées afin de susciter des vocations. Car c’est en lisant le travail accompli par les ainés que la jeunesse pourra à son tour trouver des modèles à qui elle voudra ressembler. Poser ses pieds dans les pas laissés par les ainés. Avoir foi en ce qu’on fait ; afin de laisser une œuvre extraordinaire à la postérité. Merci.

  1. Vibrante reconnaissance à cette grande d’âme, Adélaïde FASSINOU, pour cette interview. Tant que les devanciers tendront la mains aux puinés, de très belles pages de la littérature s’écriront chez nous, pour le plaisir des gens d’ici et d’ailleurs