BL (Biscottes littéraires): Bonjour Carmen; merci à vous d’avoir agréé cette interview. Bien que votre nom se fasse familier à tous du fait des médias et de votre personnalité, il serait bienvenue une présentation de vous-même à nos chers lecteurs. Qui êtes-vous ?

CT (Carmen TOUDONOU) : Je me définis avant tout comme journaliste radio. C’est là mon métier. En ce moment, je fais une parenthèse pour travailler dans la communication institutionnelle. Et comme je suis passionnée de littérature, je lis souvent et j’écris parfois. Je suis enfin promotrice du concours littéraire Miss Littérature avec Habib DAKPOGAN.

BL : Scientifique de base, vous avez eu un BAC C, ensuite vous aviez fait des études d’électricité au collège polytechnique universitaire devenu EPAC, par ailleurs une formation en gestion couronnée par une licence avant de vous lancer dans le journalisme et la communication. Quels sont les motifs qui vous ont conduite dans le monde littéraire ? A-t-il fallu un si long chemin pour découvrir votre passion pour la chose littéraire ? Ou existait- elle en vous depuis fort longtemps ?

CT : J’ai toujours rêvé de devenir journaliste. Disons que je me suis très tôt passionnée pour les livres. Et très vite, j’ai eu envie d’écrire. Je pense que l’amour du journalisme et de l’écriture sont deux choses intimement liées chez moi. D’ailleurs, l’alliage journalisme/écriture et/ou édition est légion dans l’univers littéraire. J’ai commencé précocement à lire, et j’ai débuté l’écriture vers 16-17 ans.

BL : Il est clair que l’insertion de la femme dans l’univers administratif est bien rigide au Bénin. Cependant, vous avez su convaincre pour vous faire nommer la première femme chef service de la communication à l’Assemblée Nationale. Quelles sont vos impressions?

CT : Je reste admirative devant l’audace de mon patron. Dans un contexte aussi machiste qui est celui de notre pays, il faut beaucoup de conviction pour nommer un jeune, et pire, une jeune femme à un poste aussi important. J’ai pris ma nomination comme une injonction à me surpasser. J’y travaille, avec un minimum de réussite, je l’espère.

BL : De «Presqu’une vie» (Votre roman paru en 2014) à « Noire Venus » (recueil de poèmes paru en 2015), on note une certaine recherche de célébration de la femme ou d’élévation de la gent féminine. Doit-on conclure que votre vocation littéraire est celle de défendre la femme et de dénoncer les difficultés, les discriminations dont elle est objet ?

CT : Non, mon projet n’est pas celui-là. Mon projet littéraire vise à atteindre à une certaine esthétique de la langue, tout en mettant en lumière les beautés et les laideurs de mon époque, de mon pays, de mon continent. Ni chauvine, ni acculturée, je me rêve peintre d’une époque, témoin d’une certaine histoire. Si, pour atteindre à cet idéal, je suis amenée à mettre en scène des femmes, je le ferai avec d’autant plus d’aisance que je suis aussi du sexe dit faible. Mais l’un de mes exercices favoris est aussi de camper des personnages masculins en expérimentant par procuration leur condition. Par ailleurs, mon geste littéraire ne vise pas à dénoncer quoique ce soit. Je suis évidemment une révoltée, mais j’estime que l’écrivain qui n’arrive pas à mettre sa révolte au service de son esthétique rate l’essentiel. Je ne pense pas que l’écrivain soit un syndicaliste même si écrire d’une certaine manière, c’est faire de la politique. J’estime que l’œuvre littéraire la mieux réussie est celle qui parvient à faire prendre conscience au lecteur, ou à le révolter, ou à le remuer, sans jamais dénoncer quoi que ce soit de façon explicite.

BL : Comme si écrire ne suffisait pas pour aboutir à votre noble objectif qu’est la promotion de l’intellect de la gent féminine, vous avez initié le concours Miss littérature qui prend de plus en plus de l’ampleur. Pourriez-vous exposer à nos chers lecteurs comment est régi le concours ?

CT : Miss Littérature est l’une des initiatives « concrètes » que nous avons prises, avec quelques amis, en lieu et place de la rengaine habituelle des  »jeunes intellectuels africains » qui insultent tout le monde, le ministre de la culture en premier, mais qui, de leur position, ne font rien pour faire bouger les lignes. L’idée, c’est d’encourager les jeunes à aimer la lecture. Nous avons détourné le concept classique des compétitions miss, et nous valorisons uniquement les aptitudes intellectuelles des candidates. Nous ne tenons compte d’aucun critère lié au physique des candidates. Le succès de la première édition ne nous a laissé d’autre choix que de continuer. Pour cette deuxième édition 2017, nous avons recueilli une soixantaine de candidatures de jeunes filles âgées de 18 à 24 ans.

BL : Qu’attendez-vous de celles qui y participent ?

CT : Nous avons eu le 20 mai dernier une présélection qui a mis aux prises les candidates inscrites. Elle était faite de deux phases, l’une écrite et l’autre orale autour d’une nouvelle d’un écrivain béninois. Ces deux phases permettront au jury de dégager les 10 candidates les plus méritantes pour la soirée finale de juillet prochain. Les questions portent uniquement sur la littérature. Toutes les candidates inscrites seront primées. Les résultats seront proclamés deux semaines après la présélection et nous pourrons commencer la préparation de la finale. Il faudra habiller les filles, les coiffer, organiser des ateliers d’écriture et d’art oratoire, choisir un roman pour la finale, etc… Entre temps, nous aurons également la publication du premier recueil de nouvelles des miss littérature premier crû (2016).

BL : Nonobstant le grand combat pour la promotion de la femme, le constat est tel que le résultat n’est toujours pas encore plaisant. Vous arrive t-il d’être découragée au point de vouloir délaisser et rendre les armes ?

CT : Non, comment baisser les armes alors qu’il y a encore tant de possibilités à explorer ? Le combat est avant tout personnel, et humain à mon avis avant d’être féminin. Je postule que la féminité est une force. Je pense que les femmes le savent, même si elles font parfois hélas trop souvent mine de l’ignorer. Il viendra un moment critique où les superstitions qui pèsent sur la gent féminine, et plus généralement sur le genre humain sous nos cieux n’auront plus cours, et où les lendemains seront forcément meilleurs. J’aime à citer Arthur Rimbaud qui évoque « l’infini servage » qui pèse sur la femme et qu’il faudra briser pour qu’elle devienne poète. Je lis de plus en plus de magnifiques poétesses par ici. Je pense que le joug a au moins du plomb dans l’aile.

BL : Il est dit souvent que les femmes sont en partie la cause de leur désorganisation et l’absence de leur valorisation concrète du fait qu’elles ne sont pas solidaires entre elles. Quels conseils procureriez-vous aux femmes ?

CT : Aux jeunes filles ? Et à la jeunesse béninoise en générale ? J’ai un seul conseil si je m’en octroie la prétention : les gens n’ont qu’à lire. La lecture ouvre les perspectives et permet d’explorer les horizons inconnus. Il nous faut nous affranchir des clichés, des idées préconçues, des points de vue  »prêt à consommer ». Il nous faut apprendre à nous ouvrir au monde, apprendre, je vais utiliser une expression très politique, mais je ne trouve vraiment pas mieux, apprendre à nous  »auto-déterminer ». Et tout ira bien.

BL : Quels conseils pouviez-vous donner en générale aux jeunes qui veulent vous emboîter le pas dans le monde de l’art et des lettres et spécialement aux jeunes filles qui s’aventurent dans le monde littéraire?

CT : Je risque de me répéter. (Rires). Je leur conseillerais, comme plus haut, de lire. De lire les meilleurs écrivains d’ici et d’ailleurs. De ne pas lire en dilettante. De lire en curieux. Comme un interne regarderait un professeur de médecine opérer. Je caricaturerais en disant ceci : « lisez en apprentis et forgez-vous votre propre style ». Je suis contre les personnes qui viennent rapidement commettre un roman alors qu’ils n’ont lu qu’en diagonale deux ouvrages au programme. C’est bête de le dire comme ça, mais c’est en forgeant que l’on devient forgeron. Comme l’affirme l’un des meilleurs poètes béninois que je connais, Hilaire DOVONON, « écrire n’est pas un acte naturel ». Il faut donc une certaine application pour parvenir à commettre des œuvres potables.

BL : Vous avez sûrement des projets en cours et dans le futur….

CT : J’ai trois ou quatre livres dont j’étais certaine qu’ils auraient déjà parus en ce moment. À suivre… Je travaille sur un roman et un recueil de nouvelles.

BL : Quels sont les problèmes que vous rencontrez dans vos projets ?

CT : Je ne rencontre pas vraiment de problème, car la littérature représente pour moi le domaine de la liberté. Je parlerais plutôt de souffrance. Je suis une grande paresseuse, et je souffre de sentir que je pourrais produire beaucoup plus que ce que je donne actuellement. Je me valorise à mes propres yeux lorsque je me sens m’affranchir de cette paresse quasi chronique pour emprunter un terme médical.

BL : Quel est votre point de vue sur le rapport politique-femme dans notre pays ?

CT : Les femmes n’ont pas la place qu’elles devraient avoir dans la politique au Bénin, mais pas seulement. En dehors de la maternité, rares sont les domaines dans lesquels les femmes supplantent les hommes. Ceci est dû à une foultitude de facteurs dont la conformation naturelle des femmes qui en fait des personnes plutôt discrètes et maternelles, la culture nationale qui déteint sur leur éducation, la relative âpreté du cénacle politique qui ne correspond pas forcément au tempérament féminin, etc. Je pense qu’il faudrait deux choses essentielles pour permettre la féminisation du monde politique béninois : une certaine volonté politique et un meilleur engagement de la part des femmes. Cette dernière condition ne sera effective qu’avec une mutation importante dans l’éducation traditionnelle des filles et des garçons. La lecture peut aider à atteindre cet objectif, tant qu’on ne cantonne pas les filles à la lecture des œuvres à l’eau de rose…

BL : Votre mot de fin…

CT : Je vous remercie de vous intéresser à ma personne. Lorsque vous allez dans les pays où le livre compte, les ouvrages béninois sont quasi absents. Je souhaiterais qu’en lieu et place des petites guéguerres d’ego auxquelles l’on assiste parfois piteusement par ici, nous travaillons à mieux faire exister le livre béninois sur la place littéraire universelle.

 

 

 

  1. Très instructif. Cela prouve que le parcours compte pour peu. C’est la passion et l’amour pour la branche qui compte. Bravo à la dame et du succès pour ses initiatives

  2. Merci à toi, Carmen Toudonou, pour beau texte. J’ai une préoccupation : Où pouvons-vous trouver tes livres à acheter?

  3. Oui, une femme inspirante. Transpirante aussi, car elle travaille beaucoup. Que les œuvres de ses mains soient couronnées de succès et que vive la plume au Bénin.

  4. Merci à l’auteure pour ce bel échange. Nous espérons que les graines d’espérance semées par elle, germeront et donneront beaucoup de fruits.