« J’ai un regard confiant sur l’Afrique. Je pense que l’avenir du monde est en Afrique. Il y a une pépinière de jeunes intellectuels qui ne demande qu’à fleurir. Il faut juste que les Africains n’oublient pas que leur vote a son poids politique. Il faut aussi que les hommes politiques arrêtent de faire allégeance à l’Occident et travaillent enfin pour le bien-être du peuple qui les a élus. »

BL : Bonjour Madame. Nous sommes heureux de vous recevoir sur notre blog. Veuillez-vous présenter, s’il vous plait.

AD : Bonjour et merci pour votre invitation. C’est toujours délicat de se présenter. Je m’appelle Amélie Diack. Je suis née à Dakar en 1963.  J’ai fait mes études au Sénégal. D’où ma passion pour la Littérature Africaine et mon désir de la faire rayonner dans le monde entier.

BL : Dans une interview vous disiez ceci : « Depuis mon arrivée en France, j’ai commencé par le bas de l’échelle pour vivre. J’ai arrêté mes études à un mois du Bac suite à la disparition de mon père. » Que s’est-il passé pour qu’à la mort de votre père vous ayez arrêté vos études à un mois du Bac ?

AD : La mort de mon père a été le début de nombreux choix et de nombreux deuils. La situation financière est devenue délicate, même si ma mère travaillait. Elle était couturière. Aussi, en tant qu’aînée, j’ai dû faire des choix pas forcément évidents, mais des choix qui s’imposaient pour le bien-être des plus jeunes. Pour leur laisser la possibilité de faire des études. J’ai donc fait le deuil de mes rêves d’historienne et d’archéologue. Cependant, j’ai gardé la passion de cette matière (l’histoire).

BL : Et comment avez-vous pu remonter la pente pour être la femme que vous êtes devenue aujourd’hui ?

AD : Ce ne fut pas facile. Mais comme le dit l’adage « aide-toi et le Ciel t’aidera ». J’ai dû faire des choix en essayant d’aller toujours plus loin. J’ai dû apprendre de mes erreurs. Surtout, ne pas baisser les bras. Ce fut une période très difficile, très stressante. Une période où le découragement était sur le pas de la porte. Mais, il ne fallait pas se laisser abattre car ma sœur et moi avions une famille à nourrir. Nous avons grandi avant l’heure. Alors, aujourd’hui, quand je regarde le chemin parcouru, je suis très fière et très modeste.

BL : Quand on est passé par toutes ces étapes :« femme de ménage, puis aide-comptable et secrétaire de direction, ensuite aide-soignante, aujourd’hui, assistante sociale » pour enfin se consacrer à la littérature, comment se sent-on ?

AD : Je n’ai jamais arrêté de me consacrer à la littérature. Dès que j’ai su maîtriser la lecture et l’écriture (je suis dyslexique), j’ai passé ma vie à lire. Avant, je n’avais pas tous les moyens disponibles actuellement (Internet, réseaux sociaux, etc.). Ce qui ne m’empêchait pas de remplir des cahiers, de parler autour de moi de cette passion. J’ai eu la chance de rencontrer deux professeures de français et de littérature au collège (Melle Guèye) et au lycée (Mme Renaudot) qui étaient passionnées par leur métier. Elles m’ont aidée à développer cette matière et à la comprendre.

BL : Comment expliquez-vous votre passion pour l’écriture ?

AD : (Rires). Je ne pense pas qu’on puisse expliquer une passion car elle est au-delà des mots. Au-delà de la compréhension. Depuis petite, j’ai toujours rêvé de devenir écrivain. Je disais à mes parents que c’était le seul métier que je ferai. Je me souviens qu’en troisième au collège, j’avais choisi de faire du secrétariat pour apprendre la dactylo et me consacrer à l’écriture. Mais, ma demande n’a pas été prise en compte et j’ai été envoyée dans un lycée classique car je maitrisais la littérature, les langues et l’histo-géo. Finalement, ils ont eu raison. J’ai ainsi compris que pour écrire, il fallait lire beaucoup. Ce qui était un pur bonheur pour moi.

BL : Vous êtes née au Sénégal en 1963. Mais vous êtes à la fois sénégalaise, martiniquaise et française. Finalement, comment vous définissez-vous vous-même ?

AD : C’est simple. Je forme un tout. Je représente la diaspora. Je suis de père sénégalais et je suis née dans ce pays, ce continent que je porte dans l’âme et dans le cœur. J’y ai grandi. Ma mère est martiniquaise. C’est une île que je porte dans le sang. Dans ma vie de tous les jours si je parle ouolof avec mes frères et sœurs, avec ma mère, je parle créole ou français. Je suis française de naissance par ma mère. Je vis en France. C’est un pays que je porte dans mon cœur car il m’a donné la chance de me faire une nouvelle vie. Une chance d’avoir un métier, malgré des études stoppées en Première. Il n’y a pas de définition car c’est une richesse d’avoir trois cultures. Un beau métissage.

BL : Quand on appartient à trois continents comme vous, quel regard pose-t-on sur l’Afrique à travers le prisme de la France et des Antilles ?

AD : J’ai un regard confiant sur l’Afrique. Je pense que l’avenir du monde est en Afrique. Il y a une pépinière de jeunes intellectuels qui ne demande qu’à fleurir. Il faut juste que les Africains n’oublient pas que leur vote a son poids politique. Il faut aussi que les hommes politiques arrêtent de faire allégeance à l’Occident et travaillent enfin pour le bien-être du peuple qui les a élus. Selon moi, il est indispensable que l’Union Africaine existe réellement pour faire face aux géants économiques occidentales. Il faut revoir les systèmes de santé et d’éducation car c’est la base pour la population de demain.

BL : Cela vous suggère inéluctablement des réflexions sur le fait migratoire, la mobilité humaine….

AD : L’histoire du monde est faite de migrations. C’est un mouvement que l’on ne pourra jamais brider. Le monde se prépare à de grandes migrations climatiques et les frontières ne pourront rien stopper. A notre époque, l’homme voyage facilement car l’ouverture est au monde. Les pays qui ont voulu vivre en autarcie ne se sont jamais remis économiquement (Ouganda, Zimbabwe, etc.). La migration est inéluctable.

BL : Amélie Diack et la négritude : une histoire d’amour ?

AD : Hum, Laissons la Négritude à ceux qui l’ont défendue. Il faut rendre à César ce qui appartient à César. Amélie et l’Africanité, c’est une histoire de passion. Nous sommes au 21ème siècle et des gens (quelle que soit leur origine géographique) ignorent que la littérature africaine existe tout comme l’histoire de l’Afrique d’ailleurs. J’apporte juste ma petite pierre à l’édifice. En toute modestie.

BL : Un fait marquant de votre premier livre Shouna, c’est qu’il est de coloration tropicale. Et ce qui frappe davantage, c’est qu’il sonne comme un mélange de contes et de légendes où l’imaginaire flirte avec le réel. Ce choix ne relève-t-il pas, inconsciemment, d’un besoin de ressourcement, d’une soif de retour à la terre natale ?

AD :  Je ne sais pas vraiment car pour se ressourcer, il faudrait avoir tout abandonné. Ce qui n’est pas mon cas. Je n’ai quitté ma terre natale que physiquement. J’ai toujours gardé le lien par la langue, l’ethnologie, l’anthropologie, l’histoire. Mon enfance a été bercée par des contes africains et antillais. Par contre, je pense que j’ai trop forcé sur la couverture (rires). Je fais partie de ceux qui ont quitté leur terre avec l’espoir d’un retour au bercail.  «Shouna la genèse maudite » est une image de ces contes que nous racontions à la maison avec des djinns, des animaux qui parlent comme dans la plupart des contes africains.

BL : Mamie Wata y joue un rôle important. Est-ce une manière de signer votre appartenance au féminisme en octroyant à la femme des pouvoirs quasi divins, du moins spirituels ou supranaturels ?

AD : Mamie Wata est à l’image de la femme africaine sans qui ce continent n’existerait pas. Ce sont des femmes fortes qui se lèvent tous les matins pour apporter une pierre à l’édifice de la vie. Elles travaillent beaucoup que ce soit au champ, dans le commerce, sur les marchés. Elle fait tout son possible pour que ses enfants ait un minimum de nourriture. Ce sont des femmes que les coups de la vie marquent mais ne les terrassent pas. Elles ont souvent le rire, le sourire sur les lèvres. Elles regardent la vie, la mort, la souffrance de face.

BL : Shouna n’est pas du tout beau. Et le livre relance la question de la beauté. Vous avez certainement une réponse à cette grande question de la beauté …

AD : Je n’avais pas vu cela sous cet angle. J’ai fait de Shouna un être qui existe dans beaucoup de légendes. Un être dont la force réside ailleurs que sur sa plastique. Le prince charmant n’existe pas en Afrique, à ma connaissance. Selon l’éducation que j’ai reçue, la beauté et la richesse ne sont que choses éphémères. La beauté et l’importance de l’humains réside dans sa pensée et dans son cœur. Shouna représente cette pensée.

BL : La vie de Shouna a été un combat pour choisir son propre chemin. Quelle est la part de l’humain, sa responsabilité, dans l’accomplissement ou non de son destin ?

AD : « L’homme propose, Dieu dispose ». Les deux sont vrais. Cependant, nous forgeons notre destin. Notre avenir ne sera que ce qu’a été notre passé et ce qu’est notre présent. Nous ne pouvons pas attendre que les choses se fassent d’elles-mêmes. Nous sommes notre destin.

BL :  Quels sont les problèmes rencontrés lors de l’édition de ce premier livre ?

AD : Lors de la signature de ce contrat, ma santé déclinait. Ma sœur qui a lu mes écrits et qui connait ma passion de l’écriture m’a suggéré d’envoyer un de mes manuscrits. J’avais essuyé de nombreux refus de maisons d’éditions africaines car mes écrits étaient « un peu trop africains » (ce sont les mots utilisés) que j’ai envoyé mon manuscrit sans trop y croire et ça a marché. Sauf que j’ai été victime d’une arnaque. Je n’ai jamais reçu mes droits d’auteurs. Ce n’était pas une vraie maison d’édition. Le bon côté est que je lis attentivement les contrats que je reçois. Je préfère patienter. On verra. Inch’Allah.

BL : Dans votre nouvelle « Une nuit d’enfer pour Adi » pour Adi, tout tient à un seul acte : le retard de Maïssa la veille de leurs fiançailles. Là aussi, vous faites parler la fatalité, le destin. Cette thématique vous hante, on dirait…

AD : La destinée, oui. Le fatalisme, non. Je ne crois pas à la fatalité. Nous forgeons notre destin. La vie y apporte sa petite touche. C’est la réalité et il faut faire avec. Sinon, la vie serait bien ennuyeuse et l’homme ne chercherait jamais à aller de l’avant. Nous vivons, en Afrique, avec réalisme.

BL : « Une nuit d’enfer pour Adi » c’est aussi les amours interdits, le poids de la tradition. Comment, depuis l’Europe, vivez-vous cette réalité ?

AD : J’ai toujours vu cette réalité qu’elle soit en Afrique ou ailleurs. Les amours interdits, le poids des traditions existent partout. Cependant, le retard de Maïssa est dû à autre chose qui est le déroulé de l’histoire. Cependant, nous savons bien que dans certaines régions d’Afrique, en ce qui concerne les fiançailles ou le mariage, la tradition peut être dévastatrice dans la vie, les projets d’un couple. Voire dans son avenir.

BL : Ce dernier livre est une autoédition. Un choix qui peut se comprendre vu les horreurs vécues à l’occasion de l’édition de votre premier libre. Mais est-ce vraiment le meilleur choix quand on sait que dans la chaîne du livre, chacun a son rôle à jouer, l’auteur, l’éditeur, le distributeur ?

AD : Je me suis lancée dans l’autoédition avec passion. Pour découvrir les rouages de l’édition. Mais, je me suis rendu compte que je n’étais pas très douée en ce qui concernait la publicité qui est un travail de longue haleine et qui bouffe temps. Temps que je consacre à mes blogs. Mais, c’est une belle expérience qui me permet de mettre à mal les éditeurs à compte d’auteurs

BL : Votre particularité, c’est le genre fantasy. Pourquoi ce choix ?

AD : Je n’ai pas choisi ce genre. Je l’ai juste découvert. J’ai écrit « Shouna la genèse maudite » dans la tradition orale, du conte. Ce sont les autres écrivains qui m’ont appris que j’avais écrit de la Fantasy (rires). On en apprend chaque jour. J’adore ce style car cela permet à un auteur de laisser libre cours à son imagination.

BL : A quoi devons-nous attendre prochainement après ces deux livres ?

AD : J’ai des romans en attente. Des romans qui n’ont rien à voir avec la fantasy. J’ai des nouvelles aussi. Sauf que je préfère attendre et trouver une bonne maison d’édition. J’ai aussi un projet d’éditer mon propre Atlas géographique (j’y travaille depuis que j’ai dix ans). Mais ce sera juste pour moi. Pour l’avoir dans ma bibliothèque. Mektoub et Inch’Allah.

BL : Votre mot de la fin

AD : Merci de votre invitation, ce fut un honneur. Je vous laisse les liens de mes blogs.

https://litteratutemltipleunerichesse.wordpress.com/

https://litteratureetecrivainsdailleurs.blog/

https://ameliediackauteure.blog/