« C’est bien un indicateur qui prouve que pour devenir écrivain, il faut un don particulier. Et dans le contexte où les jeunes évoluent aujourd’hui, il leur est plus facile de rencontrer un maître de conférences qu’un écrivain avéré qui produit, non des ouvrages de recherche académique, mais de la littérature généralement. »

BL : Bonjour monsieur Blaise. Nous sommes très ravis de vous recevoir sur notre blog. Veuillez-vous présenter s’il vous vous plaît.

BAB: Bonjour. C’est un réel plaisir pour moi d’avoir cet entretien sur votre blog. Mon nom est Blaise Ahnaï Bay (nom d’artiste mais seul Bay est un pseudonyme). Je ne vois pas l’intérêt d’avoir un pseudonyme s’il est nécessaire de l’accompagner à chaque fois du vrai nom. Étant donné que je veux être connu sous ce nom.Vos parents décident de vous donner un nom à la  naissance. Cette décision est prise sans votre consentement. Quand vous devenez artiste, c’est une seconde  naissance .Vous avez l’occasion de vous offrir un nom librement sans la coercition des autres. Mais j’ai vraiment aimé les  noms qui m’ont été donnés à la  naissance. D’ailleurs, je me suis seulement offert Bay (prononcer Béiy) qui signifie appel (l’art est une forme d’appel qui réunit les humains) en ma langue maternelle et qui désigne en  anglais cet espace en bordure de mer (la baie) où on trouve de l’eau,de la lumière et de la terre,trois éléments essentiels pour la vie rassemblés. Les deux autres figurent bien dans mon acte de naissance. Je suis né il y’a bien plus de trois décennies au Cameroun, à Ngaoundéré dans l’Adamaoua. Je suis diplômé de l’Université de Yaoundé I et de l’ENS de Maroua au Cameroun. Ces deux formations m’ont offert assez de  qualités  pour bâtir Mon art…Mais les  formations académiques ne sont pas suffisantes pour exceller dans l’art. Il faut y ajouter de redoutables qualités d’autodidacte. Ce que je me suis toujours évertué à faire car on ne cesse jamais au grand jamais d’apprendre. Je me suis épris de la littérature et de l’art en général assez tôt. Mon premier livre publié est un roman la « Nostalgie de l’Eden » qui sera bientôt réédité. Je viens de publier aussi un recueil de nouvelles. J’ai également produit deux albums musicaux qui sont distribués par Spotify, iTunes et Deezer. J’ai été lauréat du concours de scénario organisé sur le plan continental par Crips et Planète Jeunes entre autres.

BL : Votre premier livre est un roman « La nostalgie de l’Éden ». Quelle est la genèse de ce projet littéraire ?

BAB: L’entreprise d’écriture en ce qui concerne cet opus est jaillie de l’observation du monde que j’ai reliée au concept de « Perte de l’Eden » dans la Bible.En effet,les descendants d’Adam ont une large propension à s’adonner à la facilité.La vie de l’Eden était une vie facile,le farniente dans un milieu où on n’a pas besoin de travailler pour trouver sa pitance. Adam et Eve ont été expulsés de l’Eden et leur descendance condamnée au travail et au labeur.Or avec la recrudescence de la criminalité, les hommes cherchent une vie facile où ils n’auront pas à faire couler de la sueur mais à se nourrir de la sueur des autres. C’est ce que j’appelle nostalgie de l’Eden. Mais cela ne se fait pas dans l’impunité car tous ces gens qui s’adonnent au mal pour profiter des autres finissent frappés par la loi ou la justice immanente. Cela est représenté par l’image de personnes qui veulent réintégrer l’Eden mais qui sont frappées par l’ange au glaive de feu. Par exemple, un homme, au lieu de travailler, trouve qu’il est plus aisé de voler la pitance de son voisin. Ce faisant, il tombe sous le coup de la justice institutionnalisée ou de la justice populaire. Il est saisi et emmené au tribunal ou alors la populace décide d’en découdre avec lui et le réduit en marmelade ou en loques humaines. L’attrait de la facilité est ce que j’appelle la nostalgie de l’Eden. En cherchant la facilité, dans son subconscient, se cache la volonté de réintégrer le paradis perdu où tout était facile, où il suffisait de lever la main pour cueillir un fruit. Or l’homme est condamné à se nourrir à la sueur de son front. En tentant de réintégrer l’Eden, il est frappé par l’ange au glaive de feu représenté par la justice institutionnalisée, la justice populaire (que je ne cautionne pas) et la justice immanente. Il est puni d’une façon ou d’une autre et même quand il se croit impuni, il a mauvaise conscience et la justice se manifeste toujours même de la plus infime des manières.

BL: Pouvez-vous nous en dire plus sur l’intrigue et les personnages?

BAB: La Nostalgie de l’Eden, c’est l’histoire d’un monde soumis au regret du paradis perdu. On y retrouve, au gré des tribulations d’ Ali, le personnage principal, des êtres perdus, désorientés et rongés par la nostalgie. Ils veulent vivre sans peine et sans travail éreintant, essayant de passer outre la sentence : « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front« . Ils finiront cependant frappés par l’ange au glaive de feu qui garde l’entrée de l’Eden. Témoin de toutes ces fins tragiques, le héros de l’histoire comprendra que vivre c’est assumer l’existence telle qu’elle nous a été imposée depuis le commencement. Ali perdra ainsi tous ses proches. Il va vivre sous le toit de M Bernard et de sa femme. Monsieur Philippe qui vit aussi sous ce toit aime la facilité et dépend de cette famille….drame et mort s’ensuivront. Je n’en dirai pas plus pour éviter de « spoiler ».

BL : Le titre en soi est une métaphore et l’œuvre une actualisation du proverbe « on ne connait la valeur de quelque chose qu’après l’avoir perdu ». Que vous inspire une telle analyse sur votre livre ?

BAB: Cette vision métaphorique est vraiment en accord avec le message qui devient polyphonique, visuellement frappant et accompagne la progression de mes personnages en surimpression. Nous vivons dans un contexte où nous devons apprendre à valoriser nos acquis, à assumer notre existence telle qu’elle nous a été offerte et en travaillant pour l’améliorer encore et toujours sans flancher, sans abandonner, sans se décourager. Mais lorsque nous cherchons à lui trouver des alternatives entachées de vice, nous dirigeons notre bateau sur l’écueil d’un iceberg pourtant visible. Si Notre destin est de travailler pour vivre, travaillons et vivons sans chercher des voies blessantes qui seront une source de nuisance pour les autres. L’absurde existentiel, comme l’a défendu Camus, est l’acception de notre condition. Si nous sommes condamnés, cherchons le moyen de trouver du plaisir dans cette condamnation.Sisyphe est condamné à pousser la pierre au sommet de la montagne sans parvenir à l’y maintenir et à tout recommencer. Le plaisir, pour Sisyphe sera justement dans l’activité de poussée et de recommencement. L’image même de l’homme stoïque qui parvient à transformer sa douleur en plaisir.

BL : Intéressons-nous à présent à votre dernière parution : « Les carnets du soleil? ». Déjà le titre nous frappe. Le soleil tient-il un journal intime ?

BAB: Oh que oui! Vous avez une drôle de manière de poser les questions pour faire dire aux gens ce qu’ils voudraient bien garder secret même si la littérature est le domaine du dévoilement. Il y a un voile de mystère qu’on jette pour offrir au lecteur le plaisir de creuser. C’est aussi son droit. (Sourire). La structure du titre fait ressortir un nom et un complément du nom qui semblent juste greffés par la providence parce les correspondances sémantiques ne leur permettent normalement pas d’être ensemble. Bien, pour démêler l’écheveau, nous isolerons les mots pour relever leur correspondance…Nul n’ignore la place du soleil dans notre existence. Cet astre dans la trame d’azur définit notre existence dans ses aspects les plus simples et les plus complexes. Un trouble dans le ciel, l’interférence de nuages sombres et celle de la lune provoque des bouleversements sur terre, des chambardements telluriques. Cet astre qui est là depuis le fondement et qui donne l’impression d’être un œil énorme qui nous observe m’a plongé dans une introspection qui allait faire jaillir une vision neuve que j’allais acquérir de lui. Je me suis donc demandé: Pourquoi ne pas donner des pensées humaines à cet astre, pourquoi ne pas lui donner le sens de l’observation et de décryptage du monde? Et si cette énorme boule de lumière observait le monde et conservait des notes dans ses cahiers, ses carnets? C’est de là  que le titre m’est venu.

BL : Neuf nouvelles alléchantes pour peindre le monde à travers des thématiques variées telles que le fanatisme religieux, les affres des changements climatiques, en un mot, des thèmes d’actualité qui ne laissent personne indifférent…

BAB: Oui ! La nouvelle offre une plus large ouverture à la diversité thématique. C’est cette intensité dans la brièveté qui confère à la  nouvelle sa place dans Le panthéon des genres.Il s’agit de neuf nouvelles comme vous l’avez bien remarqué. Mais ce nombre « neuf » est le reflet des neuf planètes connues qui gravitent autour du Soleil. Neuf nouvelles qu’on pourrait croire différentes et éparses mais qui sont rassemblées dans une sorte d’idéal unitaire qui permet de dire l’humaine condition. On y trouve donc l’exploration de l’âme et de la psyché qui met en lumière les problèmes qui ravagent le psychique, les affres du fanatisme religieux où je montre qu’on doit privilégier la spiritualité et non la religion parce que la religion divise, sépare, crée des murs et des cloisonnements,le but de transmettre l’histoire où on tire la leçon qui est celle de ne pas se servir de l’histoire pour transmettre la haine et la  rancœur,le conflit avec notre chair, attendu que nous vivons dans un monde manichéen, le conflit  avec l’esprit et la chair des autres,les ravages du changement climatique qui doivent être brandis comme des spectres et des sonnettes d’alarme, l’absurdité du destin, le terrorisme, les déviances relatives aux mœurs…

BL : Quel souffle voulez-vous apporter au genre « nouvelle » à travers ce recueil?

BAB : L’écriture de la nouvelle a toujours été hybride et polymorphe.Sa structure architecturale n’admet ni l’extrême restriction,ni la complaisance.J’ai tenu à respecter cela en effectuant ces escales dans la psychologie humaine. Mais j’ai tenu à l’apprivoiser d’une certaine manière en lui insufflant le stream of consciousness (flot de conscience), ce style qui compte parmi ses adeptes William Faulkner et Virginia Woolf mais je n’ai pas brisé les règles de ponctuation,ceci pour me permettre de personnaliser le style.On délaisse un peu l’intrigue pour laisser parler l’esprit, la conscience.C’est un style qui n’était pas très présent dans le genre de la nouvelle mais que j’ai pu insuffler à certaines de mes nouvelles.Bien sûr,on trouvera dans le texte des nouvelles avec une structure classique mais bien souvent ce sont des voix qui s’expriment en laissant libre cours à la pensée. Ce sont des nouvelles mais par ce truchement qui fait la porosité des genres littéraires, vous y trouverez une profonde saveur poétique,philosophique,psychologique…

BL : A quels horizons pensez-vous étendre vos nouvelles?

BAB : On trouve dans le recueil des nouvelles sur l’Afrique. Mais j’ai vraiment tenu à élargir mes horizons en explorant des thématiques universelles. L’écrivain ne doit pas se demander s’il est légitime d’appréhender des  perspectives nouvelles mais il doit juste le faire dans le respect de la vie humaine.Victor Hugo disait : »Faire le poème de la conscience humaine ne fut-ce qu’à propos d’un seul homme, ne fût-ce qu’à propos du plus infime des hommes, c’est fondre toutes les épopées dans une épopée supérieure et définitive. » C’est la thématique de l’humain qui m’intéresse.L’écrivain doit faire agir sa sensibilité, son imagination, sa verve et surtout son empathie pour l’humanité car, pour moi, c’est mon principe et qui doit être celui de tout écrivain qui se respecte, il ne sert à rien d’écrire si on n’aime pas l’humanité car l’art ne sied pas aux misanthropes. Louis Ferdinand Céline, l’auteur de Voyage au bout de la nuit, était un très bon styliste mais l’héritage qu’il a laissé à la postérité a été entaché par ses pamphlets antisémites. L’humanité ne prend pas en héritage une œuvre qui lui témoigne de la haine même si son auteur est brillant et novateur. D’ailleurs quand nous faisons du mal, nous devenons des larves, des spectres, des chauves-souris. Victor Hugo a encore dit pour le changement social:« Que faut-il pour faire évanouir ces larves? De la Lumière, de la Lumière à flots. Aucune chauve-souris ne résiste à l’aube : éclairez la société en dessous. »

BL : Nos informations sur vous nous donnent à comprendre que vous n’êtes pas trop bavard dans  la vie quotidienne, que vous êtes même, un peu réservé. Est-ce la raison pour laquelle vous avez choisi de vous exprimer dans les arts (Littérature, musique)?

BAB: Cette raison s’ajoute à celles que j’ai évoquées plus haut. Dans la vie courante, l’auditoire est limité quelle que soit votre volonté de l’agrandir. L’art permet de toucher un auditoire plus vaste. Ceux qui me connaissent davantage savent que j’ai mes moments. Et j’ai toujours fait une distinction entre parole et bavardage. Je ne me plonge généralement dans l’échange verbal que lorsqu’il peut en sortir quelque chose de sensé. Les conversations quotidiennes sont intéressantes mais bien souvent, elles sont creuses et laissent peu de place à la substance. Or l’art me permet, par une sorte de filtre rationnel et d’épuration méditative, de ne mettre en lumière que des idées qui me semblent pertinentes. Je ne m’enferme pas socialement dans la mutité. J’entre quotidiennement en conversation avec les autres pour mieux cerner leur psychologie, leurs rapports avec l’altérité me permet d’ajuster les dialogues des récits et de mieux les conformer aux réalités sociales. J’aime aussi les blagues. Le rire a quelque chose de pur et de cristallin, d’angélique même qui prouve qu’en chaque homme jaillit quelque chose comme en amont de son Nil intérieur, une source épurée de bonté, de pureté et d’innocence.

BL : Vous semblez très philosophe dans la première nouvelle. Qu’est-ce qui est à l’origine de ce questionnement sur l’origine du monde et même de la foi?

BAB : Tout homme qui naît se pose, dès l’âge de raison, la question de savoir d’où il vient et où il va. C’est un questionnement inéluctable. Il y a toujours ce jaillissement intérieur qui vous propulse à questionner les feux de votre genèse et votre rapport avec la cosmogonie. L’homme est par essence une substance pensante et il est légitime pour lui de se demander et de trouver une réponse qui lui permettra d’être en paix avec lui-même et avec les autres. Et il est nécessaire de faire comprendre aux autres qu’il faut être dirigé dans la vie par un principe horizontal qui nous relie aux autres et nous permet de respecter des normes qui contribuent à notre bien-être mais également un principe vertical qui nous relie »à une force suprême qui gouverne toutes les vies. Sans ces principes, nous sommes perdus, sans boussole désorientés, nous naviguons à vue… Nous sommes des atomes dépourvus de sens perdus dans un univers où même les galaxies entretiennent une extrême froideur et indifférence pour nous et entre elles. Il n’est donc pas étonnant de voir jaillir la barbarie et le chaos de ces recoins sombres d’esprit qui ne sont pas gouvernés par les principes du bien.

J’ai noté que les œuvres littéraires africaines abordent rarement des thèmes qui nous mettent en rapport l’Altérité Divine. Je ne fais pas la propagande des religions mais plutôt de la spiritualité seule capable de canaliser un monde prompt à s’adonner au chaos et à l’anomie.

Au programme scolaire, on doit trouver des œuvres littéraires qui inculquent aux apprenants ce  principe vertical avec la force divine et ce principe horizontal qui doivent être respectés pour que les  hommes  vivent la  cohésion  sans haine, sans division, sans sécession, dans la paix  et l’unité. Je le répète, il ne s’agit pas de leur enseigner les religions mais de leur faire savoir que ce sont ces forces horizontale et verticale qui doivent gouverner leur vie : la religion divise. Si vous êtes musulman, vous ne pouvez être chrétien, vice versa, si vous êtes protestant, vous ne pouvez être catholique et on connaît la furie des désagréments que ces cloisonnements provoquent, notamment avec le fanatisme religieux et les attentats. Bien sûr je ne condamne pas la religion; je la condamne seulement si elle prend le pas sur la spiritualité. Vous pouvez être religieux mais que votre religion ne prenne pas le pas sur la spiritualité.

BL : Quels sont vos rapports avec les jeunes auteurs de votre pays?

BAB: Il y a une pléthore de raisons qui m’ont poussé vers l’écriture et parmi elles, il y a le fait que les écrivains sont rares. Je parle non seulement d’écrivains en général mais surtout d’écrivains de qualité. C’est bien un indicateur qui prouve que pour devenir écrivain, il faut un don particulier. Et dans le contexte où les jeunes évoluent aujourd’hui, il leur est plus facile de rencontrer un maître de conférences qu’un écrivain avéré qui produit, non des ouvrages de recherche académique, mais de la littérature généralement. Cela dit, il y a une jeune génération qui est en train d’éclore et de s’épanouir. Je parle de Djaïli Amadou Amal, Max Lobe, Hemley Boum, Franck Foute, Antoine Beauvard Nzanga et bien sûr Mohamed Dim avec qui je suis en constante communication. Nous comptons mettre en place une plateforme qui permettra aux jeunes auteurs d’échanger et de se soutenir mutuellement.

BL : Quels sont vos projets en matière de littérature ?

BAB : Pour ce qui est de mes projets littéraires, je suis en train de travailler sur des canevas qui me permettront  dans les années à venir de produire des œuvres traitant des questions brûlantes et également des thématiques à portée universelle.

BL : Où et comment peut-on se procurer vos livres?

BAB : C’est ma maison d’édition Proximité, dirigée de main de maître par MFrançois Nkeme et son équipe, qui se charge d’exporter mes livres et de les rendre disponibles dans les librairies. Qu’à cela ne tienne, on peut obtenir un exemplaire à tout moment en appelant les numéros suivants:+237 699859594 et +237 672721903

BL : Votre mot de la fin

BAB: L’écrivain est la conscience de la société. La culture est immortelle et il est important de savoir qu’une société qui étouffe les écrivains étouffe sa vie et sa conscience. L’inaltérabilité de l’art est dans sa substance et dans notre capacité à l’intégrer à l’inextinguible flambeau spirituel pour le transmettre aux générations futures. Car un peuple sans culture est un peuple sans âme. Qui combat la culture combat l’essence même de l’existence qui nous distingue comme êtres dotés de bon sens, de raison et d’émotion. Que l’Afrique s’éveille et s’ouvre davantage à la culture.