BL : Bonjour monsieur DIM. Nous sommes très heureux de vous recevoir sur notre blog. D’entrée, nous vous prions de vous présenter.

MD : C’est un très grand plaisir pour moi de savoir que depuis le Bénin vous portez une attention particulière à ce que nous faisons au Cameroun dans le domaine de la littérature. Me demander de me présenter me semble plus complexe qu’écrire un livre car je ne sais pas ce que je vais dire sur moi (Rire). Mais je vais essayer. Mohamed Dim est auteur, je préfère le dire ainsi plutôt que poète car je me sens à l’aise dans tous les genres. Je vois le jour le 12 août 1986 à Nkongsamba. À la base, je suis enseignant de français dans mon pays depuis ma sortie de l’ENS de Maroua en 2012. Je suis fan de lecture, de musique classique, chrétienne et hip-hop. Auteur du recueil « Nulle part : D’ici et d’ailleurs » et attaché culturel au sein de l’association Auteurs Solidaires du Cameroun (ASC).

BL : Vous êtes écrivain camerounais vivant au Cameroun. Dites-nous comment se porte le tandem politique et littérature au pays de Mongo Béti.

MD : Depuis la période classique, littérature et politique entretiennent des relations assez particulières. On peut voir la politique devenir une source d’inspiration pour les auteurs qui la reprennent à leur compte parfois sous forme satirique. Quelquefois, le politique intervient pour censurer certaines productions. Aussi, même si on ne le dit pas souvent, la littérature travaille au travers de la fiction à faire améliorer la gestion politique d’un pays. Tous ces faits sont valables pour tous les pays, me semble-t-il et la logique aidant, mon pays n’est pas en reste.

BL : L’affaire Patrice NGANANG est encore vive dans les mémoires. Qu’est-ce que cela vous inspire, vous qui prônez la liberté ?

MD : Patrice Nganang est un très bon enseignant ; c’est ce côté que je peux juger. Pour le reste, c’est-à-dire son engagement politique, il a fait un choix que lui confère le législateur camerounais ; la liberté de choisir un parti politique et de militer à sa manière. Tous les Camerounais sont libres de choisir un parti politique et c’est cette liberté là qui m’intéresse. Celle « du pourquoi tel ou tel parti politique » ne m’intéresse vraiment pas. Ceci dit, je me refuse de juger les choix personnels des uns et des autres et je ne peux en dire plus sur la question.

BL : Le Cameroun a connu de grandes plumes comme Isaac Moumé Etia, Jean-Louis Njemba-Medou, Eza Boto, Jean Marc ELA, ou encore celui qui a fini par être surnommé « Le vieux nègre », en référence au titre de l’un de ses livres. Comment la jeunesse camerounaise gère-t-elle un tel héritage ?

MD : Waouh ! Intéressant ! Vous semblez avoir une très bonne maîtrise de la littérature camerounaise. Ces auteurs pour la jeunesse du Cameroun, sont des référents dont  elle ne peut se passer si elle veut perpétuer l’art d’écrire des best-sellers. Pour la jeunesse camerounaise, ces auteurs relèvent de la mémoire collective. Par eux, on se sent fier d’être camerounais. Toutefois, une précision mérite d’être faite : nous ne voulons pas donner l’impression que tous les jeunes camerounais aiment la lecture car pour certains, ces noms peuvent ne rien dire ils ont d’autres modèles artistiques dans la musique. Mais tous ceux qui aiment la lecture se retrouvent à la simple évocation de ces noms. Chapeau bas à ces devanciers.

BL : Vous venez de publier chez « Les Editions du LEN » en France un recueil d’une trentaine de poèmes intitulé : « Nulle part : D’ici et d’ailleurs ». Pourquoi avoir choisi d’éditer en France ? Le Cameroun manque-t-il de maisons d’éditions fiables ?

MD : Trente-quatre poèmes plus exactement de 76 pages. Le choix de la France n’est pas un hasard. Pour la petite histoire, ce livre n’a pas été envoyé en France pour être édité. C’était dans le cadre d’une compétition lancée de ce côté-là et intitulée « La  Journée du Manuscrit Francophone 2018 ». Après réception du manuscrit et lecture par leur comité, ils m’ont proposé d’éditer par le biais de leur partenaire LEN. J’ai validé cette proposition d’où l’édition. C’est dire que ce n’est pas par manque d’éditeur au Cameroun. Il y en a assez et qui font bien leur travail. Je peux citer Proximité, Ifrikiya, l’Harmattan Cameroun, CLE, et la jeune maison Élite d’Afrique Éditions (qui verra très bientôt nos nouveaux projets) pour ne citer que celles-là.

BL : On remarque que les jeunes privilégient de plus en plus le genre « poésie ». Est-ce dans cette même logique que vous vous inscrivez en choisissant la poésie comme forme d’expression ?

MD : J’aime le genre poétique car à travers ce genre, le poète n’écrit pas, il s’écrit et prie. Il exprime mieux ce qui le traverse et son vécu en exhortant.

BL : Que pensez-vous de la « poésie hermétique »?

MD : Je respecte le choix esthétique, mais personnellement, je ne pense pas qu’on peut écrire pour un large public et cadenasser le message en même temps. Il me semble que si la poésie n’est pas autant lue que le roman ou la Nouvelle, c’est parce que les poètes ont toujours fait d’elle un genre élitiste or le souci du poète est d’apporter une médication aux nombreux maux de la société. Il faut donc que la communication se fasse entre un émetteur et un récepteur sans qu’il y ait du bruit.

BL : Pensez-vous que la poésie peut réellement avoir un impact sur le vécu des hommes?

MD :  L’œuvre littéraire se veut avant tout un objet de plaisir : plaisir des sens et de l’esprit. Cette perception date de l’antiquité et de la période Classique à travers les essais et les Arts poétiques consacrés à l’esthétique littéraire. Ceci dit, je vais reprendre Ralph Ellison lorsqu’il affirme: « je suis un écrivain et non un activiste. Je me sens avant tout responsable de la bonne santé de la littérature.». Maintenant, si un lecteur trouve en une production une raison de sa transformation c’est une bonne chose car un auteur ne saurait se défaire complètement de sa société pour se confiner dans le monde des Idées. C’est dire que les préoccupations abordées par un poète peuvent avoir un impact sur le lecteur. Observez que je ne dis pas les Hommes, mais le lecteur car pour être transformé si transformation il y en a, il faut d’abord pouvoir lire.

BL : Aidez-nous à entrer dans l’économie du titre de votre recueil de poèmes : « Nulle part : D’ici et d’ailleurs » qui aborde pas mal de thématiques dont essentiellement la guerre, l’immigration, les méfaits des réseaux sociaux, l’harmonie, l’amour, la puissance du verbe, le vivre ensemble, les mariages exogamiques, le tribalisme.

MD : J’ai souvent laissé le soin à mes lecteurs d’épiloguer sur le titre en relation avec le contenu. Mais pour vous, je vais l’expliciter. Pour répondre, il importe de situer le contexte dans lequel cette œuvre voit le jour.  En effet, face à la montée du racisme dans le monde, au repli identitaire grandissant et particulièrement au Cameroun à la suite des élections présidentielles, j’ai jugé bon d’en découdre afin de militer pour une porosité identitaire et finalement une « citoyenneté monde ». Ce titre veut s’identifier à tout les milieux sans particularisme ; une sorte de promotion du vivre ensemble et de l’harmonie car finalement être de « Nulle part » c’est refuser qu’on soit classé « Ici » ou « Ailleurs » mais, on veut à travers ce titre, être « Ici et ailleurs ». En gros, ce titre est « onomatexte » c’est-à-dire qu’il porte en lui, le contenu qu’il représente.

BL : Il n’y a pas de hasard dans l’ordre des poèmes dans un recueil. Le vôtre s’ouvre sur « Guerre ». Pourquoi une telle option ?

MD : Effectivement, le hasard est une donnée inexistante dans le classement des textes d’un recueil. L’ouverture se faire par « Guerre » justement parce que le monde est traversé par la guerre en Irak, en Afghanistan, en Lybie etc. Mon pays n’est pas en reste avec les attentats kamikazes dans l’Extrême-Nord, la crise dans le Nord-ouest et le Sud-ouest. Cette ouverture a pour ambition d’interpeller tous les acteurs de la guerre afin qu’une fin soit mise à ces atrocités. Je profite pour vous donner cet extrait qui revient en refrain dans le texte :

Ceux qui fabriquent les armes

Ceux qui arment les enfants

Ceux qui se laissent armer

La conscience collective vous interpelle. 

BL : L’immigration est l’une des thématiques les plus dominantes de votre livre après le vivre ensemble. Dites-nous, cher Mohamed DIM, le lien que vous établissez entre votre livre et « Chemins d’Europe » de Ferdinand OYONO.

MD : Cette magnifique œuvre de Ferdinand OYONO pose le problème de la cohabitation entre les races ainsi les civilisations. C’est une très bonne œuvre qui retrace le problème des immigrés. Alors faire le lien avec mon livre est facile. On retrouve bien cette thématique dans mon recueil. A la différence que, chez moi, le clandestin n’arrive pas en Europe pour vivre le choc culturel. Il meurt dans l’Atlantique. En écrivant ces textes j’ai le plus pensé à Fatou Diome dans Le ventre de l’Atlantique. L’objectif est de montrer les dangers qu’il y a à entrevoir une immigration clandestine. Un extrait de la fin du titre « Rêves illusoires » :

L’ailleurs je ne le verrai pas

Le bonheur ma famille ne l’aura pas

Ma fiancée, je ne l’épouserai pas

L’illusion a été mon partage

Maintenant je suis ailleurs

Loin de la vie

Je suis à présent un corps sans vie

La chaîne alimentaire sera inversée

Une fois que dans l’Atlantique

Nos corps seront déversés.

BL : L’immigration est-elle pour vous une nécessité ou une fatalité ?

MD :  A la base, l’immigration est un choix délibéré (en ce moment, on ne peut parler de nécessité ou de fatalité). Mais, il peut arriver que certaines positions politiques vous y obligent. En ce moment, vous demandez l’asile politique et les deux acceptions peuvent en ce moment avoir tout leur sens.

BL : Si l’immigration entendue comme mobilité humaine est un phénomène lié à la nature humaine, pourquoi s’indigne-t-on que les africains aillent chercher leur paradis ailleurs ?

MD :  A la vérité, le problème n’est pas l’immigration, mais « la race d’immigration » (Rire). Ce qui dérange dans cette affaire, c’est le nombre hyper volumineux de clandestins qui prennent la route chaque jour et pour les plus chanceux, ils arrivent aux portes avant d’être rapatriés. Je ne suis pas contre l’immigration, mais je milite pour une immigration légale. En plus, le paradis on le façonne où on se trouve. Pour moi, l’Europe n’est pas et ne saurait être le paradis. Les pauvres existent aussi de côté comme quoi tout le monde n’est pas riche.

BL : Justement, le choix de l’ailleurs ne se fait pas sur un coup de tête. Il reste lié à plusieurs facteurs dont la pauvreté, le manque d’opportunités réelles sur le continent, les mauvaises politiques. Vous avez certainement un mot à dire sur cette situation.

MD :  Sur cette question, les dirigeants africains doivent donner la possibilité aux jeunes d’avoir le strict minimum. En Afrique, nous avons de la compétence ! Et si j’ai une exhortation, la voici: « Messieurs les dirigeants africains, pensez à bien gérer vos pays, et les jeunes n’iront plus mourir en mer. »

BL : N’avez-vous pas l’impression que la jeunesse africaine est abandonnée, seule face à son destin, dans un monde de plus en plus exigeant ?

MD :  La jeunesse africaine est complice de ses bourreaux ! je n’en dirais pas plus.

BL : Dans un article sur la littérature camerounaise où il stigmatise les causes de la mauvaise présentation des livres mis sur le marché, Gabriel DEEH SEGALLO écrit que : « Ceci est dû à l’absence criante d’une politique culturelle solide qui servirait de tutelle et de bras séculier à ce nombre paradoxalement toujours grandissant d’écrivains. Est-il inutile de souligner que depuis 2008 le Compte d’Affectation Spécial du Ministère de la Culture dont le seul destin est d’attribuer des aides aux créateurs n’a déboursé aucun radis aux écrivains ? Seuls les musiciens semblent être les chouchous de l’État. Serait-ce parce que la plupart d’entre les artistes musiciens dans leur flagornerie chantent des dithyrambes sur les hommes du pouvoir ? » [1]Que vous inspire une telle analyse ?

MD :  (Rire) ! Grâce à vous j’ai un article qui m’aidera à confirmer mes déclarations. Lors d’une rencontre il y a quelques jours, j’ai soulevé cette question sous forme interrogatoire. Je ne comprends pas finalement ce qu’on appelle droit d’auteur dans mon pays. Il me semble que le seul droit qu’on ne peut nous accorder est le droit moral tandis que celui patrimonial est la chasse gardée des artistes musiciens comme si l’écrivain n’était pas un artiste. J’espère qu’avec le nouveau Ministre des Arts et de la Culture, les écrivains seront pris en compte désormais. Sur cette question de non prise en considération des écrivains, je suis en train de peaufiner un article. Une fois de plus, merci pour cet article de  Gabriel DEEH SEGALLO.

BL : La littérature camerounaise peut être fière de l’œuvre accomplie par les femmes dans ce domaine. Qu’est-ce qui, selon vous, a favorisé l’entrée des femmes sur la scène littéraire dans votre pays ?

MD : La littérature camerounaise connait de nombreuses figures montantes notamment Evelyne Mpoudi Ngolle, Yvette Balana, Djhamidi Bond, Djaïli Amadou Amal pour ne citer que celles-ci et d’autres qu’on classe aujourd’hui dans le sillage des auteures francophones à l’instar de Calixte Beyala et Léonora Miano etc. Il me semble que l’élément commun chez toutes ces femmes est le souci de s’affirmer en faisant taire toutes les considérations sexistes d’avant la naissance du féminisme. Pour comprendre davantage il faut s’intéresser aux caractéristiques de l’écriture féminine.

BL : Mohamed DIM est-il encore un cœur à prendre ? Veuillez dresser le portrait robot de celle aura la joie de finir le reste de ses jours à vos côtés.

MD :  Non ! Ce portrait robot ainsi que certaines promesses sont dressés dans un des poèmes de mon recueil.

BL : Quels sont vos projets à venir ?

MD :  Plusieurs projets en même temps. Des collectifs aux projets individuels. Sous peu, un nouveau bébé intellectuel naîtra chez Élite d’Afrique Éditions. Pour le genre et le titre, je ne dirais rien mais un indice, ce n’est pas de la poésie.

BL : Comment se procurer « Nulle part : D’ici et d’ailleurs »

MD :  C’est simple : vous pouvez contacter l’auteur via son facebook Mohamed Dim ou aller directement sur le site de l’éditeur si vous êtes hors du Cameroun en cliquant sur le lien :  http://www.leseditionsdunet.com/lang-en/poetry/5698-nulle-part-d-ici-et-d-ailleurs-dim-mohamed-9782312060392.html

BL : Votre mot de la fin

MD :  Merci à Biscottes Littéraires pour tout. Continuez à prêter main forte aux écrivains afin que l’Afrique gagne dans ce chassé-croisé intellectuel mondial. Je laisse tous les lecteurs de votre blog méditer sur ce texte de la page 69 intitulé « Méditation » :

Assoyons-nous et méditons.

Le problème il est réel.

Oui il y a vraiment problème.

L’arrêter, c’est possible

Au travers du dialogue.

 

Il suffit d’un instant de calme

Et de méditation

Pour cerner le nœud du problème.

La riposte violente n’est pas une solution

Car elle attise la révolution.

 

La condition de toute paix est le dialogue.

Seule la méditation

Peut permette de faire cette action.

 

Moment intensif d’un retour intérieur

La solution véritable se trouvera en toi

Lorsqu’on aura compris ton bien fondé.

[1] https://mondesfrancophones.com/espaces/afriques/cinquante-annees-de-litterature-camerounaise%E2%80%A6-cinquante-annees-de-progres/