BL : Bonjour Monsieur Grégoire GBEHO. Vous êtes Professeur d’Anglais, Juriste en fin de formation à l’Ecole Doctorale Pluridisciplinaire d’Abomey Calavi. Qu’avez-vous à ajouter à tout cela pour une présentation plus complète ?

GG : Oui, je suis un passionné de la vie dans son bon sens. Je suis Ami des apôtres de la paix. Motivateur et féministe aussi. Je lutte pour l’émancipation de la femme. Je suis aussi pour le combat pour le respect des droits de la l’homme.

 BL : Vous nagez entre la craie les bancs. Ça ne doit pas être de tout repos… Et voilà que la plume s’y ajoute.

GG : Evidemment, lorsqu’on connait sa mission sur terre, on prie Dieu d’avoir d’énergie pour continuer. Et, rien n’est impossible. Je ne sais pas comment on baisse les bras. J’aime travailler. Je dors moins.

BL : Vous êtes passionné de poésie, mais votre premier livre est plutôt un roman. Qu’est-ce qui s’est passé ?

GG : J’ai une plume mixte. J’ai la capacité de faire les deux, la poésie étant pour moi, le chant du cœur. Cet ascenseur qui fait déplacer le sentiment des hommes. Mais c’est pour le moment un choix.

 BL : Nous y sommes : »Entre deux vies ». Un mot sur la genèse de ce projet d’écriture…

GG : « Entre deux vies » est une aventure lointaine. Il a deux fois changé de titre avant d’être aujourd’hui « Entre deux vies ». Le premier nom fut « Les dos d’âne de la vie ». J’ai été au concours national d’écriture Plumes dorées avec ce nom, ce titre. Sélectionné, je me retrouvai à un atelier d’écriture qui a duré environ deux semaines avec une vingtaine d’autres candidats. Tout se passait à Comé en début septembre 2016.  C’est après un travail de titan que je décidai de changer de nom à ce livre. C’est ainsi que je choisis comme titre « Tous les poissons n’ont pas d’asticots dans la tête ». C’est avec ce titre que j’ai été finaliste avant de rater le premier prix de Plumes dorées décroché par mon confrère, ami personnel Charbel Noutaï que je salue en passant. Seul le premier devait être publié. Que faire ? Conscient des difficultés multiformes d’édition au Bénin, avec un jeune sans moyens financiers, cela n’a pas été facile pour moi. Mais j’ai dû attendre trois ans après pour faire paraitre ce livre qui changea de nouveau de nom: « Entre deux vies » C’est la résultante de mon engagement et mon endurance. Faut-il notifier que j’ai commencé l’écriture de ce livre depuis 2011. Je dois saluer Le DAL, Koffi Attédé, initiateur du concours national d’écriture, Plumes dorées qui a su attiser la flamme d’écrire en moi. Mon ainé et ami modèle Habib Dakpogan que j’ai beaucoup perturbé.

BL : « Entre deux vies » marque votre entrée dans l’univers livresque. À quelles difficultés avez-vous été confronté de la conception à l’accouchement de ce joyau ?

GG : Nul doute! J’aime les difficultés personnellement. Savez- vous pourquoi? Elles sont   meilleur maitre qui éduque mais qui éduque mieux. Je viens de dire mes difficultés ci-haut. Elles sont évidentes. Un arbre qui doit tenir face aux vents forts doit avoir des racines plus pivotantes dans le sol. Ces difficultés m’ont solidifié les muscles. C’est la vie.

 BL : Le livre a pour cadre le milieu universitaire. On y voit Tawéma, étudiant à la Faculté de Droit, tout comme l’auteur du livre, en bute à toutes sortes d’atrocités. Sommes-nous là en face d’une autobiographie, d’une autofiction ?…

GG : Oui, vous avez raison. C’est une autobiographie romancée, donc autobiographie mélangée à la fiction.

 BL : Tawéman, l’un de vos héros s’est retrouvé englué dans les vicissitudes de l’univers estudiantin et votre plume s’est attardée à en dépeindre les affres. Est-ce une malédiction ou une fatalité que l’étudiant béninois ne puisse pas jouir d’un cadre adéquat pour sa formation ?

GG : Parfois, lorsque la malédiction rencontre la fatalité, il est difficile de faire la démarcation. Fatalité, je choisirai. Mais une fatalité nourrie par nous-mêmes.  L’inconséquence de nos actes. Nos dirigeants oui pour manque de sérieux dans certaines de nos administrations.

 BL : Il a beau s’appeler Tawema et sa dulcinée Fafa, ni l’un ni l’autre n’a véritablement accompli ce que prédit leur nom. Tawema qui échoue, Fafa qui est source de discorde. Quelle est la particularité de l’onomastique choisie pour ce livre ?

GG : Très belle question. Il y a vraiment une antinomie entre leur nom et ce qu’est leur vie.  Cette particularité onomastique n’a pas réussi, dans le cas d’espèce malheureusement.  Et ça me rappelle ce cas qui cadre bien avec cette contradiction entre le nom que nous donnons aux enfants et ce qu’ils deviennent ou ce qui leur arrive. J’ai lu cette histoire dans un roman nigérian, donc écrit en Anglais (j’en lis beaucoup). Le Titre est « Arrows of Rain », une métaphore. Arrows qui est flèche et rain qui est pluie. Alors, le personnage   s’appelle Oguguamakwa (nom ibo) qui signifie celui qui console et conforte. Un journaliste. Mais de la première page jusqu’à la dernière (248 pages),  sa vie a été malheur jusqu’à la fin. Je l’ai lu il y a environ deux semaines dans le cadre de mes recherches.  Je veux juste souligner ce caractère fuyant selon lequel une chose est de vouloir le bon ou le bien. Mais une chose est de le vivre. Fafa (en mina) qui est prière, souhait, paix a raté sa ligne d’épanouissement et prit le chemin évanescent, tunnel du mal. Tawèman également. Mais figurez- vous que Tawèman a un autre sens aussi ! Chacun a son étoile. Son sort que rien ne peut contrarier. C’est le poids de la destinée. Il y a beaucoup de Richards qui ne sont pas riches! (je m’excuse pour cet exemple). Chez les chrétiens, il ne suffit pas de se faire appeler Christian (chrétien en Anglais), pour gagner le ciel. Voilà. Nos souhaits ne prospèrent pas souvent…, ou tout le temps !

 

BL : Taméma tombe amoureuse de Fafa. La mère de cette dernière est contre leur relation. La raison : ils ne sont pas du même bord religieux. Et pourtant l’amour et la religion par nature devraient unir les hommes….

GG : Devrait oui. L’amour vient de Dieu. La religion est de Dieu. Pourtant. C’est une réalité qui nous mange le coeur. Une réalité qui fait son chemin, malheureusement. Religion, amour.

 BL : « Entre deux vies » c’est aussi une histoire de lévirat. Pensez-vous que nos peuples soient assez prêts pour abandonner une telle pratique quand on sait que pour doter la femme, c’est parfois toute la famille qui s’y met et que cette femme de par la dot devient l’épouse de toute la famille ?

GG : Il faut être Jésus pour être le même hier, aujourd’hui et pour toujours. A part lui, plus rien n’est éternel. Le lévirat. Si notre société n’est pas prête à le laisser tomber, alors c’est le lévirat qui la laissera tomber. Vous voulez savoir pourquoi, Abbé Destin?  Tout change. Tout change au tour de nous. Nous devons oser aussi suivre ce qui libère la femme. Et, c’est là, la grande préoccupation. Est- ce que le lévirat est une bonne pratique?  Serions-nous tout le temps conservateurs?  Serions- nous tout le temps entrain d’imposer à la femme africaine, ce qu’elle ne veut pas? Serions-nous entrain de violer et violenter la vie humaine pour question culturelle? Je ne pense. Je peux ne pas raison. A nous de voir. Le mariage est consensuel. Et le lévirat étant une atteinte à la femme, n’est pas une bonne pratique à encourager. Il rend la femme esclave. Et comme je l’ai dit dans le roman, une femme esclave mettra au monde des enfants esclaves. Et des enfants esclaves bâtiront une société d’esclaves où le développement ne sera qu’un mirage. Vous aviez parlé de la dot payée… Je me garde de me prononcer là-dessus. J’ai moi le sens de la dot. La dot n’achète pas la femme. La dot est une main tendue pour recevoir d’une autre famille ce que l’on veut pour aide. La femme mérite plus que la dot. Sa liberté est sans prix. Je tais d’autres choses cachées derrière le lévirat. Les lecteurs pour découvrir eux-mêmes. Mais, c’est une atteinte aux droits de la femme. Qu’elle soit libre de faire son choix. Pas de pression venant de sa société. La femme doit savoir ce qui lui va.

 BL : L’œuvre, c’est aussi de longues tirades à allure moralisatrice. L’écrivain est-il un moralisateur ou celui qui ouvre les yeux des siens sur les problèmes de la société ?

GG : C’est vraiment juste votre constat. C’est là mon péché. Allure moralisatrice. Les deux. L’écrivain est celui-là qui se donne les moyens pour changer la société. Si vous êtes d’avis, alors, il est les deux à la fois. Juste que certains n’aiment pas de morale dans la prose.

BL : Vous vous réclamez de l’école de Sartre. Que pensez-vous que le sartrisme puisse apporter à notre société contemporaine embarquée davantage dans le « primum vivere deinde philosophari ».

GG : Si nous sommes d’avis que nous sommes victimes de la désagrégation de nos mœurs, si nous sommes d’avis que notre société est victimes de notre manque d’humanisme, alors nous avons encore besoin de l’existentialisme. Il est humanisme. Comme le dit Jean Paul Sartre dans L’existentialisme est humanisme, à la page 25, cette théorie est un mode de vie. Il écrit : » … Il semble que, faute de doctrine d’avant-garde analogue au surréalisme, les gens avides de scandale et de mouvement s’adressent à cette philosophie, qui ne peut d’ailleurs rien leur apporter dans ce domaine; en réalité, c’est la doctrine la moins scandaleuse, la plus austères; elle est strictement destinée aux techniciens et aux philosophes » pp 25-26. Voilà ce que je pourrai dire. Si le monde doit tenir sur ses pieds et faire chemin avec la paix, il nous être existentialistes.

 BL : Dans ce cas, quel sens donnez-vous alors à la pensée de Shakespeare qui dit ceci : « être ou ne pas être : c’est là la question » ?

GG : Shakespeare, lui, il a été toujours compliqué pour moi. Je ne sais pas si je pourrai l’expliquer convenablement. Mais je puis dire qu’il oppose l’existence à l’essence. Savoir s’il ne faut pas être avant d’exister. Et c’est là justement le grand débat. C’est un peu technique.

 BL : Vous avez certainement votre mot à dire sur le sens de l’engagement de l’écrivain. C’est quoi un écrivain engagé ?

GG : A mon sens, un écrivain engagé est celui-là qui prend la plume pas comme un métier mais plutôt comme une mission.  Il faut que L’écrivain soit là pour défendre le bon, lutte pour le triomphe de l’intérêt général, corrige la société sans prendre en considération les menaces. Un écrivain engagé n’écrit pas pour être aimé. Non. Il porte la voix du bien, des faibles, travaille à l’amélioration des conditions de vie de son peuple aussi. Il force la main pour mieux faire. C’est ma manière de voir ça.

 BL : Il se fait aujourd’hui le constat désolant d’un désintéressement sans cesse grandissant pour la lecture dans les milieux éducatifs béninois. Pourtant le nombre des écrivains va croissant. Quel avenir prédites-vous au livre béninois ?

GG : De l’espoir. Nos jeunes frères et sœurs ne lisent plus. La primauté de la télé, la vitesse vertigineuse de l’image, des réseaux sociaux a tout pourri. Mais il faut y croire car ça prendra. Je le fais en ma qualité d’enseignant, d’éducateur, je ne rate pas souvent l’occasion d’en parler. Parfois je trouve un laps de temps pour lire à mes apprenants certains de mes textes. Educatifs bien sûr. Il y en a qui lisent nonobstant. Et, pour que cela prenne vite et mieux, nos autorités à divers niveaux, que cela soit du côté du ministère de la culture, que du côté des autorités au niveau de l’enseignement, ils doivent réagir, s’impliquer, prendre très tôt les mesures pour y remédier. Des bibliothèques dans nos écoles et collèges par exemples feront l’affaire. Des centres de lecture dans les quartiers ou communes,.. Tout peut changer et j’y crois.

 BL : A quoi devons-nous nous attendre après « Entre deux vies » ?

GG : Ça dépend! Ça dépend! Le Roman « Ames avortées » est fin prêt, il reste juste la relecture. J’ai aussi treize nouvelles déjà écrites qui respirent de manière filtrée dans mon tiroir. Quelques exemples: Meurtre au robinet, La poule criminelle, Le mal de naitre pauvre, Cœur de femme, String, pas comme les vôtres….

Mais aussi un projet…sur le livre. Dieu nous garde. J’attends digérer ce que je viens de lancer. C’est aussi une question de gros sous au Bénin pour éditer un livre. Ça coûte les cheveux de la tête!

BL : Où et comment peut-on se le procurer ?

GG : Disponible à la maison d’édition Wéziza à Agla dans la vons Zéro souci. Aussi dans le seul Kiosk et centre de photocopie juste à 50 mètres après le grand portail du CEG Fiyégnon à Fidjrossè, en allant à la plage, route des pêches. On peut me joindre directement pour se le procurer sur le 67810670. Vous savez, nous sommes à nos débuts et ça se fait doucement

BL : Monsieur Grégoire GBEHO, un cœur à prendre ?

GG : Très facile à vivre. Un cœur pas mal. Mais un cœur comme tout autre cœur normal…

BL : Un portrait de celle-là qui aura la joie de conquérir votre cœur…

GG : Portrait plutôt de celle qui l’a déjà pris…rire! Je suis marié depuis deux ans. Un mariage normal bien sûr, comprenez- moi. J’ai une épouse selon le cœur de mon Dieu. Très belle et bonne pour moi.  Elle m’inspire beaucoup. Parfois, je la fais asseoir et je l’observe en écrivant. Sa joie et sa colère m’inspirent.

 BL : Votre mot de la fin

GG: Je préfère utiliser une pensée de mon roman, « Entre deux vies. »

« Traîne-moi où tu voudras, nature. Verse- moi dans la source qui te plaira. Donne-moi le nom qui te dira. Mais laisse-moi mon souffle, et mon âme tiendra promesse » p.11.

Dieu nous prête vie et tout ira bien.

Je dis merci à votre rédaction pour l’interview à moi accordée. C’est un plaisir de travailler avec vous. Vous avez réussi à réveiller d’autres choses en moi. Merci à tous ceux qui me liront. Je dis à la jeunesse de lire. Aux parents de faire lire leurs enfants. A nos autorités de repenser la question du livre au Bénin. Et à tous les écrivains d’avancer. Surtout les plus jeunes comme moi qui apprennent encore.