« Pour ma part, le féminisme n’a point de place dans mes œuvres. J’y ai toujours prôné un genre dépouillé de malice. » Bernadette GAYON

BL : Bonjour Madame GAYON. Grande est notre joie, et profonde notre admiration, de vous recevoir sur notre blog. Nos amis internautes seraient très ravis de savoir qui est réellement Bernadette GAYON. Présentez-vous donc.

BG : Je suis flattée que vous veuillez m’accepter sur votre blog. J’espère ne pas décevoir vos attentes. Vous le savez. Mon nom est Bernadette GAYON.

Ce que vous ne saviez sans doute pas, est que je suis née Binazon-Mizéhoun. Eh oui ! Ainsi va le destin de la femme, qu’elle y perd jusqu’à son identité première.

Je suis née en 195O à Allada, d’un père commerçant et d’une mère revendeuse de tout ce qui pouvait générer en ce moment-là, quelques sous de subsistance. Paix à leurs âmes à tous les deux.

BL : Vous êtes de formation scientifique. Comment êtes-vous arrivée à littérature?

BG : Je suis infirmière de formation et comblée de l’être. C’est un très noble métier.

Vous m’avez lue, m’avez écrit et en ce moment je vous réponds et vous me lirez. Voilà comment je suis arrivée à la littérature : en lisant. En lisant un peu de tout. J’aime lire et il semblerait que c’était depuis mon enfance. Mais ne vous y méprenez surtout pas. Ce fut beaucoup plus par peur que par plaisir car à notre temps à nous, le maître avait la chicotte un peu trop facile et pour y échapper, il fallait savoir. Savoir, c’était lire. Savoir; c’était apprendre ses leçons, faire les exercices et tout ce que demandait le maître. Et tout cela passait par la lecture. C’était le passage obligé pour échapper à la chicotte. Puis au collège, cette tare m’était déjà restée. Lorsque j’échouai à l’EPET, donc devant redoubler la classe de première, j’optai dévier. Le premier concours qui s’était présenté fut pour la formation infirmière. Vous savez maintenant, comment je suis devenue infirmière, donc de série scientifique comme vous le dites.

BL : Donc le vrai travail d’une infirmière ne se limite pas à aider à accoucher des bébés, mais engendrer la société aux moyens des lettres. Est-ce ainsi que vous redéfinissez votre vocation?

BG : « Engendrer la société aux moyens des lettres. » C’est sans doute cela, mais je ne le savais pas. Je communiquais avec mes patients en leur apportant avant même le médicament, le soulagement. Pour être aussi passée par la douleur de l’enfantement, j’enfantais avec les femmes en travail et vivais avec elles, le bonheur de la délivrance. Vous pouvez me croire, nombre d’entre elles sont demeurées mes amies. D’ailleurs par déformation, je n’ai jamais pu quitter ce beau métier, et c’est cela qui explique l’ouverture de mon cabinet après ma retraite, et qui partage le restant de ma vie avec la lecture et l’écriture.

BL : Vous avez été influencée certainement par des figures de femmes, des figures fortes, dirions-nous. Pouvez-vous nous parler de trois femmes qui vous ont le plus marqué dans votre vie?

BG : Toutes les femmes sont des figures fortes et m’impressionnent, car chacune d’elle est un exemple d’histoire. Si elles vous font confiance et vous parlent, aucune encyclopédie ne les égalerait. Le frein, c’est la non scolarisation et le papotage car les femmes de notre continent savent bavarder, mais n’arrivent pas souvent à se dire.

Trois femmes avez-vous dit ? Et si nous prenions Mariama BA dans sa « Si longue lettre. » Quand j’observe le combat que mène madame Fassinou Allagbada, j’avoue qu’elle m’influence. Puis mes filles, je me suis toujours demandé comment à ces âges-là, elles peuvent être aussi héroïques. Déçu, monsieur l’abbé ? Je ne suis pas allée chercher bien loin n’est-ce pas ? C’est pourtant ma conviction.

BL : Chimamanda Ngozie pense que nous devrions être tous des féministes. Qu’en pensez-vous? Quelle est la place du féminisme dans vos différentes œuvres?

BG : Féministes ? Pourquoi ? Vous vous reprochez quelque chose vous les hommes ? Non, sérieusement. Si déjà homme et femme solidaires, chacun pouvait rester dans son couloir sans ce protectionnisme intéressé et hypocrite, le monde ne s’affublerait pas de ces considérations. Pour ma part, le féminisme n’a point de place dans mes œuvres. J’y ai toujours prôné un genre dépouillé de malice.

BL : Dans une Afrique où il a fallu ferrailler dur pour que la femme connaisse le chemin de l’école, quel regard portez-vous sur votre parcours scolaire?

BG : Vous ne pensez pas si bien dire en parlant de ‘ferrailler dur pour mettre la fille sur le chemin de l’école. A propos de parcours scolaire, je vous enverrai en première intention une de mes œuvres qui donne des détails à ce propos. Vous pourrez même m’aider à lui trouver un éditeur si vous la jugez digne d’intérêt. Mais cela, seulement si vous me donnez votre accord. Tout ce que je pourrais suggérer si cela m’était permis, ce serait qu’il coûte au plus cher, 2000 frs et au moins cher, 1000frs CFA, car j’écris pour être lue surtout par le bas peuple.

BL : Être écrivaine dans cette Afrique encore jalouse de ses traditions où l’homme a presque toujours la première place, cela relève-t-il de la Fierté ou de la Nécessité?

BG : De la nécessité ! Etre écrivaine sous nos cieux relève de la nécessité. En fait c’est quoi écrire ? A mon entendement, c’est dire. Et si l’on empêche la femme de dire, c’est qu’il y a des choses dont on ne se retrouve pas fier. La tradition, notre tradition devrait faire son examen de conscience.

BL : Quel regard portez-vous sur la société béninoise contemporaine qui lutte entre modernité et soif d’authenticité?

BG : Modernité et authenticité devraient concéder chacune, un peu de son égo pour survivre. Pour nous autres africains il y a du retard à rattraper auprès de la modernité, sans toutefois laisser choir ces authentiques vertus enviables et enviées d’ailleurs, et qui font notre identité.

BL : Vous avez écrit « Et pourtant… femme devra s’obstiner ». Est-ce pour guérir « La blessure du passé »? Ne voyez-vous pas que la femme est déjà assez forte et qu’il ne serait plus nécessaire de la pousser à l’obstination?

BG : Plus que jamais la femme devra s’obstiner, pour conquérir sur le même piédestal que l’homme, sa place. Je ne le dis pas seulement parce que femme, mais aussi parce qu’amoureuse de l’équilibre et de l’équité. Mais en réalité, ‘Et pourtant…femme devra s’obstiner’ est l’histoire d’une femme que j’ai connue à Parakou. Naturellement que je l’ai romancée, mais elle est assez proche de la vérité. « La blessure du passé » elle, est la vie d’une amie enseignante de Porto-Novo que j’ai connue dans les couloirs de la maternité de l’hôpital où j’exerçais. Ni l’une ni l’autre de ces œuvres n’était écrite pour pousser à quoique ce soit. J’écris la femme pour souvent montrer au monde, ce qu’il fait d’elle. Peut-être bien qu’il n’en a pas conscience et donc, qu’il faut attirer son attention sur sa phallocratie.

BL : Quel lien y a t-il entre vos deux parutions « Et pourtant… femme devra s’obstiner » et « La blessure du passé »?

BG : Entre ces deux parutions, un et un seul lien. La situation faite à la femme sous nos cieux.

BL : Dans l’ouvrage collectif « Le temple de la nuit profanée », vous avez écrit un récit intitulé « Jusqu’à quand?… jusque donc à quand? ». Qu’est-ce qui vous a motivée à écrire un texte aussi émouvant avec un dénouement dramatique et triste?

BG : Monsieur l’abbé. J’écoute, je regarde et je transforme. Voilà ce que c’est que ‘Jusqu’à quand… ? Jusque donc à quand ?’ Vous ne me croiriez pas si je vous disais que dans mon métier, j’ai même vu des femmes mariées et mères d’enfants, mourir silencieusement d’interruption volontaire de grossesse imposée par leurs époux. L’une d’elles nous a dit avoir plaidé pour le planning, mais son époux craignait qu’elle ne finisse par le tromper. Après avoir donné la vie, faudrait-il que la femme porte sur ses épaules la mort ?

Ce qui m’a poussée à écrire ce récit ? La triste vie que l’on impose à la femme, et pire, à la naïveté de son adolescence. Il faut apprendre à nos filles ce que c’est que leur corps. De pareils drames ne surviendraient pas si elles se connaissaient. Mais aussi et surtout si l’homme, le père je veux dire, ne fuyait pas ses responsabilités. J’ai bien conscience que ma voix ne porte pas, et pour notre tradition, des gens de notre acabit ne sont que des renégats. J’ai tout aussi conscience que notre tradition, encore elle, n’est pas prête pour faciliter le changement. Vous voyez, dans la vie de tous les jours comme en politique, nous ambitionnons le changement et nous le prônons en nous efforçant de lui rendre la vie de plus en plus dure, chaque fois que nous en trouvons l’occasion. Notre monde a besoin de se refaire et il y parviendra ! Ne me demandez pas comment, car vous me confondriez.

BL : Peut-on y lire votre plaidoyer pour la vie qui se manifesterait par un refus catégorique de l’avortement et de toutes pratiques du même genre?

BG : Il faut vulgariser le planning et permettre à la femme de l’accepter. Vous n’avez pas idée de combien d’hommes le prônent sur les toits, et l’interdisent sous leur toit. Personnellement je ne suis pas contre l’avortement si on y est obligé. Je voudrais seulement qu’il soit fait en épargnant la vie de la femme. Et pour y parvenir, il faut cesser d’inciter à le faire en secret. Nos députés s’ils étaient honorables, s’en seraient préoccupés.

BL : Dans notre société de plus en plus érotisée où le sexe n’est plus un tabou et où le féminisme est défini comme ceci par certaine femmes: « Je fais ce que je veux avec mon corps », quels sont les moyens que vous vous donnez pour que votre voix puisse se faire entendre? Êtes-vous sûre de vous faire entendre vraiment dans ce concert de notes discordantes où la vie ne vaut plus grande chose pour certaines personnes?

BG : Faire de son corps ce qu’elle veut à l’image de ces scènes obscènes que sans vergogne l’on montre sur nos chaines ? Offrir son corps à qui voudrait prendre un peu de plaisir pourvu qu’il dispose du répondant ?  C’est non !

Le sexe n’a jamais perdu de sa valeur qu’auprès de qui, il est un vil objet. Et le bénéfice de son abus n’est jamais bien loin, car la vie est assez courte pour se vendre à crédit. Ma voix ne porte pas, je crois l’avoir dit plus haut. Mais pour autant je ne resterai pas sans dire. Et quoiqu’on dise je demeure convaincue que la femme qui a pu conserver le positif de notre tradition, pour l’allier à l’acceptable de la modernité, ne fera de son corps que de belles choses.

BL : Quand on prend de l’âge, on apprécie mieux les réalités de la vie. Si vous devriez résumer la vie, que diriez-vous?

BG : Une plénitude obscurcie et bousculée par l’intelligence humaine.

BL : Votre mot de fin

BG : Merci à tous ceux qui n’usent pas d’esprit retors avec la femme. Merci à vous qui me donnez une si belle opportunité. Merci encore.