« Ce qu’il faut pour que le livre retrouve une place de choix sur l’échiquier culturel est simple : arrêter un moment de faire la critique et commencer à agir. Etre moins dans le discours et plus dans l’action. Tous ceux qui souhaitent que le livre retrouve une seconde vie devraient arrêter de dire ce qu’il faut faire et se mettre à faire ce qu’ils disent. Point ! » Yann  Colince

 

BL : Bonjour Monsieur Yann  Colince (YC). « Biscottes littéraires » est heureux de vous recevoir. Soyez remercié pour votre disponibilité à ouvrir ici votre cœur à nos amis lecteurs qui seront très heureux d’en savoir davantage sur vous.

YC : Merci pour l’occasion que vous m’offrez de parler de ce qui me passionne. Je ne cache pas mon bonheur de partager avec vos lecteurs ces moments d’échanges.

BL : A YANN Colince est lié un nom célébrissime et assez atypique : « Le Sorbonnard ». Qu’en est-il réellement ?

YC : Sourire. En vérité, ‘‘Le Sorbonnard’’ c’est le petit nom que la maman de Prince YANE (personnage central de mon œuvre L’Ivrogne de la Sorbonne) attribue à son fils, pour des raisons évidentes aux yeux de ceux qui ont lu le livre.

BL : Votre roman est diversement apprécié. Les uns y lisent une hyper-célébration de la femme et de l’alcool. D’autres pensent que c’est un exutoire. Que doit-on retenir concrètement ?

YC : J’adore faire un parallèle entre mon livre, l’Ivrogne de la Sorbonne et le film ‘‘Titanic’’. La majorité de ceux qui ont regardé ce film n’en retient que l’émouvante histoire d’amour entre deux jeunes. Alors que Stephen Spielberg, réalisateur du film, n’a fait ce film que pour dénoncer la démesure humaine, la grandiloquence de ceux qui ont conçu le bateau baptisé Le Titanic. C’est un peu comme avec L’ivrogne de la Sorbonne ; ceux qui l’ont lu ne retiennent que l’hymne à la béninoise en bouteille et la Béninoise en pagne. Alors que l’auteur, moi en l’occurrence, je n’ai écrit ce livre que pour célébrer la joie de vivre dans l’espoir de la rendre contagieuse, pour rappeler le plaisir qu’il y a à prendre son temps pour vivre sa vie ; et surtout, message principal de l’œuvre pour ceux qui savent lire entre les lignes, ce livre célèbre la victoire de la passion sur la tentation au suicide (Page 109). C’est tout !

BL : Peut-on en conclure que le sorbonnard est une mise en abyme de l’écrivain Colince Yann ?

 

 

 

YC : Gustave Flaubert, auteur du célèbre roman ‘‘Madame Bovary’’, a écrit : « Madame Bovary, c’est moi ». Ça fait son affaire ! L’auteure de ‘‘Le journal d’Esclamonde’’, Adelaïde Fassinou, lui répond : « Eh bien, moi, je ne suis pas Esclamonde ». Madame Fassinou pense, et je partage son avis, que ‘‘Réduire un auteur au personnage principal de son œuvre est justement réducteur’’. Ceci dit, cela ne m’offusque aucunement de voir comment les uns et les autres s’amusent à nourrir et entretenir de jeux d’assimilation entre Prince YANE et Colince YANN. Cela m’amuse moi aussi et je me demande même si je ne pas contribue à entretenir cette confusion. Sourire.

BL : Comment le public a-t-il reçu votre livre. Vos attentes sont-elles comblées ?

YC : Le livre n’est pas passé inaperçu. Mais je dois reconnaître que le coût (cinq mille francs Cfa l’exemplaire), n’est pas à la portée de toutes les bourses. Ce sont finalement les amis de la diaspora qui ont été plus nombreux à se le procurer. Ce qui ne veut pas dire que le livre n’a pas été bien vendu au Bénin, au contraire ! Il y a même eu une rupture de stock à la librairie Sonaec. Mais je pense que si le prix avait été à la portée de toutes les bourses, le livre aurait été un véritable phénomène…

BL : Colince YANN ne se laisse jamais voler sa bonne humeur, son humour et son sourire contagieux. Ces traits de votre caractère sont-ils un conditionnement pour un rendez-vous fécond avez les muses ?

YC : Question profonde, voire suspecte. Non, je ne pense pas qu’il faut être heureux pour être inspiré. J’engloberais en disant qu’il faut être sous le coup de fortes émotions (consécutives à une joie intense ou un drame personnel profond) pour honorer un rendez-vous fertile avec les muses.

BL : Qu’est-ce qui vous inspire alors fondamentalement? L’écriture selon vous est-elle un acte spontané ou doit-elle être nécessairement fille de l’inspiration ?

YC : Ce qui m’inspire, je l’ai dit, ce sont les émotions fortes. L’écriture, acte spontané ou fille de l’inspiration ? Je ne saurais le dire. Toutefois, je pense qu’on ne devrait commettre l’acte d’écrire que quand on pense avoir quelque chose de singulier à dire. C’est une forme de respect que nous devons à ceux qui se donnent la peine de nous lire.

BL : Pensez-vous que les écrivains jouent vraiment de nos jours leur rôle de veilleurs et d’éveilleurs de conscience ? N’avez-vous pas l’impression qu’ils hésitent à prendre position et à relayer ce que vit et pense le peuple tout bas, ou qu’ils se laissent ravir leur vedette par les réseaux sociaux où l’information va très vite et où les jeunes ne lésinent pas pour dire ce qu’ils pensent, sans ménagement ni crainte ?

YC : De nos jours les écrivains ne jouent pas toujours un rôle de veilleurs ou d’éveilleurs de conscience et je m’en réjouis. La littérature moralisatrice, la littérature donneuse de leçon, la littérature bien-pensante, en un mot la littérature des pédagogues, je respecte. Tout en revendiquant le droit à la littérature ludique, la littérature-passion, la littérature-plaisir. Je me sens plus proches de ceux qui écrivent pour prouver que la lecture peut aussi être une activité ludique. Pour ce qui relève de la littérature engagée et surtout de l’allusion faite aux réseaux sociaux, je suis catégorique : non, l’écrivain n’est pas et ne saurait être en concurrence avec l’internaute ! Dans une certaine mesure, on peut faire le débat de la concurrence ou du chevauchement de rôle entre les journalistes et les animateurs des réseaux sociaux, entre les médias traditionnels et les nouveaux médias, etc. Parce que les journalistes, comme les animateurs des réseaux sociaux, ont pour principale matière première l’actualité immédiate ou récente. Ils sont des historiens du présent. Leurs productions sont périssables à brève échéance. Ce qui n’est pas le cas de l’écrivain. Que l’écrivain veuille faire de la littérature engagée ou pas, à mon avis, cela n’a rien à voir avec ce qui se fait (ou ne se fait pas) sur les réseaux sociaux.

BL : Finalement pour vous, qu’est-ce qu’ »écrire » ?

YC : Comme chacun peut s’en rendre compte en me lisant ici ou ailleurs, pour moi, écrire c’est jouir.

BL : Colince YANN, c’est aussi la joie du partage. Nous avons été impressionnés par votre dévouement pour la réalisation de la bibliothèque solidaire de Médédjonou. Comment cette initiative est-elle née ? Quelles ont été les difficultés rencontrées ? Et qu’attendez-vous des usagers de cette bibliothèque ?

YC : Pour la genèse de la Bibliothèque Solidaire, l’idée est partie et a mûri au cours de nombreuses conversations avec un ami, Michel Noudogbessi. Il connaît ma passion pour les livres. Il nourrissait le rêve de mettre une bibliothèque à la disposition des apprenants de son village, Mèdédjonou. Il m’a plus d’une fois demandé de l’aider à faire de ce rêve une réalité. Je lui répondais chaque fois que je lui reviendrais dès que je sentirais que c’était le bon moment de lancer l’initiative. Puis, comme la date du 14 novembre 2016 approchait, j’ai indiqué à Michel que le bon moment était arrivé. Je lui ai exposé mon plan. En effet, le 14 novembre 2016, cela devait faire un an que mon deuxième livre, L’ivrogne de la Sorbonne, avait été lancé. J’ai donc organisé à cette date, le 14 novembre 2016, à la Commission nationale permanente de la Francophonie, une conférence de célébration de l’an un de la sortie de mon livre, qui était en réalité le bon prétexte que j’avais trouvé pour lancer l’opération bibliothèque solidaire. Voilà la Genèse ! Pour les difficultés, les frustrations, je ne saurais en parler. Ce que je sais c’est que la mobilisation des acteurs de la chaîne du livre et des internautes autour de ce projet a été extraordinaire. Les contributions des personnalités diverses (comme le ministre Oswald Homeky), des organisations (comme la fondation Ajavon Sébastien germain), des structures étatiques (comme la Loterie nationale du Bénin), des artistes comme le Trio TERIBA, la DAL (Direction des arts et du livre), etc., ont été au-delà de nos espérances. En voyant cet engouement incroyable autour de l’opération de collecte de livres pour la bibliothèque, en voyant le Bénin entier et même sa diaspora se mobiliser autour de cette opération, les élites de Mèdédjonou se sont elles aussi véritablement impliquées dans la réalisation du projet. Et par effet boule-de-neige ainsi créé, cette initiative est devenue l’affaire de tout le monde, avec le succès que chacun sait. Ce que j’attends des usagers de cette bibliothèque ? Rien ! Par contre, j’attends tout des autorités de la commune d’Adjarra en général et de l’Arrondissement de Mèdédjonou en particulier. C’est à ceux-là qu’il appartient de prendre les dispositions nécessaires (administration de la bibliothèque, organisation d’activités autour du livre, etc) pour que bon usage soit fait de cette bibliothèque.

BL : Vous penser certainement réitérer cette initiative de bibliothèque solidaire en faveur d’un autre collège…

YC : J’avoue que des sollicitations sont nombreuses. Depuis le succès de cette initiative, j’ai reçu un certain nombre de propositions pour collaborer à des initiatives similaires. Une chose est certaine, je mettrai à profit l’expérience que j’ai capitalisée dans la conduite de cette initiative pour conduire d’autres projets, toujours dans le sens de la promotion de la lecture.

BL : Quand on parle de culture, on ne pense pas automatiquement à la littérature. Que faut-il faire selon vous pour que le livre recouvre sa place sur l’échiquier culturel à voir les propensions énormes que prennent la danse et la musique qui représentent bien souvent, dans la tête de plus d’un, l’entièreté de l’univers culturel ?

YC : Ce qu’il faut pour que le livre retrouve une place de choix sur l’échiquier culturel est simple : arrêter un moment de faire la critique et commencer à agir. Etre moins dans le discours et plus dans l’action. Tous ceux qui souhaitent que le livre retrouve une seconde vie devraient arrêter de dire ce qu’il faut faire et se mettre à faire ce qu’ils disent. Point !

BL : Quel est l’écrivain béninois qui vous a le plus marqué ? Pourquoi ?

YC : Vous demandez à un polygame bon teint de vous dire laquelle de ses femmes il préfère ? Vous êtes sérieux là ? (Sourire). Plus sérieusement. Je pense, sans prétention, que je suis devenu un acteur à part entière de l’univers du livre au Bénin. A chaque milieu ses susceptibilités. Répondre à ce genre de question pourrait m’exposer à des polémiques aussi inutiles qu’insensées, à des interprétations insidieuses et malencontreuses que je peux encore éviter, simplement en donnant ma langue au chat.

BL : Pensez-vous que la jeune génération ait assez de ressources pour porter plus haut le flambeau de la littérature au Bénin quand on voit que les productions de ces derniers peinent à se faire une audience, ne serait-ce que locale ?

YC : Les productions peinent à se faire une audience pas toujours parce que la jeune génération manque de ressources, mais parce que le volet ‘‘promotion du livre’’ a du plomb dans l’aile. Pour qu’un produit ait de l’audience et soit vendu, il faut qu’il soit connu. C’est valable pour le livre aussi. D’ailleurs, j’ai l’ambition de prouver, à travers un projet en cours de conception, que la promotion de la bonne lecture est la clé de voûte pour l’essor de la bonne littérature.

BL : Vous avez sûrement des projets…

YC : J’en parlais précédemment. J’ai même déjà trouvé un nom à l’une de mes prochaines initiatives, ‘‘GOAL’’ : Génération Occupée Autour du Livre. L’un des objectifs du projet GOAL est de remettre le goût de la lecture au cœur des habitudes des populations. C’est une initiative qui prendra du temps, mais le travail avance, lentement, surement, irréversiblement. Je n’en dirai pas plus pour l’instant.

BL : Votre mot de fin

YC : Que dire pour la fin, sinon que j’ai faim…de toits ! J’ai faim et je suis impatient de voir le livre devenir une préoccupation majeure sous chaque toit, dans chaque maison. Pour ma part j’y travaille. Je sais que nous sommes nombreux à travailler pour ce même idéal. J’espère que nous serons chaque jour encore plus nombreux à agir pour mettre le livre au cœur de nos vies, de notre société. Parce que comme je le pense sans cesse, et ce sera mon mot de fin, ‘‘La manière la plus efficace d’offrir les meilleurs chances de réussite à l’école à nos enfants, c’est de leur inculquer le goût de la lecture le plus tôt possible’’.

    • Oui, Akofa, le sorbonnard nous voltiger entre différentes sortes de béninoises