Bonjour les amis. Aujourd’hui, c’est lundi, jour d’interview sur votre blog. allons à la découverte de l’écrivain de la semaine:  » Pour moi, la littérature est le produit des institutions littéraires. Pour sonder l’état d’une littérature, il faut questionner ses institutions littéraires. Par institutions littéraires je veux parler des éditeurs, des réseaux de distribution et de diffusion, des réseaux de communication, des prix littéraires, des académies, des festivals, des journaux ou magazines, des critiques amateurs ou universitaires, de l’école, de la politique du livre de l’État. », Timba Bema

 

BL : Bonjour Timba Bema. Nous sommes heureux de vous recevoir sur Biscottes littéraires. Écrivain, musicien, vous êtes un artiste polyvalent et multi talents. Les lecteurs sont sans doute curieux d’en savoir plus sur l’homme.

TB : Bonjour. Je vous remercie de cet entretien. Il est toujours difficile de se définir, c’est-à-dire de tracer une frontière entre soi et les autres, de délimiter un espace où on serait soi et pas l’autre. Je pense que cette tendance est liée à la propriété. Il se trouve que dans certaines civilisations, l’individu ne peut se saisir que par rapport à ses possessions. Il est parce qu’il possède, il est par ce qu’il possède, il est réductible à ses possessions. C’est donc en considérant la propriété que l’on parle de soi avec certitude, sans réserve, sans crainte finalement de passer à côté du sujet, c’est-à-dire de soi-même. Je ne vais donc pas me lancer dans cet exercice. Toutefois, je vais vous raconter un souvenir qui, je crois, a construit l’homme que je suis devenu. En classe de CE1, ma maîtresse, madame Sippora, je me souviendrai toujours de son nom, nous demanda, à la rentrée des classes, d’acheter des couvertures pour couvrir nos cahiers. Tandis que les cahiers de camarades avaient des couvertures en plastique de différentes couleurs, les miens étaient protégés par du papier pour patron de couleur kaki, généralement utilisé pour concevoir des vêtements. C’est que ma mère, couturière à ses heures perdues, estimait que ce serait gaspiller de l’argent que d’acheter des couvertures en plastique qui se seraient déchirées avant la fin du premier trimestre. J’eus beau pleurer, refuser d’aller à l’école, elle resta ferme dans sa position. D’abord honteux, je me ravisai lorsque je réalisai que mes camarades ne faisaient aucune remarque sur mes cahiers.

BL : Pour quelqu’un qui a côtoyé une foule de musiciens pendant son enfance, l’avenir le plus probable était bien celui de chanteur. Mais vous prenez tout le monde en contre-pied en optant pour la littérature et l’écriture. Pourquoi les lettres ?

TB : Je pense qu’une des choses qui me caractérisent est de ne pas toujours faire ce que l’on attend de moi, de ne pas toujours être là où on m’enferme. C’est un certain goût de la liberté, de la vérité et aussi de l’authenticité. La musique occupe une place très importante dans ma vie, en ce sens que je vis dans et avec la musique. J’écris des chansons, je compose et je joue d’un instrument. J’aborde la musique comme une consolation. Sinon comme une oasis, un enchantement, un moyen de retrouver une certaine légèreté, une candeur, de m’oublier, de m’élever dans les airs et voler comme un pélican, cet oiseau qui me fascine tant. L’écriture sollicite plutôt chez moi la réflexion, le questionnement. Elle m’est apparue comme le moyen le plus adéquat pour explorer les ressorts de l’âme humaine, ce qui n’est pas vraiment possible avec la musique. Les mots me semblent donc nécessaires puisque nous sommes des êtres de langage et que nous saisissons tout à travers les mots. Parfois, en entamant un projet, je ne sais pas où il va me conduire ni quelles en seront les péripéties. Il peut aussi avoir pour point de départ une question que j’aimerais élucider ou dépasser. J’aime bien voir la vie comme une expérience de la traversée. On traverse des portes pour y cheminer. Et justement l’écriture d’un livre permet de passer d’une pièce à une autre, grâce à la connaissance de soi et du monde qu’il rend possible.

BL : À l’origine était Kafka, l’inconnu austro-hongrois devenu votre ami. Parlez-nous de votre rencontre avec cet écrivain d’outre-mer et de son influence sur votre parcours.

TB : La rencontre avec Kafka s’est faite de la façon la plus classique possible avec un écrivain c’est-à-dire à travers ses livres. Elle a commencé avec la lecture de Le procès qui était au programme scolaire. Ce roman a exercé sur moi un pouvoir hypnotique. Il m’a obsédé de longues années, notamment la scène de la porte de la loi. Il s’agit de cet homme qui arrive seul devant la porte qui lui est destinée sans le savoir et meurt sans jamais pénétrer à l’intérieur de la loi. J’ai aussi été saisi par l’univers d’oppressant qu’il mettait en lumière. Cette prison où on entre par la naissance et d’où on ne peut sortir que par la mort. Il était évident que Kafka me parlait de la société dans laquelle je vivais, qu’il me donnait le mot « prison » pour la qualifier et donc la dévoiler. Le Cameroun, comme la plupart des pays d’Afrique francophone sont des tyrannies qui étouffent les individus. Bref, Kafka m’a donné, aussi paradoxal que ça puisse paraître, la clé de compréhension de mon pays, il m’a permis de nommer la réalité que je percevais alors confusément. Je ne peux que lui être reconnaissant pour cela.

BL : Qui dit Timba Bema dit forcément poésie. C’est ce qu’on peut appeler votre genre fétiche. Pourquoi la poésie ?

TB : Chez moi, le genre employé dépend de l’intention. Le théâtre, je l’envisage comme un rituel, l’exécution d’un rituel, ce qui est sans rappeler les mascarades en Afrique ou le théâtre grec. Le roman, la nouvelle, je les emploie lorsque je veux vivre avec des personnages, les suivre, les laisser me parler, etc. Il se trouve que, pour des questions liées à l’édition, c’est ma poésie qui s’est la première offerte au monde. Elle est le moyen d’accéder aux profondeurs, de saisir les aspects multiples d’une réalité. C’est un genre qui permet d’être radical, intransigeant et surtout d’explorer la forme elle-même, la forme dans laquelle le poème est restitué. Je me sens d’autant plus libre ici que les attentes du public ou même des éditeurs ont peu d’emprise sur mon travail. Seule compte à la fin l’émotion provoquée par la beauté et le sens convoqués par le poète.

BL : Vous faites de la poésie comme on en lit très peu ou pas du tout. Une poésie affranchie des rimes et autres fioritures auxquelles on tend à réduire le genre. On est tenté d’appeler cela de la poésie en prose. Mais non, votre poésie ne semble pas pouvoir tenir dans ce carcan. Vous, comment la qualifieriez-vous ?

TB : Ce qui vous fait penser à la prose c’est certainement le verset, ce vers très long comme le pratiquait Senghor ou Saint-John Perse. Toutefois, il se trouve que dans le Ngosso, le chant traditionnel Duala, le peuple dont je suis issu, on retrouve une technique de chant qui s’exécute selon les mêmes modalités que le verset. Des musiciens comme Douleur ou Petit-Pays le maîtrisent à la perfection. Je pense que ce goût du vers long, comme une phrase du saxophoniste John Coltrane ou de Charles Lloyd, vient de là. S’il faut qualifier mon vers, je parlerai volontiers d’un vers libre, en ce sens que je ne le soumets pas à une contrainte formelle de départ. Je le laisse aller au bout de sa trajectoire comme une fusée de secours lancée dans une nuit brumeuse.

BL : De quel.s mouvement.s ou courant.s vous réclamez-vous ?

TB : De l’ancrisme, qui vient du terme « ancre », cette pièce d’acier nécessaire pour le mouillage des bateaux, sinon « ancrage », qui a plutôt trait à l’enracinement. Dans les deux cas, on retrouve l’idée de rester dans une zone propice, favorable. L’histoire avance par cycle, un peu comme si une nation, une civilisation devait résoudre une énigme afin d’accéder au cycle suivant. L’histoire morte est constituée des différents cycles franchis dont on peut convenir qu’ils n’ont plus ou peu d’effets sur nous. Tandis que l’histoire vivante est relative au cycle dans lequel on se trouve, cette étape qu’il nous faut franchir. Au-delà des cycles, il se trouve que les nations, les civilisations fonctionnent selon des schémas qui ont tendance à se reproduire dans le temps. Je peux par exemple parler de la crise successorale, un concept qui permet de saisir la matrice des conflits et donc de la violence en Afrique subsaharienne. La crise successorale stipule que les frères sont en conflit pour capter l’héritage du père. À travers les contes et légendes, les histoires familiales et même l’analyse des élections présidentielles on observe la récurrence de ce schéma qui n’est donc pas un héritage de la colonisation, même si cette dernière s’est appuyée sur ce conflit pour imposer des souverains dociles dans nos anciens royaumes. L’ancrisme vise donc à réaligner l’homme dans son histoire longue, qui, paradoxalement, continue de l’expliquer.

BL :  10 ans, disiez-vous ailleurs, c’est le temps qu’il vous a fallu pour chercher l’origine de la poésie, de votre poésie. Avez-vous réussi à la trouver ?

TB : Oui, pendant 10 ans que j’ai récolté patiemment des aphorèmes. Je crois que j’ai trouvé la manière dont la poésie naissait dans mon esprit. C’est une étape importante dans mon écriture, parce qu’elle pourra désormais se déployer en pleine connaissance de ses modalités.

BL : Tout a commencé par Les seins de l’amante, votre premier fait d’armes, aussitôt paru et aussitôt couronné du Grand prix littéraire d’Afrique noire. Parlez-nous de la genèse de ce recueil de toutes les sensualités et sensibilités.

TB : Il y a un ensemble de raisons qui m’ont poussé à écrire ce recueil. Je vais en exposer une ici. Comme la plupart d’entre nous, je réfléchis sur la condition actuelle de l’Afrique. Pourquoi ce continent reste-t-il une prison plutôt qu’une oasis pour ses enfants ? Pourquoi même ses artistes les plus importants peinent-ils à lui imaginer un futur ? Vous conviendrez que ce sont des questions complexes qu’on ne doit surtout pas aborder à la va-vite. Pour y répondre, je me suis attaché à connaître l’Afrique précoloniale et celle d’avant l’introduction de l’esclavage par les Arabes, ce qui a radicalement changé les coutumes et les mœurs, d’autant plus que l’esclavage était méconnu en Égypte antique, la plus grande civilisation africaine. J’en veux pour preuve que l’on retrouve encore de nos jours des pratiques qui se rapprochent de la marchandisation de l’humain comme la dot. Autant il est important de traquer le fait colonial autant il est crucial de traquer le fait esclavagiste. Pour mener cette entreprise, j’ai beaucoup lu, que ce soit sur ma culture d’origine ou d’autres en Afrique et au-delà. Ce qui m’a permis de percevoir que le décalage qui existe entre nous et nos ancêtres est lié au rapport au corps, plus spécifiquement à la question de la nudité. Le corps ne se cachait pas, il était le lieu d’inscription d’un discours, que ce soit par des scarifications ou des tatouages. Il était un parchemin sur lequel les anciens Africains écrivaient, oui écrivaient avec des signes que l’on retrouve encore dans certains tissus ou sculptures. À présent, nous cachons le corps sous des vêtements, il est presque devenu sacré, tout en étant foncièrement honteux, encore que dans certains endroits la circoncision et l’excision persistent. Ce dernier mouvement traduit la perte du corps, la dépossession de soi. Or, comment peut-on être libre si on a perdu son corps ? La réappropriation du corps est donc le point de départ de toute quête de liberté, ce qui explique pourquoi les seins de l’amante ont été ces organes à partir desquels l’amant a réalisé sa condition dans le monde et par la suite a cherché le moyen de la dépasser.

BL : Être lauréat d’un aussi prestigieux prix, on s’imagine que cela change beaucoup de choses. 3 ans après le sacre, comment se sent-on ? Quel impact cela a-t-il eu sur votre vie et votre carrière d’écrivain ?

TB : Je pense que 3 ans c’est un délai court pour apprécier l’impact d’un prix. Toutefois, je l’ai considéré non comme une consécration, mais comme un encouragement. Pour être honnête, je crois que je n’ai pas encore déployé le spectre de ma créativité. Le meilleur reste donc à venir.

BL : On voyait mal un aussi grand prix couronner de la poésie. C’est pourtant ce qui est arrivé. La poésie faite reine, un genre de moins en moins pris au sérieux et lu, surtout en Afrique. Quelles sont les raisons de ce manque d’engouement pour la poésie, à votre avis ?

TB : Je ne suis pas convaincu qu’il y ait un manque d’engouement pour la poésie. Avec la multiplication des maisons d’édition un peu partout sur le continent, la poésie occupe une bonne place dans les catalogues. Il manque sûrement des manifestations spécifiquement poétiques, même si quelques-unes survivent depuis plusieurs années avec de faibles moyens. On peut relever le faible nombre de prix ou de revues poétiques. Par ailleurs, la plupart des auteurs commencent très souvent par écrire la poésie avant d’attaquer la narration. Ici, on fait valoir des arguments commerciaux tels que : « la poésie ne se vend pas », « elle est confidentielle », « elle est hermétique ». J’aimerais dire ici que c’est une erreur d’appréciation : le poète qui a vraiment quelque à dire rencontrera toujours une audience large et attentive. Enfin, j’observe que des formes d’expression comme le rap et le slam ont le vent en poupe en Afrique. Comme quoi l’écriture poétique continue de passionner les jeunes. C’est de ce terreau-là que surgiront les grands noms dans les prochaines décennies. Sinon, je pense véritablement que nous assistons à un retour de la poésie. Non pas qu’elle avait disparu. Puisqu’elle continuait à se pratiquer dans l’ombre, à l’abri, à la marge. Mais, elle est de plus en plus prise au sérieux, ceci notamment grâce à la façon dont certains poètes abordent leur rapport avec la société. De la même manière que dans les années 50, l’Afrique s’apprêtait à faire un grand bond vers la liberté, elle cherche à présent à acquérir sa pleine souveraineté et à maîtriser de bout en bout son destin. Dans des époques d’incertitude, qui sont des époques où les équilibres, les rapports de force se reconstituent, on a besoin des poètes qui interviennent comme des clairvoyants, ces personnes que l’on dit dotées du troisième œil, l’œil de l’esprit, en ce sens qu’ils peuvent voir un peu plus clair dans le brouillard et surtout qu’ils ont la capacité d’inventer le futur, le chemin pour sortir du brouillard, c’est-à-dire de matérialiser l’espoir.

BL : En 2019, paraissait votre ouvrage Les bateaux sombrent-ils en silence ?, un recueil de poèmes aux couleurs de la mer et de l’immigration. Aujourd’hui encore, les bateaux sombrent, plus incognito, plus en silence, car le film de leur naufrage est porté sur les écrans et les cris des naufragés tonnent sur les antennes et ne glacent plus de peur les nombreux autres candidats au naufrage. Décidément, les bateaux ne sont pas près d’arrêter de sombrer.

TB : Dans Les bateaux sombrent-ils en silence?, je voulais rappeler le rôle que les bateaux jouent depuis 5 siècles dans l’histoire africaine. Ils sont les véhicules de la ponction. En plus de transporter les ressources du sol et du sous-sol, ils transportent aussi les êtres humains qui finalement vont travailler en Europe ou en Amérique. Ils mettent donc leur énergie et leur intelligence au service des autres et non d’eux-mêmes. Pourquoi cela ? Justement parce que, comme je le disais plus haut, ils ont été dépossédés de leurs corps, ils sont déviés de leur trajectoire historique, de leur histoire longue. Cette dépossession du corps se poursuit de nos jours à travers les tyrannies qui brutalisent les Africains, les oppressent, les attachent avec des lois rétrogrades qui interdisent tout progrès social. Il faut soit se soumettre soit s’exiler. De nombreux choisissent l’exil, pour sauver ce qui leur reste de dignité. Comme vous l’avez sans doute deviné, les bateaux sont aussi des hommes, des femmes et des enfants. Ils sont aussi des pays qui, malgré les indépendances obtenues dans les années 60, peinent à offrir le bonheur à leurs enfants.

BL : Heureusement, votre bateau à vous est arrivé à bon port, en Suisse. Comment, Camerounais, est-on poète et écrivain noir à Lausanne ?

TB : Pour être poète, écrivain, il suffit de se penser comme tel et surtout d’écrire, de publier. Cela, je crois qu’on peut le faire partout. Cependant, dans votre question, on décèle, par l’emploi du terme « noir », la problématique plus large de comment être écrivain dans un environnement où on fait partie d’une minorité plus ou moins marginalisée. En plus des préoccupations liées à son travail artistique, il faut également gérer des questions liées à l’environnement dans lequel ce travail voit le jour. Ici, je pense qu’il n’y a pas d’autres secrets que la confiance en soi, l’audace et l’originalité du regard. La confiance en soi consiste à croire en la pertinence de sa démarche artistique et en sa capacité à toucher au-delà de sa sphère culturelle d’origine. Par audace, je veux dire qu’il ne faut surtout pas accepter l’enfermement dans lequel on a tendance à isoler la différence. Au contraire, il faut déployer ses ailes, saisir des opportunités, en créer, provoquer des rencontres, tenter de nouvelles expériences. Bref, creuser le sillon qui permettra à son œuvre d’irriguer le monde. Enfin, il faut tenir compte du fait que nous évoluons dans un monde global. Les frontières nationales et linguistiques ne sauraient plus limiter la circulation des œuvres et des leurs créateurs. Le standard de qualité ne se définit plus seulement à l’intérieur d’une culture ni d’une langue. Cela veut dire qu’il faut voir plus loin que son environnement immédiat et avoir un regard singulier sur le monde.

BL : Votre dernier recueil Flashs est fait de poèmes brefs, spontanés, presque aussi fugaces et fulgurants qu’un flash. Parlez-nous de la genèse de ces poèmes-éclairs que vous avez appelés « aphorèmes ».

TB : La genèse des aphorèmes a certainement quelque chose à voir avec le fonctionnement de l’esprit humain, la manière dont il fabrique des mots, des images. Le point de départ était une interrogation personnelle, à savoir, comment la poésie surgissait-elle de mon esprit ? J’ai découvert cette impulsion première, quasi parfaite, comme un fruit mûr à point que la main doit juste cueillir et manger, je l’ai appelée aphorème, un néologisme forgé à partir des termes « aphorisme » et « poème ». En fait, il est une réponse, un écho aux questionnements que l’on peut avoir. À force de nourrir notre esprit de questions, il nous envoie des sortes de flashs qui nous éclairent, de la même manière que les rêves mettent en scène nos problématiques intimes. Cette continuité entre le mot et l’image est importante à relever. Comme le rêve, l’aphorème est quasi parfait, il se compose de plusieurs couches, de plusieurs éléments, parfois hétéroclites, qui produisent toutefois un sens.

BL : Camerounais vivant en Suisse, des milliers de kilomètres vous séparent de votre Bali natal. Quels sont vos rapports avec la terre-mère et origine ?

TB : Comme vous le savez, un pays est d’abord rêvé. Il part d’une idée qui se matérialise dans l’espace par la délimitation de frontières qui sont elles-mêmes d’abord imaginaires. La continuité du pays est assurée tant qu’on le rêve, malgré ses échecs, ses tares. Dès qu’on cesse de le rêver, le pays disparait. Il y a alors partition, de nouveaux pays se forment et de nouvelles relations se tissent sous le regard bienveillant du soleil. Je veux dire par là que le rapport au pays est spirituel, et l’écrivain, en ce sens où son travail est un travail de l’esprit, et son matériau est son pays, le porte et le portera toujours en lui, qu’il soit établi ou pas dans celui-ci. Cela dit, j’aimerais préciser que pour écrire, on doit presque toujours s’éloigner, se détacher de son sujet pour mieux le saisir. Cette distance, suivie de périodes d’immersion, de communion, est indispensable pour l’écriture. C’est un peu comme une abeille. Elle collecte le pollen des fleurs et c’est dans la ruche, un environnement isolé, qu’elle fabrique le miel. L’écrivain s’imprègne du monde puis s’isole, dans une chambre, un bureau, parfois même dans des endroits reculés, pour justement composer un ouvrage. Mais, cette distance ne signifie pas coupure. Un lien réel continue d’exister entre lui et le pays. Ceci grâce aux lettres, au téléphone, au courrier électronique, et surtout aux réseaux sociaux qui accélèrent la circulation de l’information. J’anime dans un fameux réseau social une rubrique dénommée « Les Camerounais parlent aux Camerounais » dont l’objectif est de mettre les mots sur la réalité camerounaise. C’est une manière de garder le lien avec mes compatriotes, d’échanger avec eux, de rencontrer des personnes que je n’aurais jamais rencontrées autrement.

BL : Comment appréciez-vous ce qui se fait comme littérature camerounaise de nos jours ?

TB : Pour moi, la littérature est le produit des institutions littéraires. Pour sonder l’état d’une littérature, il faut questionner ses institutions littéraires. Par institutions littéraires je veux parler des éditeurs, des réseaux de distribution et de diffusion, des réseaux de communication, des prix littéraires, des académies, des festivals, des journaux ou magazines, des critiques amateurs ou universitaires, de l’école, de la politique du livre de l’État. Bref, toutes les organisations qui font vivre une littérature, en font un producteur de sens pour la collectivité, mais aussi une activité industrielle, en raison de la valeur économique qu’elle créée et distribue entre les parties prenantes. Il s’agit bien entendu d’institutions détenues et financées par des capitaux camerounais. Il est donc à exclure ici toutes les initiatives qui relèvent de l’assistance culturelle étrangère, notamment française, anglaise et allemande. Puisque les agendas de ces pays, animés par la volonté d’assurer un rayonnement de leurs langues et cultures à l’étranger, ne se synchronisent pas forcément à un agenda camerounais. De ce point de vue, la littérature camerounaise est encore balbutiante. Le seul secteur où, du fait de la loi, elle fonctionne à peu près bien est celui du livre scolaire. Avec une part de marché de 75 %, on peut dire que les éditeurs camerounais maîtrisent le secteur. Même si une partie des impressions se fait à l’étranger, cette part de marché va à terme favoriser des investissements dans toutes les activités clés du secteur. Un pilotage gouvernemental est nécessaire pour qu’à terme existent deux ou trois grands éditeurs de l’envergure des éditions CLE, et surtout que les bénéfices engrangés dans le livre scolaire soient injectés dans la littérature. C’est à cette condition que la littérature pourra véritablement décoller. Sinon, le Cameroun est doté de ressources de qualité, notamment des éditeurs de plus en plus formés au métier de l’édition et surtout des auteurs qui brillent partout dans le monde.

BL : Vous êtes un touche-à-tout qui s’intéresse à plusieurs genres. Votre prochaine sortie, de la poésie, un roman, du théâtre ? Parlez-nous de vos projets.

TB : Je ne vais parler ici que des projets finalisés et prêts pour la rencontre avec le public. À la fin 2021 paraîtra un recueil de poésie. Pour les autres projets, à savoir un roman et une pièce de théâtre, ils sont en lecture chez des éditeurs.

BL : Comment s’y prendre quand on a envie de lire Timba Bema ? Où et comment se procurer vos œuvres ?

TB : Je pense que votre question concerne les lecteurs africains. Ils pourraient s’adresser à un libraire dans leur ville sinon solliciter l’achat de mes livres par un membre de leur famille en Europe, qui se chargerait de les leur envoyer.

BL : On connaît Timba Bema, l’écrivain. Qu’en est-il du Timba Bema musicien ? Qu’avez-vous fait de votre autre passion qu’est la musique ? Et quelle est son influence sur votre œuvre ?

TB : Comme je le disais plus haut, la musique m’accompagne au quotidien. Je chante tout le temps. Je compose. J’ai sorti en 2019 un album slam Les seins de l’amante qui est disponible dans les plateformes de streaming. Sur ma page YouTube, je partage aussi quelques-unes de mes créations. De nouveaux projets verront certainement le jour. Sinon j’écris en écoutant de la musique. Dans le projet littéraire sur lequel je travaille actuellement, la musique bwiti s’est imposée comme sa bande sonore. J’ai bien l’impression qu’elle permet à cette histoire, que je traîne au fond de moi depuis des années, de trouver ses mots, son rythme et de venir au monde. Pour vous donner une image, la musique joue ici le rôle de la pioche avec laquelle le mineur détruit la roche pour accéder au filon d’or. Bien entendu, il est impossible de savoir dès le départ quelle musique s’accorde le mieux à un écrit. En général, je procède à tâtons et progressivement celle qui lui correspond s’impose.

BL : Votre portrait chinois :

– Un auteur : Tayeb Salih

– Un personnage historique : Usman dan Fodio

– Un héros/ héroïne: Mustafa Saïd

– Un plat : Les bewolé avec du manioc

– Un animal : Le pélican

BL : Merci Timba Bema pour votre disponibilité. Votre mot de la fin.

TB : Je vous remercie encore de l’invitation. Et je souhaite bonne continuation aux Biscottes littéraires.