Que peut-on aujourd’hui sans sa carte d’identité ou son passeport? Mais ces pièces, disent-elles vraiment qui est l’individu? Suffit-il de connaître son nom, son âge et sa profession, sa taille et son teint, pour arguer le connaître réellement? L’individu ne vaut-il pas plus que sa carte d’identité? De toutes les façons, sans cette pièce, l’homme n’existe pas, de nos jours. Jean-Marie Adé Adiaffi,  écrivain ivoirien né en 1941, pose la problématique de l’identité de l’Homme Noir dans son roman « La carte d’identité » publié en 1980 aux Éditons Hatier. « La carte d’identité » c’est une réflexion profonde sur les racines des peuples africains. L’on comprend pourquoi Jean-Marie Adé Adiaffi y aborde avec passion des thèmes tels que les langues nationales, l’art, l’école, la culture, l’identité africaine, qui sont des thèmes d’actualité.  « La carte d’identité », c’est aussi 159 pages d’histoire de l’Afrique au temps colonial. Mais ce qui intéresse réellement, c’est moins la colonisation, que ses conséquences sur notre volonté  de nous libérer des chaines de notre douloureux passé. L’auteur, en bon philosophe, répond moins aux questions de l’Afrique qu’il ne se questionne sur l’avenir d’une Afrique qui semble avoir peur d’être réellement indépendante et qui, depuis des lustres ahane et se perd même dans ce qui constitue fondamenatlement le centre de son histoire, la sève de sa vie. Pour peindre la réalité de l’Afrique, Jean-Marie Adé ADIAFFI prend le prétexte de l’humiliation du roi Mélédouman. Le récit s’étale sur sept jours, suivant le calendrier rituel de la Semaine Sainte Agni, une ethnie de la Côte d’Ivoire. Voici les faits : Mélédouman, le prince héritier du royaume de Bettié, est arrêté brutalement à son domicile à cause d’un doute sur un document produit qui atteste son identité. Faute d’avoir pu, séance tenante, justifier la preuve de son identité, il est incarcéré dans une prison infâme où il est battu et longuement torturé. Fatigué de le voir en prison, le commandant le renvoie chez lui  en lui ordonnant de trouver sa carte d’identité avant 7 jours s’il veut rester en vie encore longtemps. Sous la plume de l’auteur, se dessinent en filigrane les contours d’une guerre entre colonisateur et colonisés, entre blanc et noir,une guerre qui, bien au-delà d’un simple rapport de forces, devient le creuset où le Noir prend conscience de l’identité que le Blanc lui attribue: un sous-homme. « Autant le blanc est la perfection de la vertu, l’essence secrète qui dévoile toute chose, autant le noires la perfection du vice », (p21). Pour le Commandant Kakatika ou Lapine, de son vrai nom, les « Noirs sont des sauvages, des primitifs sans histoire, sans culture, sans civilisation », (p21). À partir de cette simple scène entre le prince Mélédouman et le commandant, Jean Marie Adiaffi tend son imagination plus loin et nous dévoile les tortures, les affronts et les humiliations subis par les Africains au temps colonial. À la recherche de sa carte d’identité, Mélédouman va découvrir sa culture dans toute sa beauté, la valeur et l’importance de sa langue maternelle que le colonisateur cherche à enterrer pour faire valoriser ce qui vient de chez lui. Alors on pourrait bien se demander si ce n’est pas la peur de voir l’inverse se produire  un jour, qui pousse ces Blancs  à rabaisser avec toutes leurs forces, tous les moyens possibles, l’Afrique riche de son histoire,  riche de sa tradition,  riche de sa culture,  riche de ses enfants. Cette question rejoint cette conviction selon laquelle l’Afrique vit un chaos terrible, une apocalypse sans nom :« Quel est ce monde dans lequel je suis tombé ?  Un monde de cauchemar. Un monde fou de fous. Un monde où toutes les lois sont renversées, où tout est possible à chaque seconde. L’état zéro de la raison, de la vie. Un monde sans repères. On ne peut plus se repérer ni dans l’espace ni dans le temps », (P123). Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, c’est dans cet univers où tout semble anormal, que Mélédouman a fini par trouver sa carte d’identité, celle de l’Afrique. On y lit la démarche de l’auteur qui croit et est convaincu que l’Afrique peut retrouver son chemin au coeur des impasses et des complications liées à son passé. Sa réelle identité éclate au gand jour:

 » Nom :  Libération

Prénom : Liberté

Fils de :  justice

Et de :  Dignité

Né à :  Création-  Invention- Découverte

Âge :  Science-lumière »  p. 146.

Loin de cette guerre de Noirs et Blancs, l’auteur a su trouver une place à l’amitié,  à l’amour et à la réconciliation.  Il faut saluer la finesse et la dextérité de l’auteur qui a su avec délicatesse et sans virulence, raconter une histoire violente et déchirante. Il a son style propre à lui, reflet de l’art oratoire du peuple Agni. Lire ce livre, c’est aller à la rencontre de soi-même, de sa propre identité.

Camelle ADONON