La vérité dépasse peut-être la fiction et c’est en cela qu’elle est infiniment plus décevante. Cette réflexion prend tout son sens d’une œuvre fictionnelle. J’ai fermé ce roman en étant subjuguée, ébahie et interloquée. Les lignes y sont parfaites de simplicité, empreintes de bonhomie et de talent. « La cinquième épouse » est un roman de 140 pages élaboré sur un ton doux et alerte, avec emphase et intelligence.
Robert Edjamian qui commet ce roman offre un présent à l’humanité. Paru aux Éditions Venus d’ébène dans la collection Oniris, cet ouvrage plante son décor à Agonlin Covè, une contrée d’origine que je partage avec l’écrivain et qui m’a fait replongée dans les saveurs et les unicités du terroir.
Ici, il est question d’emblée d’Edwige, femme belle et respectueuse qui convole en justes noces avec Alain un polygame accompli. Elle arrive en cinquième position dans une concession familiale où tout était déjà établi. Je prends une pause car des images défilent dans ma tête… Tant le spectacle qui s’offre dans ce roman est émoi, vertige et imagination. Moi si volubile en description, je perds mes mots car Robert dit et décrit tout sans détour. Aurait-on besoin d’une autre fresque que cette phrase en pages 46 et 47 qui résume: « Tout se passa alors très vite et elle ne regrettait plus les différents concours de circonstances qui l’y avaient conduite. Au contraire, elle appréciait, avec bonheur, la fermeté de son zobi chaud qu’elle eût l’occasion d’admirer, de toucher et de savourer à son aise ». Edwige du fait de l’absence prolongée de son bien-aimé Alain se consola longuement dans les bras de son beau-frère Francis. Ici il ne s’agira pas d’épiloguer sur le destin ou sur les circonstances car Carmen Toudonou le dit si bien dans sa préface de ce livre: « (…)si les humains étaient des êtres (…) absolument gentils, fidèles, honnêtes, raisonnables, sincères, insensibles au pouvoir de l’argent, en un mot, parfaits, il ne serait plus des hommes mais des dieux(…) ». Voilà qui donne un bon prétexte pour avoir un roman extraordinaire. Toute la justification du monde se retrouve en cet acte ourdi par deux êtres qui ont obéi à la chair et se sont détournés des principes moraux. La psychologie des personnages offre une vraie réflexion quant à la nature humaine et ses vices.
Edwige est un personnage dont le portrait psychologique interpelle. Elle a été sujette à des désirs, à des envies que son état d’âme n’a pas su contrôler. Lorsque la tentation et toutes les conditions sont réunies pour se pervertir, rien ni personne n’arrête cela. Loin de tout jugement, Edwige est le reflet de notre société: exigeante et vindicative. Il y va ainsi des grands malaises intérieurs qui secouent après avoir consommé le vice si on a encore des scrupules. La valeur de l’art divinatoire et de l’occultisme sont aussi des passages réels ancrés dans nos vies que le narrateur décrit aisément. Cette partie de la tradition qui obéit un peu à cette pensée de Christophe Tison: « le malheur lointain n’est rien, le proche avenir est tout. Voilà un des sombres et lumineux secrets de la vie, ce qui la rend infiniment vivante ». Cette vacuité à ne rien maîtriser du futur mais à détenir le présent est d’un paradoxe ahurissant surtout avec ces lignes du roman la cinquième épouse en page 109: « Il ne lui en fallait pas plus pour comprendre que les parties de jambes en l’air étaient définitivement terminées. Mille et une questions se mirent à défiler dans sa tête à telle enseigne qu’il n’arriva pas à dormir cette nuit-là.(…) Il regretta aussitôt d’avoir succombé à la tentation du diable. Il avait eu le même sentiment après sa première nuit avec Edwige. Mais ce sentiment avait rapidement disparu parceque la pomme était succulente… ». Ainsi, la trahison de la vie se résume toujours en ces deux mots: le diable et la pomme. Les adeptes de la mysogynie pourraient pousser leur analyse à dire le diable et la femme. Peu importe, il y aurait eu un autre genre, un autre sexe ici-bas qu’il y aurait toujours un mal à associer à ce genre. Les dés sont ainsi jetés, éparpillés, la vérité sur le point d’être su et tout un monde en branle. Le déroulement de ce roman tient aussi à ce suspense infini, ce hasard qui fait voguer l’imagination, garde, tient et ne lâche pas. Il eût fallu passer par plusieurs émotions jusqu’à jeter l’anathème sur les deux traîtres d’une situation dont ils n’ont été que des acteurs consentants.
Ce roman est moderne et contemporain. La litote et l’usage des temps adéquats fait de ce chef d’œuvre une nature à explorer. La gravité des événements qui s’y déroulent n’entachent en rien le contenu. On ne commet sa mission sur terre que lorsqu’on a vécu utilement. Robert Edjamian marque sa génération en ne doutant point de l’intelligence de ses lecteurs mais en la valorisant.
Des Edwiges, il en existe partout et si elles devraient transcrire leurs pensées devant tous pour fermer ce roman diraient cette réflexion d’Hubert Aquin « Tu es injuste car tu voudrais que je ressemble à la femme de ta vie. Vu sous cet angle, l’amour a quelque chose de sinistre et de désespérant. Plus on aime, plus on devient injuste, quelle étrange loi ».
Myrtille Akofa HAHO