Biscottes Littéraires reçoit pour vous aujourd’hui, madame Marie Constance ZENG EBOME, écrivaine gabonaise qui nous dit tout sur son parcours, ses combats et ses certitudes d’espérance.

BL : Bonjour madame Marie Constance ZENG EBOME. Nous sommes heureux de vous recevoir sur notre blog. Veuillez-vous présenter à nos amis, s’il vous plait.

MZ E: Bonjour, je suis Marie-Constance ZENG EBOME, Gabonaise, Inspecteur Pédagogique du second degré retraitée et auteur de deux recueils de poèmes : Lignes d’horizon (2008) et Ce qui reste (2016). Je suis heureuse d’être avec vous aujourd’hui pour parler de la littérature.

BL : Vous êtes l’épouse du très célèbre Pierre Claver ZENG. Qu’est-ce que ça fait d’avoir partagé la vie de ce grand musicien et homme politique engagé gabonais ?

MZE : Cela a été une expérience très enrichissante et exaltante sur tous les plans, mais aussi assez difficile à certains moments, à cause des responsabilités à assumer  et des sacrifices à consentir.

BL : Si vous étiez en charge de la culture dans votre pays, qu’auraient été vos actions en faveur du livre pour que la littérature gabonaise rayonne davantage sur la scène internationale ?

MZE : Je voudrais d’abord rendre hommage à tous les membres du gouvernement qui ont été en charge de la culture dans notre pays et qui ont initié des actions louables en faveur de la littérature gabonaise. C’est d’ailleurs le premier portefeuille ministériel de mon époux.

Cependant, je crois que les actions doivent découler d’une volonté politique forte depuis le sommet de l’état. Le chargé du département peut avoir de bonnes idées, mais qui ne pourront pas être matérialisées par le manque de moyens indispensables et divers…

Pour revenir à votre question, si j’avais été en charge de la culture avec les moyens nécessaires,

  • j’aurais créé des maisons d’édition d’état pour minimiser les coûts de production des livres et par conséquent les coûts de vente. L’une des raisons pour lesquelles les gens ne lisent pas est la cherté des livres.
  • j’aurais acheté régulièrement une certaine quantité de livres gabonais dont la qualité aurait été validée au préalable par un comité scientifique pour approvisionner les bibliothèques et les CDI dans les établissements.
  • J’aurais mis en place une agence pour faciliter la perception des droits d’auteurs des gens de culture etc.

BL : Vous êtes titulaire d’un CAPES (Certificat d’Aptitude à l’Enseignement Secondaire) en Anglais-Français depuis juin 1978, e t vous voilà aujourd’hui auteur de deux recueils de poèmes. Quand et comment vos sentiers ont-ils croisé ceux de dame Poésie et de la littérature en général?

BZE : Disons que je côtoyais déjà la littérature dans mon cursus scolaire à l’Ecole Normale Supérieure, et que j’avais toujours été impressionnée par la qualité et la créativité des auteurs des siècles précédents et même de certains contemporains d’Afrique et d’ailleurs.

Cependant, c’est par pur hasard et presqu’involontairement que j’ai croisé le chemin de la poésie.

Des amis ayant trouvé certains textes que j’écrivais pour des anniversaires ou autres évènements m’ont convaincue que je pouvais me lancer dans la poésie.

BL : Ne peut-on pas aussi dire que votre poésie vous vient aussi de votre proximité avec ce musicien et poète que fut Pierre Claver ZENG?

MZE: Je ne pense pas, sinon je l’aurais fait bien longtemps avant. Quand je l’ai rencontré en 1973, il débutait dans la chanson et est devenu rapidement célèbre et populaire.

J’ai toujours admiré la qualité et la profondeur de ses textes, mais ils ne m’ont pas inspirée au point de vouloir écrire à mon tour.

BL : Vous avez choisi la poésie. Comment définissez-vous ce genre et que vous apporte-t-il ?

MZE : Je ne pense pas avoir choisi la poésie, elle s’est plutôt imposée à moi. Je me suis contentée de transcrire ce que je ressentais et me suis rendu compte que c’était de la poésie.

Je pense que ma définition de la poésie est juste qu’elle est l’art de partager aux personnes sa propre vision du monde. Le poète a un regard particulier sur les hommes, la nature et tous les éléments qui la composent.

Elle me sert d’exutoire quant aux sentiments qui peuvent m’habiter. Elle me permet de transmettre des messages que j’aurai du mal à faire passer de manière « normale »

BL : Vous êtes de l’ethnie Fang. Qu’est-ce que cette culture dont vous êtes bien imprégnée apporte à vos productions poétiques ?

MZE : La culture Fang n’a pas trop d’emprise sur ma poésie. Cependant, j’ai certains textes dans lesquels j’évoque beaucoup de souvenirs de mon enfance au village, et forcément, certains aspects de cette culture apparaissent.

BL : Vous êtes auteur de deux recueils: « Lignes d’horizon » et « Ce qui reste » dont les poèmes, pour la plupart, transmettent au lecteur des émotions sombres, la tristesse, l’angoisse, l’anxiété, en un mot le spleen. Pourquoi avez-vous donné cette allure à vos poèmes ?

MZE : Comme je vous l’ai expliqué pour la poésie que je n’ai pas choisie, c’est la même chose pour le style de celle-ci.

J’écris selon mes sentiments, mon inspiration et mes états d’âme. Il se trouve que les états d’âme que vous avez cités m’inspirent plus que d’autres. Aussi, je me laisse tout simplement conduire.

BL : Qu’est-ce qui justifie ce penchant que vous avez pour le surnaturel dans vos productions.

MZE : Vous venez de me parler de quelque chose que je n’avais vraiment jamais réalisé et donc pas prémédité. Curieusement, personne n’en avait parlé avant vous. Peut-être que vous m’expliquerez mieux votre point de vue ultérieurement.

BL : Votre deuxième recueil s’intitule : « Ce qui reste ». Madame Marie Constance ZENG EBOME, dites-le-nous : Qu’est-ce qui reste ?

MZE : Je l’ai déjà dit et écrit :

Ce qui reste nous appartient

Enfoui dans les grottes internes

De nos vies sans entretien

Où le sourire du soleil reste terne

Ce qui reste s’enracine

Comme une plante bien arrosée

  Dans les jardins de nos origines

  A l’ombre de nos pensées boisées

BL : Ce recueil sonne comme un énième refus d’accepter et d’admettre l’évidence de la disparition de votre cher Pierre. Comment vous êtes-vous sentie après l’avoir écrit ?

MZE : Effectivement, son départ brusque a été un grand choc pour moi. Des évènements survenus par la suite ont encore plus compliqué l’équation. Ce n’était pas un refus en tant que tel, mais une série de questionnements auxquels je cherchais des réponses. Il y avait par ailleurs des choses qu’il fallait que je sorte de mon cœur pour avancer et me reconstruire. Le fait de l’avoir écrit a libéré la vapeur qui bouillonnait en moi, un peu comme la soupape d’une cocotte-minute.

BL : Ce qui reste, n’est-ce pas aussi le combat ou les combats entamés par l’être aimé et qui pourraient nécessiter vos énergies pour être poursuivis ?

MZE : Effectivement, c’est un autre pan de l’héritage. Un défi que les enfants et moi nous sommes lancé. Nous essayons de le faire au mieux avec l’aide de Dieu.

BL : Dans ce recueil, nous lisons ces mots aux allures césairiennes :

Je suis leur porte – voix /Réceptacle de leurs messages/ Je les transmets sans ambages  (…) Je dénonce la cherté de la vie/ La pauvreté qui asphyxie/ Le désarroi qui grandit/ Faisant planer la tragédie/ Je dénonce le laxisme/ Qui favorise les délinquants/ Faisant usage des passavants/ Au détriment des méritants/ Je dénonce l’insécurité/ Qui sévit dans nos quartiers/ Mène à la bestialité /En réponse à l’impunité…” Toute cette rage virile dans la bouche d’une femme, d’où vous vient-elle ?

MZE : Elle me vient du cœur tout simplement. Et elle est d’autant plus grande que je me sens incapable d’apporter une quelconque solution à tous ces problèmes qui pourraient cependant être résolus s’il y avait une réelle volonté politique.

BL : Qu’est-ce qui justifie selon-vous la surdité des pouvoirs politiques sous nos cieux face à tous ces maux que vous dénoncez avec rage ?

MZE : Je n’en sais rien du tout malheureusement. Mais nous soulevons certaines hypothèses et plusieurs faits nous démontrent que nos dirigeants sont plus occupés à s’enrichir ou à prêcher pour leur propre chapelle qu’à traiter des problèmes de leurs peuples.

BL : Quand on a vécu tout ce que vous avez vécu et qu’on est à la retraite ou aux portes de la retraite, quelle lecture la poétesse que vous êtes fait-elle de la mort et de la vie ? En clair, pour vous, qu’est-ce que la vie ? qu’est-ce que la mort ?

MZE : Je dirai que la vie est ce don précieux qui nous vient de Dieu. C’est cette aventure terrestre qui nous permet de profiter pleinement de tout ce que la nature met à notre disposition.

La mort quant à elle, s’oppose à la vie, est inéluctable et vient donc mettre un terme à tout ce que nous croyons posséder.

BL : Vous avez aussi un sens assez poussé de l’amitié. Comment l’entrevoyez-vous en cette ère du numérique ?

MZE : Je pense que le numérique est venu encore plus renforcer les liens d’amitié en créant d’autres canaux de communication. Ce qui fait qu’on peut être joignable partout et partager sa vie avec ceux que l’on aime.

BL : Madame Marie Constance ZENG EBOME, vous n’êtes pas indifférent au mouvement féministe qui bat son plein dans le monde actuellement et dont parfois ses tenants ne savent pas ce qu’il signifie dans le fond. Qu’est-ce que ce mouvement vous inspire, en tant que femme authentiquement africaine et pleinement intellectuelle ?

MZE : J’adhère complètement au mouvement féministe, mais je suis d’accord avec vous quand vous dîtes qu’il est souvent mal compris dans le fond par certains de ses tenants. Pour moi, le féminisme n’est pas un mouvement homogène et centralisé. Il est issu de l’analyse par les femmes de leur vécu en tant que femmes (comme construction sociale, politique et historique).

Je ne milite pas pour «  l’égalité entre l’homme et la femme » dans son sens premier. Par contre, je suis partante pour une réelle prise de conscience par les femmes de leur oppression et de leur exploitation spécifiques aux milieux dans lesquels elles se trouvent. Je milite pour leur organisation, leur solidarité, dans les luttes pour la survie quotidienne, la satisfaction des besoins essentiels, le respect des droits humains et l’instauration de régimes démocratiques.

BL : Si vous étiez une peintre et que vous deviez peindre la femme africaine aujourd’hui, quelles seraient les qualités essentielles que vous mettrez en relief ? Et avec quelle couleur ? Pourquoi ?

MZE : C’est une question à laquelle il m’est difficile de répondre, parce que je ne sais pas comment réfléchissent et travaillent les peintres. Cependant, les qualités que je mettrais en relief entre autres sont : l’intelligence, la dignité, la combativité, la persévérance, l’amour.

Je les représenterais avec du rouge (symbole de la vie et de la puissance), du vert (symbole de l’espoir, de la nature, de la croissance et du renouveau) et enfin avec du jaune (couleur du soleil, pour égayer l’univers et le faire rayonner)

BL : A quoi devons-nous nous attendre après ces deux recueils de poèmes ?

MZE : Normalement à la sortie d’un autre recueil (je suis poète dans l’âme). Il me reste à travailler pour pouvoir atteindre cet objectif.

BL : Madame Marie Constance ZENG EBOME, nous sommes à la fin de cette interview. Votre mot de la fin

MZE : Je voudrais tout d’abord vous remercier de m’avoir donné l’opportunité de parler de mes livres dans un cadre qui m’est nouveau. J’encourage et apprécie ce genre d’initiative qui fait vivre la coopération sud-sud, et surtout l’unité africaine.

J’encourage toutes les personnes qui ont des textes enfouis dans leurs placards d’oser les faire connaître dans le but de les publier.

Que Dieu nous assiste dans la réalisation de tous nos projets. Ça a été un réel plaisir et un honneur d’avoir pu partager ces moments avec vous. Merci et à bientôt.