S’il est vrai que le monde est une œuvre de Dieu, et que l’homme est la plus grande et la plus fascinante des créatures divines, il n’en demeure pas moins vrai que l’homme s’attribuer des pouvoirs qui dépassent infiniment ses propres forces, celles d’une simple créature. Il croit pouvoir contrôler toute la création, changer le cours du monde et en « faire » (dans le sens de créer, réaliser) un autre axé sur le particularisme arbitraire. Nietzsche clamera: « Dieu est mort » dans  » Also sprach Zarathoustra« . Ainsi, l’homme se veut maitre de l’Histoire, avec à la clef, la volonté de puissance, la rechercher de la gloire, la célébrité, l’argent. Mais le plus ahurissant dans cette entreprise est de vouloir instituer en vertu le mensonge, la trahison, le mal gratuit. Tout ce tableau peu reluisant de la situation de l’homme au cœur du cosmos est présenté par Yannick-Kevin AKPAOKA dans son livre « La déesse mère destinée« , un roman paru aux Editions Nouveautés en 2019.

Au cœur du livre

Dans le royaume de Zora vivaient un roi, Oban et sa femme Tembi. Tembi tomba grosse. Elle était angoissée au quotidien à l’idée d’accoucher d’une fille. Car de mémoire des Zoraristes, aucune reine n’avait donné naissance à une fille à sa première parturition. Elle avait peur jusqu’au jour où l’idée retorse tant repoussée donna fruit. Elle accoucha d’une fille. Or le royaume avait besoin d’un héritier. Le jour de la venue de l’enfant, le roi était en expédition pour la conquête de nouveaux territoires. Sur instruction de sa servante Tétia, Tembi accepta qu’on jetât l’enfant en pâture aux bêtes sauvages. Animosité ! Elle voulait préserver son honneur. Car pour elle « quand l’honneur parle, il faut tout sacrifier » p.107. Un secret venait d’être noué entre la servante et sa maitresse. Quand le roi fut de retour, on lui fit comprendre que l’enfant était mort pendant l’accouchement et que ce fut un garçon. Mensonge ! Le roi pleura durant des jours son enfant. Des mois plus tard, Tembi tomba de nouveau grosse et donna naissance à un garçon, Alanda. Satisfaction ! Le roi organisa un banquet.

Jubilation ! Entre temps, après avoir laissé la petite enfant sur un rocher, un veuf paysan, Héhu, tomba sur le sac dans lequel gisait la pauvre fille. Il la prit comme une étrenne du ciel venue compenser l’absence de sa femme disparue. Il appela la fille Yoa. Le royaume de Zora avait un royaume ennemi qui lui tenait tête depuis des années, le royaume de Katak. Les katakistes vinrent un jour détruire la frontière de Zora et tuèrent Héhu. Yoa se retrouva seule. Elle n’avait que six ans et devait déjà affronter la vie. Comme Ahouna dans ‘’Un piège sans fin’’ ou encore Ulysse dans ‘’L’odyssée’’. Reviendra-t-elle triomphante comme Ulysse ou en cendres comme Ahouna enterré aux pieds de Kinibaya ? En tout cas, elle se fut prise par les katakistes. Douatté, à la tête de l’armée des Katakiste, l’entraîna et fit d’elle une machine à tuer. Elle était remplie de haine et du désir de venger son père Héhu qui, avant de mourir, lui avait quand même révélé qu’il n’était pas son vrai père et qu’il l’avait découverte sur un rocher dans un sac non loin de la capitale, royaume de Zora. Déjà à douze ans, ses mains étaient gantées de sang. Cannibalisme! A vingt-quatre ans, elle était prête à occire tout sur son passage, pire le royaume de Zora qu’elle considérait comme ennemi au royaume de Katak, ignorant que ce fut son père qui le gouvernait. L’heure fatidique arriva. Les deux royaumes entrèrent en guerre. Sur le champ de bataille, Yoa tua Oban, son père. Alanda prit les rênes du royaume de Zora, et organisa les représailles. Il fit capturer Yoa, lui arracha sa féminité. Ignorant qu’elle était sa sœur. Yoa eut du secours. Alanda fut blessé, Yoa avec des entrailles tachées de sang, dégaina pourtant son épée et acheva son frère. Le royaume de Zora revint à la charge, détruisit Katak et tua Yoa. Tembi ployait sous le poids de son mensonge.

Ce que j’en pense

Dans « La déesse mère destinée » Yanick-Kévin peint un tableau bigarré où se disputent la place la trahison, la gloire, l’argent, le mensonge, les maux qui dominent notre monde. «Le tout est plus grand que la somme des parties» dixit Confucius. Le tout, c’est Dieu, nous ne sommes qu’une portion de sa vaste création. Peu importe notre force, on demeurera toujours sa partie, et lui notre tout. Pourquoi donc ne pas nous abandonner à lui? Telle s’avère la réflexion de l’auteur. D’un style fluide exempt de grandiloquence, il défile son histoire comme dans un film et enfin questionne le néant : la mère et l’enfant doivent-ils avoir une même destinée ? Le génie de son style est de raconter l’histoire à travers la lecture de Tobi, un jeune de dix-sept ans qui ne connaissait pas aussi son père et qui ne cessait de déranger sa mère. C’est pour lui que le grand-père a écrit l’histoire pour l’occuper pendant ses congés. Qu’est-ce que le destin ? Tobi le saura après la lecture du manuscrit de son grand-père. In fine ’’La déesse mère destinée’’ en plus d’être un roman à l’allure philosophique, est aussi un carrefour d’idées et de réflexions. Ce livre fustige l’infanticide et par ricochet l’eugénisme. En même temps, il questionne nos traditions surtout en ce qui concerne les sexes: les filles ne sont-elles pas autant êtres humains que les garçons? En quoi est-ce un malheur que de donner naissance à une fille? De quel droit se permet-on de décréter que tel a droit à la vie et que tel autre doit mourir?

’’La déesse mère destinée’’ un roman rempli de suspenses et de rebondissements palpitants. Un livre à lire pour comprendre si la vie est vraiment un choix et si réellement elle vaut la peine d’être vécue.

RICARDO AKPO

 

Ricardo AKPO est étudiant en troisième année Histoire et Géographie  à Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo