«L’écriture de mon histoire m’a amené à conclure que je devais le meilleur de ma vie au pire de mon existence». Corneille

 

En toute honnêteté, j’ai saisi ce bouquin parce que je n’avais rien d’autre sous la main alors que la terrible envie de lire qui m’habitait ce soir-là ne pouvait attendre le lendemain pour être assouvie. Comme une rage de dent devant immédiatement être apaisée, il me fallait lire dare-dare.

Si c’est à contre-cœur que j’ai commencé à lire ce livre, c’est parce que je ne souhaitais pas revivre la colère, la tristesse et le dépit que tous les récits autour du génocide rwandais avaient suscités en moi par le passé. Ma résolution de ne plus rien lire ni rien regarder à ce sujet datait déjà de quelques années. Pourtant, aussitôt les premières lignes parcourues, je sus que je ne lâcherais pas cet ouvrage sans l’avoir entièrement lu. Et je l’ai littéralement dévoré, euh…. pardon, savouré !

L’auteur a une façon très touchante de nous prendre la main pour nous faire entrer dans son univers. Un peu comme un enfant nous entraîne avec lui en disant : «Viens, je vais te montrer». On essaie de le suivre sans a priori, même si la lucidité de notre expérience de vie s’oppose à cette candeur un peu forcée. Sans vraiment y croire, on souhaite tout de même être transporté dans un monde merveilleux, un peu comme celui d’Alice au pays des merveilles.

Au lieu de cela, c’est dans les profondeurs abyssales de l’humanité, là où l’homme cesse d’en être un que nous nous retrouvons. Heureusement, Corneille parvient à distiller cette horreur dans un halo d’amour et d’humour aussi parfois. Toutefois, on reste saisi par la tragédie qu’il a vécue. On essaie de se mettre à sa place. On n’est pas sûr d’avoir sa résilience. Au mieux, on aurait sombré et on serait devenu une loque humaine. Au pire, dans un violent accès de colère et âpre désir de vengeance, on aurait pris les armes. Mais la magnanimité de Corneille nous désarme. L’humilité, la sincérité et l’amour émanant de son récit nous coupent l’herbe sous les pieds. Tout est dit avec élégance et douceur. Même le pire y est décrit sans violence.

Le récit est tout en poésie, une lecture agréable qui caresse les sens. L’auteur se livre avec une impressionnante sincérité. Il se met littéralement à nu. Et la nudité de son âme nous renvoie instinctivement à la nôtre.

Corneille aborde plusieurs thèmes dans son livre. Sa crise identitaire qui remonte à l’enfance. Sa passion pour la musique, ses débuts, ses victoires, son ascension. Son rapport à ses compatriotes rwandais, aux autres africains du continent et de la diaspora. L’ambiguïté de ses sentiments. Puis, l’amour, le grand. On est heureux pour lui. On est reconnaissant envers Sophia, qui le ramène à la vie. Car si ce n’était pas déjà fait avec sa musique, on s’attache à Corneille en le lisant. Et de toutes ses forces, on lui souhaite le meilleur, lui qui a déjà vécu le pire.

Le talent d’écriture de Corneille est indéniable. Il manie la prose avec habileté. Avec un style qui lui est propre et qui reflète la beauté de son âme. Prolixe en figures de style, il joue avec les mots, en compose des ballets  et nous invite à danser avec eux. Tout son récit est jalonné de phrases aussi profondes que belles.

– L’art, c’est l’âme qui supplie d’être entendue.

– Quand je pleure aujourd’hui, ce n’est que le passé qui transpire.

– Il n’existe pas de force plus grande que celle de l’homme qui ne triche plus.

– Le droit à ses chagrins, voilà peut-être le génie des gens heureux.

– Le seul espoir de s’élever, c’est d’admettre ses propres bassesses.

– Etc.

Là où le soleil disparaît est un vrai régal pour les sens. Enjoy !

Annie-Josiane Sessou

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