Note de lecture de Lagos Lady de Leye Adenle
Leye Adenle de nationalité nigériane, est né au Nigéria en 1975. L’éditeur Métaillé précise qu’il est considéré par sa famille comme « la réincarnation du roi des habitants d’Oshogbos ». Cet auteur vit à Londres où il travaille comme chef de projet et, à l’occasion, acteur. Il importe de préciser que « Lagos Lady », roman policier africain est son premier « bébé intellectuel » décerné Prix du polar en 2017.
« Lagos Lady » traduit de l’anglais nigérian au français par David Fauquemberg a pour titre original Esay Motion tourist ainsi faisant référence à une chanson de King Sunny Ade convoquée dans le texte. Cette œuvre de 336 pages éditée chez Métailié en 2016 se présente comme un polar assez original de par son intrigue qui convoque du début à la fin, des actions qui se suivent sans «trêve». A lire cette œuvre on se retrouve presque dans un film d’action hollywoodien à la différence que cette fois, l’intrigue se passe essentiellement en Afrique. La quatrième de couverture nous la présente comme « un polar survolté et drôle qui plonge au cœur de la ville africaine à la vitesse d’un tir de kalachnikov ».
En effet cette œuvre retrace une histoire assez chargée de suspens. Guy Collins est journaliste à Londres, et pour les besoins de l’élection présidentielle nigériane qui approche, il est envoyé dans le pays pour en assurer la couverture. A son arrivée à l’hôtel, Guy a reçu de sérieuses mises en garde : « Quoi qu’il arrive, ne sortez jamais seul et surtout pas la nuit » et si c’était le cas, il ne devait avoir sur lui aucun papier d’identité. S’ennuyant ferme, et ne parvenant pas à joindre Ade, la personne censée l’accueillir, Guy Collins décide d’aller prendre « un verre » au Ronnie’s; une boîte de nuit située à quelques encablures de l’hôtel. Alors qu’il pensait passer une soirée tranquille il se retrouve malgré lui, témoin d’une scène sordide : un crime rituel ! Une fille gisant dans le caniveau devant le night-club, et deux gros trous béants remplaçant ses seins, grossièrement coupés. Pendant qu’il s’accroupit pour vomir à la vue d’une telle atrocité, Guy est interpellé et conduit au poste de police. Précisons que c’est un journaliste de « bas échelle » d’une petite boîte qui se fait passer pour un journaliste de la BBC. Et c’est là toute l’erreur car à l’instant même, un reportage sur la question sera diffusé sur la BBC ce qui compliquera la tâche pour Guy Collins au vu de la mauvaise publicité qui est faite à l’international. Il sera sauvé de justesse par Amaka, une beauté noire toute en nattes et formes voluptueuses qui ne laissait personne indifférente même pas Guy Collins, se faisant passer pour une avocate envoyée par le premier ministre alors qu’elle n’est encore qu’étudiante en droit. Elle le sait journaliste, elle veut qu’il écrive sur le sort des prostituées au Nigeria, ces filles qu’elle côtoie, qu’elle défend et qu’elle essaie de protéger de la violence des hommes. Ensemble et au péril de leur vie, ils vont remonter la piste du tueur. Amaka, Guy à ses côtés, se lance dans une course poursuite effrénée à travers les rues de Lagos pour démasquer ceux qui font du trafic d’organes, associé à l’assouvissement de leurs sordides pulsions sexuelles un vrai business.
C’est un polar au fond esthétique cinématographique qui aborde les thématiques variées. Du fétichisme politique : « Ils lui ont coupé les seins pour leur juju, leur magie noire. C’est les politiciens à cause des élections. Ils font du juju pour gagner les élections » ; à la prostitution qui « n’était pas un choix – c’était une absence de choix » : « La fille semblait avoir quinze ans à peine. Elle était nue à part un collier de perles autour de la taille. Elle avait les mains sur les hanches, les jambes écartées, et elle parlait avec un homme, lui demandant ce qu’il voulait qu’elle fasse. La voix de l’homme répondit : « Enfonces-la-toi ». La fille se pencha pour attraper quelque chose, puis courbée en avant, glissant une main entre ses jambes par-derrière et l’autre par devant, elle enfonça une bouteille de Remy Matin dans son vagin », en passant par les crimes crapuleux : « il découpa le reste du chemisier de la fille et abattit le couteau dans sa poitrine, d’un coup puissant qui traversa la chair et les os. Il tortilla la lame pour la décoincée et recommença », et la corruption au travers du sentiment d’impunité dont bénéficient les puissants qui ne sont que rarement inquiétés par la police et encore moins par la justice. En gros, Leye Adenle réfléchit plus amplement dans cette œuvre sur la condition de la femme qui, ici est réduite au sexe et aux pratiques rituelles peu orthodoxes. Au final, ce polar est aussi une critique acerbe des capitales africaines qui très souvent sont écartelées par des dissensions sociales. Pour illustrer son propos, Adenle n’hésite pas à utiliser deux quartiers frénétiques de la ville légendaire : Victoria Island, habité par des pontes et autres hommes d’affaires à la fortune douteuse et Ojuelegba « un endroit dangereux le jour, et bien pire la nuit » où s’entasse tout ce que Lagos peut compter comme pègre. Pendant que les premiers trinquent autour d’une table bien faite, les seconds s’entretuent à l’arme lourde.
Parlant du fond ou de la forme, c’est une réussite car l’intrigue est bien construite, les personnages aussi. Les chapitres sont très courts (63 chapitres pourtant) et donnent un rythme haletant au livre. A la lecture, on se rend vite compte que les événements sont un peu résumés lorsqu’on tend vers la fin mais ça n’enlève rien à la qualité de la production. La narration est rapide, rythmée et digne des films d’action à la James Bond. Le rythme effréné du roman ne laisse pas le temps de reprendre son souffle. La pointe d’humour toujours présente allège le contexte sordide en tout genre présenté. Le rythme est soutenu, le style personnel et mâtiné d’humour, les personnages ont du corps et de l’âme et, très vite, on a envie de les suivre, de savoir où ils vont, de remonter le fil et de débusquer le ou les coupables.
Deux types de narrateur sont utilisés dans ce polar : le narrateur héros (Guy Collins) et le narrateur témoin (Amaka et les personnages secondaires). Cette narration alternée apporte du dynamisme à l’histoire. On peut dire au demeurant que les protagonistes, l’enquête, le style, les choix narratifs concourent à maintenir le lecteur en haleine jusqu’à la dernière ligne qui loin de clore le roman, semble l’ouvrir sur une suite possible. Tout lecteur s’attend à la suite de Lagos Lady une sorte de « Lagos Lady 2 ou tome 2 » car la fin débouche sur des interprétations multiples et des interrogations de la part du lecteur. Cette phrase de fin nous replonge dans une nouvelle enquête lorsqu’on sait qu’Amaka cherche Malik depuis le début de l’intrigue. Ce Malik présenté comme un partisan de la violence et des crimes rituels en plus de Chief Amadi qui a été appréhendé et tué par le commissaire Ibrahim : « – J’ai entendu que vous me cherchiez. Je m’appelle Malik».
Au bout de cette lecture, le lecteur découvre le Nigeria au travers de la fiction littéraire Il conclut également que le polar est un roman réaliste, car il parle de l’homme au travers des sociétés passées au crible, et ce qu’il dit de l’humanité, loin d’être réjouissant est toujours inspirant et passionnant. Ainsi, pour celui-ci (lecteur), Lagos Lady répond bien aux critères d’un roman policier avec dès l’ouverture l’existence d’un crime mystérieux (la fille mutilée devant le Ronnie’s), la présence des enquêteurs (Amaka et Collins, L’inspecteur Ibrahim), la présence de nombreux indices permettant de mettre sur la piste de l’enquête ( Amadi ; homme très riche sans qu’on ne sache ce qu’il fait exactement, disparition des prostitués chaque fois qu’elles prennent son véhicule), l’historiographie qui a conduit à la disparition de la fille est évoquée (par le fille au bout du fil qui prévient Amaka) et au final les enquêteurs sont victorieux.
Dim Mohamed