Bonjour les amis. Voici l’intégralité de la nouvelle de la semaine du 15  au 20 Janvier 2018 sur votre blog : « Pour l’amour d’une Camerounaise » de Destin Mahulolo. Bonne lecture à tous et à chacun en compagnie de http://biscotteslitteraires.com/.

 

 

Pour l’amour d’une Camerounaise

 

 

 

Ce matin, maman est allée me voir dans ma chambre. Elle sait que j’ai en horreur cette vilaine manie de papoter au lever du jour. Quand j’ai entendu taper, je m’étais déjà emportée avant de l’entendre m’appeler par mon petit nom : Désirée. J’ai un faible pour ce nom. Un grand faible. Et quand c’est ma mère qui l’utilise pour m’appeler, je l’aime davantage. Pourtant, je ne voulais pas ouvrir, je ne voulais même pas entendre les toc-tocs répétés qui faisaient geindre ma porte, et dont l’écho se répandait dans ma chambre, m’empêchant de continuer mon sommeil. Comment peut-elle ignorer, M’man, que je suis fatiguée, après une soirée si chargée ? Boissons. Danses. Ripailles. Beuveries. Mais qu’y pouvais-je ? C’était quand même ma mère. Je me suis étirée trois fois, égratignant mes doigts contre le mur. D’ailleurs, il me faut changer de position à ce dernier. Je sortis ouvrir. Un sourire ensoleillé m’accueillit. J’en reçus la décharge jusqu’au plus profond de moi-même. Elle me sourit de toute son âme pour me mettre à l’aise. Je la connais, M’man. Quand elle attend de vous une faveur, elle sait se faire agréable et irrésistible. Je la trouvai plus belle que jamais. Elle ne me laissa pas le temps de lui dire d’entrer. Elle sauta à mon cou, me décocha une chaude bise. Elle me devança et se mit à faire mon lit. J’en profitai pour faire ma toilette matinale. Dès mon retour, quelle surprise ! Ma chambre était rangée. Je vis posé à côté de mon réveil, un bouquet de roses fraîches dont la fragrance emplit ma chambre. Je la respirai à pleins poumons. Je m’en voulus d’avoir hésité à ouvrir à M’man. Je me suis dit intérieurement que c’est de cette façon qu’agit le bonheur. Il vous rend visite à l’improviste. Il n’a besoin que d’une petite fente, un insignifiant interstice pour s’introduire chez vous. Alors, ébahi et interdit, vous le gratifiez d’un sourire ou d’une petite larme d’émotion. Sans m’en rendre compte, je me jetai dans les bras de M’man. Elle me serra contre elle et je sentis son cœur battre très fort, je me sentis revivre. Je n’avais jamais su que l’enfant était toujours là présent en moi, l’enfant gâtée, la « fille à maman » que j’étais, ne m’avait pas quittée d’un pouce. Je me détachai de son étreinte. Nous nous assîmes sur le lit, le dos au mur, les jambes allongées. Chacune avait saisi un coussin. Un rideau de silence s’installa entre nous. Je m’attendais à un sermon de M’man. Je me disais qu’elle était venue me reprocher ma conduite d’hier. Moi-même je me demandais comment j’avais pu quitter la maison à 19h pour n’y retourner qu’au petit matin. Mais contre toute attente, elle soupira profondément et lâcha :

  • Alors, Désirée, il y a longtemps que nous tournons autour du pot. Qu’en est-il de cette histoire entre toi et cette Camerounaise? Toute la ville en parle.
  • Mais M’man…
  • Il n’y aura pas de « mais M’man » aujourd’hui. Dis-moi la vérité. Je sais que tu as toujours été honnête et franche avec moi. C’est vrai que depuis que tu as été la première au Certificat d’Etudes Primaires (CEP), tu as vécu loin de moi. J’aurais voulu te garder près de moi, mais tu devais suivre ton destin. Aujourd’hui, tu as grandi. Tu es majeure. Tu es une femme pleine. Dis-moi ce qui se passe entre vous, toi et ta Camerounaise. La Proviseure du lycée m’a envoyé une note que je me fais le devoir de te lire ici :

« Parakou, le 18 Mai 2017.

A

Madame Grâce Renard

Cotonou

Bénin

Objet : Au sujet votre fille

 

Chère Madame,

C’est, la mort dans l’âme que je vous envoie cette petite note. Je suis au regret de vous annoncer que votre fille ne peut plus poursuivre ses études dans notre lycée. Le haut conseil de discipline a décidé qu’elle se retire. Peut-être pourra-t-elle s’épanouir ailleurs. En effet, à plusieurs reprises, votre enfant a enfreint le règlement intérieur. Et malgré les nombreuses mises au point et les mesures disciplinaires prises à son endroit, elle n’a pas voulu entendre raison. La dernière infraction est son amour effréné pour une Camerounaise… Elle-même saura vous fournir les détails nécessaires…

Vous verrez dans l’enveloppe contenant cette lettre, ses relevés de notes. Je mesure votre peine. Je sais les nobles ambitions que vous nourrissez pour elle. Mais il est de notre devoir de préserver les autres élèves de la contagion.

En vous souhaitant une bonne réception de ce pli, je vous prie de croire, chère madame, en mes sentiments cordiaux.

Signé,

La Proviseure.

 

 

Quand elle referma la lettre, j’ouvris les yeux. Pour une fois, j’avais réussi à dominer mes sentiments. Je ne versai pas une seule goutte de larme. M’man attendait une réponse. Et pour toute réponse, je soupirai et me levai. Elle avait compris qu’il ne fallait pas insister. Ce n’était d’ailleurs pas la première fois qu’elle essayait d’aborder l’ »Affaire Camerounaise » avec moi. Entre le goût et la couleur, il ne faut jamais mettre sa bouche. Que voulait-elle savoir de ma « Camerounaise » ? Peut-être qu’elle m’en voudrait moins si elle l’avait vue et contemplée, ma Camerounaise, dans toute la splendeur de sa beauté. Si elle l’avait vue, la connaissant, je suis persuadée qu’elle succomberait tout comme je n’ai pu lui résister. Mais hélas ! M’man n’a jamais vu ma Camerounaise. Elle ne la verra sûrement jamais. Mais moi, en dépit de ce que deviendra le monde, j’irai l’honorer, ma Camerounaise. Elle m’est trop chère, pour que je l’abandonne. Ma mère sortit de ma chambre, les pas lourds d’échec et de déception. Elle ne la saura jamais, l’histoire de ma Camerounaise. J’avais oublié de lui demander où était le crime de s’enticher d’une Camerounaise.

J’aime cette Camerounaise. Je ne peux le nier. Et c’est d’ailleurs cet amour qui a tout causé. Dire que tout cela est arrivé, pour l’amour d’une Camerounaise… Oh mon Dieu! De toute façon, tout ce que je peux dire pour le moment, c’est qu’elle est bien vieille mon histoire d’amour avec la Camerounaise. Elle est unique, cette histoire que je ne me suis jamais senti capable de raconter. Elle est simplement pittoresque. Sinon comment comprendre que… ouf. D’ailleurs, je n’aime pas la raconter. Elle est trop précieuse pour être sue des autres ; surtout de ma mère qui ne comprendrait jamais comment je pouvais m’enticher d’une camerounaise au point de… Non, je n’en reviens pas moi-même.

Il faut dire que cette idylle a commencé dès mon arrivée au lycée-internat des jeunes filles. Ici, mes camarades ont chacune leur amour. Au dortoir, chacune d’elles racontait ses aventures avec passion et enflure. A un moment donné, j’étais jalouse d’elles. Un soir, lors d’une promenade fortuite de l’autre côté de la clôture, je fis une découverte fortuite. Coup de foudre. Attraction naturelle. Sentiments réciproques. Affections magnétiques. Elle m’a séduite, je l’ai séduite. Nous n’avons pu résister l’une à l’autre. C’était plus fort que moi. Je me suis laissée à elle sans me poser de question, ni penser à ce que mes camarades ou autres personnes auraient pu en penser ni imaginer. Je voulais vivre ma vie, je voulais faire une expérience inédite. Je me souviendrai toujours de cette rencontre qui bouleversa ma vie. C’était un après-midi. On était samedi. C’était notre jour de sortie. Toute la ville s’alignait le long des trottoirs, aux abords des chemins, sous les arbres pour nous voir passer. C’était un rituel qui allait aux plus aguicheuses d’entre nous. La chance ne tardait d’ailleurs pas leur sourire puisqu’il y en avait qui décrochait le gros lot, c’est-à-dire, réussissaient à séduire marabouts et hauts fonctionnaires qui se prosternèrent devant l’autel de leur beauté dont l’éclat était rehaussée pour la circonstance par des produits artificiels qui leur conféraient à vrai dire des airs de fée. Ce jour-là, la chance m’avait souri, aussi. Je rencontrai une belle Camerounaise. Ma camerounaise à moi. De l’autre côté de son regard, je pouvais lire des signes d’exultation dans le soleil qui ce soir-là rangeait ses affaires pour aller se coucher. C’était comme s’il nous attendait avant de rejoindre l’horizon. Dès que je l’ai vue, j’ai poussé un profond ouf de soulagement. Je luis souris, elle me rendit. Je me suis m’intéressée à elle. Et contre toute attente, elle ne m’a pas rejetée ; bien au contraire… J’avais enfin découvert l’amour de ma vie, et je me sentais enfin vivre et forger mon histoire, ma propre histoire, non notre histoire, la mienne qui ne faisait désormais qu’une avec ma Camerounaise aux  yeux limpides. J’étais alors moins jalouse et complexée quand, les soirs au dortoir, mes amies racontaient leurs histoires d’amour. Depuis lors, je me suis mise à la visiter régulièrement. J’aimais passer mon temps avec elle, surtout à l’heure de la sieste. Tout en elle m’invitait à l’aimer davantage: son calme, sa candeur, son sourire, son charme, la sérénité qui se dégageait de son regard qui n’était que tendresse, douceur et vie. Au début, nous n’avions que des rendez-vous diurnes. Pendant le déjeuner, je languissais de ne l’avoir pas devant moi. Alors, tout mon esprit était porté vers elle. Plusieurs questions me labouraient les méninges : « que fais-tu actuellement, ma belle Camerounaise ? Que deviens-tu ? As-tu beaucoup de soupirantes ? J’espère que tu ne m’as pas oubliée. » Je finissais toujours le repas, triste et mélancolique de n’avoir pu avoir, près de moi ma Camerounaise.

On était en Avril. Les pluies avaient commencé. Nous entamions la dernière ligne droite de l’année. Les cours se faisaient intenses, et les devoirs, réguliers. Aucun répit. Mes performances scolaires étaient au ralenti. Mes camarades ne comprenaient pas ce qui m’arrivait. Moi non plus.

Mes professeurs ne me reconnaissaient plus. Surtout le Surveillant Général qui prenait plaisir à m’humilier publiquement et à me punir pour un oui ou un non depuis que… Non, j’ai pas envie d’y penser. C’est de la merde, ce pu… de Professeur. Mais au plus haut point, cela m’intriguait viscéralement qu’ils voulussent tant fouiner dans ma vie privée. Maïmouna, ma voisine de table, me rapportait les propos de Salifou qui se disait amoureux de moi. Il avouait même m’aimer d’un amour-cratère ou volcan, je ne sais plus trop quoi. C’est vrai qu’il était passablement beau, un peu intelligent et très attachant. Mais de là à en conclure que je l’aimais, c’était comme interdire à un verre de se briser en tombant de la table. La chèvre et le bouc ont beau avoir des poils ne sont pas de la même famille. Qu’il me colle la paix, ce fou de Salifou. Toujours-là à vous embrouiller. Etais-je tenue de l’aimer ?

 

En ces jours critiques d’efforts intellectuels intenses, la Camerounaise se faisait davantage désirer. Une nuit, pendant que tout l’internat dormait, je tournais et retournais dans mon lit, toute tendue vers ma Camerounaise. Plus je pensais à elle, plus vite battait mon cœur, et plus fort d’envie ronronnaient mes tripes. J’enfilai rapidement un collant et un maillot de corps. Je descendis délicatement de mon lit sans défaire ma moustiquaire. Je pris ma lampe torche dans une main, et dans l’autre, j’avais mes tennis. Je sortis en marchant sur la pointe des pieds. J’ouvris directement la porte sans tourner la clef ; étant donné que c’était moi la responsable du dortoir, j’avais pour rôle de veiller à fermer la porte. Cette nuit-là, comme si je savais que je devais aller voir la Camerounaise, j’avais juste rabattu les deux battants. Dès que je tournai la poignée, la porte émit un gémissement qui se perdit aussitôt dans le concert tonitruant qu’offraient les hiboux juchés sur le grand jujubier situé devant notre dortoir. Une fois dehors, un vent frais me caressa le visage. Je levai les yeux : la lune était pleine. Je longeai le bloc administratif. J’entendais le vigile ronfler. Une joie subite fit battre mon cœur et détendre les traits de mon visage. Je soupirai profondément. Je me rendis dans ma douche. Je portai mes chaussures. Je voulais prendre la voie qui conduit à la Camerounaise quand j’entendis un grand bruit. Subitement, les lampes s’éteignirent. Les nuages couvrirent la lune, plongeant la nature dans une obscurité totale. Un grand chat passa devant la douche en poussant un horrible miaulement. J’entendis siffler des souris affolées. Le chien du vigile se mit à aboyer, et ses aboiements me parvenaient jusque dans ma douche. Un grand vent se mit à souffler, qui faisait valser et toussoter les feuilles de tôles agonisantes qui datent de la création du lycée, voici déjà trois-quarts de siècles. Progressivement, le calme revint. Je pouvais souffler. Mais j’avais comme l’impression qu’une ombre humaine rôdait dans les parages. Très vite, j’attribuai cette sensation à une hallucination. Je renouai solidement les lacets de mes chaussures, enfonçai mon T-shirt dans mon collant et fonçai dans la nuit. L’appel de la Camerounaise se faisait de plus en plus pressant. Je contournai le restaurant et la cuisine, me faufilai dans le couloir entre le sanatorium et la bibliothèque. Une fois sur le terrain de hand, j’accélérai mes pas. Ma gorge était sèche. Ma poitrine était soulevée et secouée par de violents spasmes musculaires. Je sentais des fourmillements dans mes membres inférieurs, tandis qu’un torrent de sueur m’inonda le corps. J’avais envie de rebrousser chemin, mais il ne me restait plus que quelques mètres pour être du côté de chez la Camerounaise. Je m’assis sous un fromager, et je me surpris à réfléchir : « Mais que fais-je ici, au cœur de cette nuit, à la lisière du bois ? Et si un serpent me mordait ? Et si… ? » Mais aussitôt, je me relevai, et battis en brèche ces réflexions couardes. Je secouai mes jambes. La rosée tombée sur la terre la faisait exhaler une senteur qui me fit du bien. Je m’engouffrai dans le bois. Je marchais à pas de loup. Après deux essais infructueux, je parvins à escalader le mur. J’étais de l’autre côté de notre clôture. Ouf ! Quel soulagement de pouvoir être en présence de l’objet de mes désirs. Dieu, lui-même, connaît la longueur et la largeur, la profondeur et la hauteur de mon amour pour la Camerounaise. Si elle n’existait pas, il eût fallu la créer. La voir simplement calmait la rage de mes tripes.

Enfin, j’y étais. Elle m’attendait, ma Camerounaise, sous un arbre. Elle était bien là. Présente au rendez-vous. Parée de ses atours royaux. Elle me souriait. Je la désirais. Elle se lassait toucher. Je sortis un torchon de mon soutien-gorge et lui nettoyai le visage. Les nuages se rangèrent. La lune se remit à briller. Je m’assis en face d’elle. Elle me regardait, je la regardais. Elle n’était pas claire, mais brune. Son parfum se répandit dans mon corps. J’ouvris la bouche. Un poème en jaillit, comme d’une source, cristallin, limpide et affectueux. Elle m’en remercia d’un sourire encore plus envoûtant, mais pudique et chaste. Je lui confiai mes misères et mes tribulations, mes désolations et mes turpitudes, mais aussi mes joies et mes espoirs. Elle me regarda avec tendresse et me sourit. Elle aimait sourire, ma Camerounaise. On ne pouvait jamais l’en empêcher. Elle savait me comprendre, m’apaiser, me materner. Avec elle, j’avais la paix du cœur. Toujours prête et disposée à m’écouter. Cette nuit-là, nous causâmes de tout et de rien, assises en face l’une de l’autre. Nous ne voyions pas le temps passer. Je n’avais pas sommeil, elle non plus. Je la pris dans mes bras. Elle m’avait l’air un peu ingénu, ma Camerounaise. J’approchai mes lèvres. Geste suspendu par un bruit insolite. Ma Camerounaise et moi, restâmes coites, figées, ankylosés, tétanisés. J’entendis quelqu’un s’éclaircir la voix. Le temps de tourner la tête, je décelai la silhouette de la proviseure. Je compris qu’il fallait agir sans réfléchir. Elle m’appela par mon nom. Elle m’a vue avec la Camerounaise. Je pris la décision de me sauver, moi et elle avec moi. Je l’empoignai et détalai dans la brousse. Je courais sans entendre la proviseure qui continuait de me crier mon nom. Le vigile fut alerté, sorti de son sommeil par les aboiements aigus et prolongés de son chien. Je continuais de courir avec ma Camerounaise. Il me fallait absolument la mettre à l’abri. Quels étaient ses sentiments ? Je ne pouvais le deviner. Je ne savais plus où j’en étais dans ma course. Mais j’accélérais les pas. Je fus subitement arrêtée dans ma course par une rangée de fil de fers barbelés. Je ne savais pas que j’étais déjà du côté du jardin. Je m’étais blessée au visage, aux pieds, aux mains. Tout mon corps me faisait mal. Un pan de mon collant gisait dans les griffes des barbelés. Difficilement, je me relevai. Je repris en charge ma Camerounaise. Je lui trouvai un abri sûr. Elle pouvait à présent se débrouiller sans moi. Il me restait à me rendre au dortoir.

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Je fis un tour rapide dans ma douche. J’y abandonnai mes chaussures et changeai mes vêtements que je jetai à la poubelle après m’être rincé le corps à la sauvette. Je rasai les murs. Les hiboux continuaient de chanter. Je voyais le vigile zébrer l’espace de la lumière de sa torche. La proviseure, épuisée, devait être chez elle, à ruminer sa rage. Je continuai d’avancer, en rasant les murs. Soudain un cri strident s’éleva en-dessous de moi ; je venais de piétiner une musaraigne. Je bondis et atterris sur un morceau de fer qui ouvrit mes blessures. Je ne pouvais crier. Mon cœur faillit s’immobiliser dans ma poitrine, tant vive était ma douleur. J’avais les jambes tétanisées. Je me relevai tout de même, non sans peine. Arrivée près de la porte de notre dortoir, je tendis le cou. Je ne vis aucune présence suspecte. Les chiens n’aboyaient plus. Je montai les escaliers et ouvris la porte, tout doucement. Je n’avais plus ma lampe torche. Du dehors, la lune éclairait plus ou moins le dortoir, par les fenêtres édentées. Je n’avais pas baissé le rideau. Je m’assis sur mon lit. Je cherchai mon coussin. Ma main heurta une matière plus solide que le coussin. Je voulais en savoir davantage. J’évitai d’allumer de peur de réveiller Maïmouna, très sensible à la lumière quand elle dort. J’ouvris la fenêtre. La lumière de la lune entrait à flots dans le dortoir. J’étais partagée entre la consternation et le découragement : la proviseure était là sur mon lit, calme et impassible. Elle me chuchota :

– Je voulais juste être sûre que je ne m’étais pas trompée de personne, il y a quelques instants, de l’autre côté de la clôture. Maintenant j’en ai le cœur net. Tu peux te coucher. Il n’y a aucun problème. Demain, tu me rejoins dans mon bureau, juste pour un petit tête-à-tête.

A ces mots, elle se leva et sortit du dortoir.

Le lendemain, je n’allai pas au cours. Le haut conseil de discipline m’attendait. Dès que j’entrai dans la salle, je fus prise d’un vertige accompagné d’une envie de vomir. Tous les visages étaient fermés. La proviseure présidait là séance. Après avoir exposé le motif du conseil extraordinaire, elle me donna la parole.

– Je vous salue, chers professeurs. Je vous présente toutes mes excuses pour avoir mal agi.

– Si au moins, c’était une métisse, je comprendrais. Coupa le Directeur des Etudes, avant d’ajouter : « Toutes ces souffrances juste pour une camerounaise !! Oh Dieu ».

– C’est vrai que l’amour rend aveugle, sourd et muet, renchérit notre professeur de Biologie, mais, franchement, je ne pense pas pourvoir souffrir autant pour une camerounaise.

– Que vas-tu faire avec une camerounaise, toi qui es une femme ? reprit le Directeur des Etudes. Crois-tu que c’est tout ce que vous voyez faire que vous devez faire ? Toi une fille intelligente comme ça, c’est à une fille que tu trouves à t’attacher. Franchement.

Pendant ce temps, le Surveillant Général prenait rageusement note. Je savais que la température allait monter dans la salle, à le voir griffonner avec autant d’entrain. Il me demanda :

– Qu’y a-t-il entre toi et la Camerounaise, cette dame calme, vertueuse et si chaste ?

– Je l’aime. On s’aime. répondis-je, sans sourciller.

– Et tu n’as pas mal à la langue en te dévergondant ainsi, Désirée ? Donc ainsi, tu oses sortir avec une personne du même sexe que toi ! Quelle dévergondée tu fais-là? Espèce d’ordure humaine! Tu fais honte à tout le monde. Dire qu’il y a quand même des hommes dans ce lycée!

– …

– Je croyais que je te posais une question.

– ….

– Tu ne réponds donc rien ?

– Je vous ai dit la vérité.-

– A cette allure, chers collègues, on ne tirera rien de cette écervelée qui est dérangée tant dans sa tête que dans son corps. Nous allons délibérer.

La proviseure me fit signe de sortir. Quand elle me rappela, c’était pour me remettre la lettre que ma mère m’a lue ce matin. Elle m’avait dit clairement que ma place n’était plus dans ce lycée, et qu’elle me donnait juste la matinée pour « vider les lieux ». Je venais d’être renvoyée. En rangeant mes affaires, je me remémorais les dernières paroles de la proviseure :

– La raison est juste que tu as pris un risque d’aller la voir, jusque là-bas, nuitamment. Tu aurais pu te faire agresser ou mordre par un serpent ; en plus tu as enfreint le règlement intérieur. Et s’il t’arrivait malheur, cela pourrait salir la notoriété du lycée et mette à mal l’autorité de la proviseure que je suis. Si quelque chose de mal t’arrivait, tes parents pourraient m’intenter un procès et me taxer d’irresponsable.

J’étais ahurie de voir mes professeurs au Conseil prononcer un jugement sans savoir qui était en réalité cette Camerounaise, ni étudier dans quelle mesure l’auditionner pour savoir ce qu’il en était réellement. J’aurais dû aussi comprendre que Monsieur le Surveillant Général ne m’avait jamais pardonné mon refus de « sortir avec lui ». De toute façon je ne regrette pas de l’avoir éconduit en le menaçant de tout raconter à la Proviseure. Peut-être aurais-je dû informer plus tôt la Proviseure du harcèlement sexuellement dont j’ai été victime de la part de cet homme et aussi du Censeur, deux phénomènes rares à qui nombre de mes camarades doivent leur réussite scolaire. Mon sort était scellé. Il était trop jaloux et fier pour ravaler l’humiliation de mon refus d’être « sa poupée des instants sublimes« , comme il me le chantait. Pour avoir été mis au courant de mon idylle avec ma Camerounaise, il laissa déborder sa rancœur, et poussa la Proviseure à prendre la mesure extrême: mon renvoi définitif.

Comment avouer à ma mère que mon amour pour la Camerounaise m’a perdue ? Comment lui dire que c’était pour une mangue dite « Camerounaise » que j’ai été mise à la porte ? Pour l’amour d’une Camerounaise, oh mon Dieu ! Que j’ai mal. Si j’avais su que la Proviseure devait faire sa ronde nocturne ordinaire, je ne serais pas sortie. J’aurais dû me contenter des mangues qui venaient à table. Mais voilà ! Le pire est arrivé déjà. Je suis dans le dur à présent. Ma mère me prend certainement pour une lesbienne, comme mes profs sont convaincus que je le suis vraiment. C’est d’ailleurs ce que pensent tous ceux qui tombent sur mon histoire.

Ce soir, seule dans ma chambre, je suis triste. Des souris défilent sans ma chambre. Des cafards aussi. Deux salamandres sont tombées sur mon lit. Je n’aime pas ces bêtes. Ma température monte. Merde! Ces imbéciles ont encore coupé le courant. C’est comme si je déprime. Or je n’aime pas déprimer, tout comme j’abhorre les situations stressantes. Je n’aime pas le noir. Mon cœur a envie de s’épancher pour que M’man sache la vérité, mais mes lèvres m’en dissuadent. Mes doigts se rebellent contre ma volonté d’écrire un billet à M’man pour qu’elle sache ce qui s’est réellement passé, mais aussi ce qui ne s’est jamais passé. Un rire violent me renverse sur mon lit. Je me lève. J’allume la torche de mon portable. Un tour en douche pour me rafraichir le corps et l’esprit, les nerfs et les sens. L’eau a l’odeur du sang. Mes pieds se mettent en mouvement. Subitement je me retrouve devant le magasin. J’y entre. Belle surprise. Une musaraigne danse sur le carton des insecticides. A ma vue elle s’éclipse et me laisse son odeur de cadavre en décomposition. J’ouvre le carton. Je découvre des raticides. Ajoutés à cette autre dose de médicaments multiples et multiformes que j’ai déjà sélectionnés juste pour les ingurgiter afin de stabiliser ma tension et mon métabolisme basal, je crois que tout retournera à la normale… Peut-être qu’ainsi je la retrouverai, ma Camerounaise. Même si cela n’advenait pas, ce ne serait pas grave. Tiens, faut que je me dépêche j’entends des pas. Le mieux ne serait-il pas plutôt que je fasse usage du pistolet rangé sous mon oreiller ? Le bruit alerterait les passants. C’est pourtant le moyen le plus rapide. Mais la rumeur se fera plus grande. Et on dira que… Oh; ah; hm! que j’ai mal. J’ai le vertige. L’effet des médicaments ou de la faim?

Je vérifie les balles, je nettoie mon pistolet. L’odeur de la musaraigne se fait sentir de nouveau. Il doit être sous mon lit. Je nettoie de nouveau mon pistolet. Je le charge. Tout est prêt pour l’opération. Un dernier tour de clef dans la serrure. Je suis bien seule chez moi, inaccessible. Je lève les yeux, le rideau danse au gré du vent et laisse entrevoir le visage de papa. Il a les yeux vitreux. Comme la dernière fois que je l’ai vu avant sa mise en bière. Je crois qu’il me faut rejoindre papa de l’autre côté du rideau. L’histoire retiendra que pour l’amour d’une Camerounaise…. mais avant, il faut que je fasse mes adieux à ma Camerounaise. J’oriente le pistolet vers ma tête. Ma main est déjà sur la gâchette.

 

Destin Mahulolo