« Le Calme du Nokoué », est la deuxième livraison littéraire de Roland Donou après son fameux recueil de nouvelles miel-amer publié en 2018 chez Plumes soleil. Le Calme du Nokouè, est publié par le même éditeur. L’œuvre comporte 242 pages subdivisée en huit chapitres. Pour appréhender le contenu de cette nouvelle parution, nous partirons d’abord d’un bref résumé, ensuite suivra l’analyse du contenu et nous terminerons par un point de vue personnel.

1- Résumé du livre

La trame narrative de l’œuvre présente un jeune élève-maître en quête du Certificat d’Aptitude Professionnelle (CAP) après son passage à l’école normale d’instituteurs de Dogbo. Pour passer donc cet examen professionnel, il sera affecté à l’école primaire publique de Houègbo-gare, groupe B. Mahougnon Togninou puisque c’est de lui qu’il s’agit, aura désormais à collaborer avec dame Henriette Ahogbé, Directrice de ladite école. Stagiaire exemplaire et dévoué, Mahougnon, contre toute attente et au grand désespoir de sa directrice, sera de nouveau affecté à l’école primaire publique d’Avissa, groupe A, suite à un complot orchestré par son père Dêgbédji et Sika son épouse qui se plaignait déjà de son indisponibilité. Sur son nouveau territoire, Mahougnon va arborer le manteau de jeune leader politique. Débatteur insatiable, il sera présent sur toutes les questions touchant la politique et le développement à la base.

2- Analyse du contenu

Dans les premières heures de notre lecture, nous avions douté que Le Calme du Nokoué soit un roman. Mais à l’arrivée, nous avons conclu qu’il s’agit bel et bien d’un roman. Seulement qu’il ne s’agit pas d’un roman où l’histoire est reine mais plutôt d’« un roman à thèse » où la reine se fait idée. Autrement dit, à travers cette œuvre, Roland Donou utilise le texte comme un prétexte pour exprimer ses idées par rapport à certains grands sujets qui alimentent la réflexion au sein de notre société. Ce faisant, il s’inscrit dans la tradition littéraire et philosophique de certains grands auteurs comme : Voltaire, Diderot, Henri Bordeau qui utilisent leurs textes pour illustrer une théorie ou pour défendre une thèse. A l’idée de cela, cette œuvre entretient une forte intimité avec son auteur. C’est-à-dire que, les idées qui y sont développées sont proches de la pensée de son auteur.

Pour aller plus loin dans la réflexion, nous tenons à rappeler à toutes fins utiles que, ce roman est construit autour de deux piliers fondamentaux à savoir : les théories pédagogiques dans le système éducatif d’une part et les questions de politique de développement d’autre part.

Concernant le premier axe qui aborde les questions de pédagogie, Roland Donou se sert de l’instituteur Mahougnon pour exposer les différentes normes pédagogiques enseignées dans les écoles normales et qui devraient être l’arme de tout enseignant professionnel. Il nous fait observer à cet effet, à la page 37, le mode opératoire de tout processus d’apprentissage à l’ère de l’APC à travers la démarche ci-dessous décrite : « Allant du travail individuel au travail de groupe, du travail de groupe à la classe entière, il [𝑀𝑎ℎ𝑜𝑢𝑔𝑛𝑜𝑛] amena les futurs collégiens à sortir d’affaire avec tact et méthodologie ». Il faut dire que ce roman renferme une bonne dose de philosophie de l’éducation allant de la pédagogie antique aux nouvelles pédagogies. La présence par exemple « d’une vieille courroie de motocycliste […] avec un bâton, long de cinquante centimètres environ dont le diamètre avoisine la taille du gros orteil d’un adulte » p.35, dans le bureau de la directrice, symbolise parfaitement la conception de l’éducation dans l’Egypte antique, période au cours de laquelle : « Pour apprendre, il fallait donc souffrir, et pour enseigner il fallait faire souffrir. » Car, la courroie et le bâton symbolisent la souffrance, donc le châtiment corporel. Secteur sensible dans la construction de toute nation, l’éducation doit permettre de bâtir moralement et spirituellement l’homme afin de faire de lui un acteur de développement comme le pense le personnage Henriette Ahogbé : « Nous avons la haute mission de forger les acteurs, les ressources humaines de bonne qualité pour développer notre pays. » p. 39. C’est donc une philosophie éducative qui fait corps avec la conception platonicienne de l’éducation qui voudrait que l’éducation permette à chaque jeune de bien assumer ses futures fonctions dans la cité. Mais cela n’est pas possible sans l’éthique et la morale dans l’enseignement. L’enseignant doit éduquer par exemplarité : « conscients de ce que l’enseignant doit être une référence, vous [les enseignants] devez vivre comme le miroir des gens de votre entourage en étant les premiers à mettre en application les leçons de morale et de civisme que vous enseignez aux enfants » affirme le personnage Henriette Ahogbé, p. 39. A partir de là, Roland Donou nous fait voyager dans la Grèce antique à la rencontre de l’orateur Grec Isocrate pour qui, le maître doit servir de modèle de par la densité de son bagage intellectuel, la diversité de ses compétences et l’exemplarité de sa conduite. En un mot et comme l’a recommandé la directrice du groupe pédagogique B de l’EPP Houègbo-gare à ses instituteurs adjoints dans le roman, l’éducateur doit être un Vitorrino da Feltre (humaniste italien).

Pour clore ce volet de la question, Il est à retenir que « Le Calme du Nokoué » est un roman jonché de pensées pédagogiques. Tous les défis et perspectives du système éducatif béninois voire africain sont passés à la loupe ‘‘Rolandienne’’.

3- Qu’en est-il à présent du second axe de notre analyse ?

Comme annoncé plus haut, nous nous intéresserons à cette étape de notre analyse à la notion de politique de développement vue à travers ce roman. En effet, suite à sa nouvelle affectation à l’école primaire publique d’Avissa, Mahougnon s’est vu découvrir une nouvelle passion : la politique, les questions de développement à la base. Cette passion lui est inoculée par son père Dêgbédji qui fut un grand artisan de développement communautaire à travers la construction d’infrastructures socio-communautaires (école, dispensaire, maternité) qu’il a initiées et soutenues financièrement. Ce parcours hautement élogieux et empreinte de sacrifice et de don de soi de son père, sera le déclic qui va mettre Mahougnon au-devant de la scène politique. Ainsi, à travers des réunions entre jeunes et certains responsables politico-administratifs, ce personnage percutant et éloquent va se muer dans une analyse du climat socio-politique qui a cours au Bénin et en Afrique. L’état de la démocratie, les élections et son corollaire, le rôle de la presse, la diplomatie, les relations internationales, les faiblesses du système partisan au Bénin sont les thèmes récurrents qu’il aborde. Dénonciateur d’une part, moraliste de l’autre, Mahougnon est un personnage très verbeux sur les questions liées à la gouvernance de la cité. Ce faisant, Roland Donou plonge son lecteur dans un réalisme politique sans précédent. Tout comme Edgar Okiki Zinsou dans « Le discours d’un affamé » et « Les sanglots politiques », Roland s’inspire des mutations sociales et réalités politiques pour façonner son œuvre. Certains noms ou surnoms de personnages nous rappellent l’histoire politique de l’Afrique, ces dernières années. A cet effet, nous avons les personnages passifs tels que « Kolani Kozissa » qui n’est rien d’autre que la déformation du nom de l’ancien chef d’Etat français Nicolas Sarkozi. De même, le Guide Lybien Mouamar Kadafi sera par périphrase, désigné par l’expression « Le roi de Kalozin ». L’évocation de ces deux noms rappelle un grand pan de l’histoire africaine. Certains responsables politiques béninois seront désignés soit par leur fortune, leur intellectualisme politique, soit par leur métier. Ainsi, nous avons : « l’homme le plus riche du Bénin » qui renvoie à Patrice Talon ; « le plus grand animal politique de Cotonou » pour désigner Candide Azannaï, et le bout de phrase : « son avocat personnel jadis activiste inébranlable de la société civile » qui renvoie à Maître Joseph Djogbénou. Et à travers ‘’ le financier expatrié’’ se cache Lionel Zinsou sans oublier les mots siamois ‘’ruge et rage’’ (p. 214) qui traduisent une forme de gestion dans l’actuel Bénin. Tout comme ces cas qui viennent d’être abordés, « Le Calme du Nokoué » renferme d’autres éléments qui nous renvoient à notre propre histoire et qui malheureusement ne sauraient être pris en compte dans le cadre d’une simple présentation.

Tout bien considéré, il ressort que la clé pour comprendre cette œuvre reste et demeure la vie de l’auteur, sa biographie. Il prête sa voix et ses idées au personnage Mahougnon. A travers ce personnage, on voit Roland Donou, le normalien de Dogbo qui démontre toute sa maîtrise des forces et faiblesses du système éducatif de notre pays. Ensuite, étant titulaire d’une licence en sciences politiques et relations internationales, il fait passer à travers son personnage principal, toutes ses réflexions sur les questions relatives à l’Etat de droit, à la démocratie et à la politique internationale. Il cite même l’un des professeurs en la matière : M. Gille Badet. Enfin, par le biais de Nério, personnage épisodique du roman, l’auteur nous sert la présentation suivante : « Surtout que je suis un homme des média » p.186. Nous faisons deux observations à partir de cette phrase. La première indique que Nério est le nom réel du petit frère de l’auteur. La seconde remarque indique que Roland Donou est effectivement ‘’ un homme des média’’ comme il est mentionné dans la phrase précédente. Car actuellement, Roland prépare son Master II à l’ISMA et assure la communication à la mairie d’Allada. Mais, il est utile de signaler qu’à travers la technique de brouillage, Roland Donou a fait porter à un même personnage deux noms différents. Car, Nério est le prolongement du personnage Mahougnon. Les deux personnages ne font qu’un et leurs histoires renvoient à la biographie de leur auteur. De cette manière, plusieurs épisodes de sa vie ont émaillé l’œuvre au risque de faire d’elle une œuvre autobiographique. Montaigne, au seuil des Essais écrivait déjà : « Je suis moi-même la matière de mon livre ». Alors, ne sommes-nous pas tenté d’affirmer la même chose de Roland Donou et de son roman « Le Calme du Nokoué ? » Le personnage Mahougnon n’est-il pas le portrait voilé de son créateur ? Si oui, alors Roland Donou est allé à l’école de Gustave Flaubert qui disait déjà à propos de son oeuvre : « Madame Bovary c’est moi » pour exprimer ainsi, la similitude entre le romancier, son personnage et son œuvre.

Au niveau de l’écriture, Roland Donou a eu recours à la couleur locale pour obtenir l’effet de réel dans son œuvre en s’appuyant entre autres sur la toponymie et l’andronynie. Ses personnages portent des noms vrais de personnes vivant dans des localités qui servent de cadre spatial au roman. C’est le cas entre autres de Euthyme Hèssou et du vieux Dêgbédji.

Ensuite, pour rendre dynamique et vivant son style, il utilise les dialogues en abondance au point de rapprocher son roman du théâtre. Le narrateur ne résume plus l’histoire mais donne la parole aux personnages pour raconter leur propre histoire dans un style direct. C’est ainsi que l’artiste Gbèzé et le vieux N’sogboa vont raconter tour à tour un pan important de leur biographie en fin de roman. Cette technique rompt avec la monotonie que provoquerait la présence d’une voix unique.

Par ailleurs, l’auteur utilise la description pour ralentir le récit et le rependre par la suite à travers l’enchâssement. De même, certaines expressions dans l’œuvre font penser aux écrits d’autres auteurs. Nous prenons en exemple le passage suivant : « Quand j’étais enfant … » p.173 qui nous rappelle exactement le début de L’enfant noir de Camara Laye. Nous sommes là, dans l’intertextualité.

Le dernier point que nous voulons aborder ici, sans aucune prétention d’avoir épuisé l’étude stylistique, est que, ce roman a fait la part belle au mélange de genres. On y trouve des histoires à cheval entre le conte et la légende. Les proverbes quant à eux sont abondamment utilisés pour véhiculer la morale et la sagesse des âges. Finalement, c’est Jacques Laurent qui a raison lorsqu’il affirme : « Le roman est un genre bâtard. »

Que pouvons-nous conclure ?

« Le Calme du Nokoué » au-delà d’un ‘’roman à idées’’, est un document d’archives de plusieurs faits de notre société. Son auteur s’est comporté comme un historien du passé à travers le récit d’un pan très important de la vie de son père, de la création du village Sey, et comme un historien du présent à travers l’actualité romancée. Prenant appui sur ce roman réaliste, nous donnons raison à Mme de Staël qui pense que : « La littérature est l’expression de la société ».

Augustin Anignikin