« Le Mandat » : Voici un roman au titre à priori déroutant, déroutant en ce sens qu’il s’agit à première vue d’une notion juridique. Et tout de suite, on se demande ce qu’une notion purement juridique pourrait bien chercher sur la couverture d’un roman. Pour les initiés au droit, un mandat, plus qu’une  lettre à expédier à la poste, c’est aussi une  procuration, c’est-à-dire  « un contrat par lequel une personne, le mandant, donne à une autre personne, le mandataire, le pouvoir de faire un ou des actes juridiques en son nom et pour son compte«  . Cela dit, il serait illusoire de croire par suite que « Le Mandat »  de Sembène Ousmane une œuvre juridique destinée uniquement et exclusivement aux hommes de droit. C’est est un roman au contenu général, original, ouvert, unique en son genre et adressé à tous, à tout quidam curieux qui veut aller au pays des merveilles du lire.

  « Le Mandat », un roman de 190 pages, paru aux éditions Présence Africaine à Paris en 1965, a remporté le Prix de la critique internationale au Festival de Venise (1968). L’œuvre fait surgir les maux quotidiens, pernicieux dont ont souffert et qu’elles continuent de subir les sociétés africaines au lendemain des indépendances. Elle plonge le lecteur dans un univers de désarrois, de soubresauts, de consternations, d’inquiétudes et suscite des questions à ne point en finir.

Cette œuvre est une fresque qui donne à voir, d’une part une société africaine encore profondément traditionnelle et très religieuse, illettrée, respectueuse des usages ancestraux et attachée à la valeur de la solidarité,  et d’autre part une société tendant tant bien que mal vers la modernité et gangrénée par la corruption, les lenteurs administratives manifestes, la paupérisation, la malhonnêteté, l’escroquerie, l’abus de confiance, la jalousie gratuite, l’hypocrisie, la trahison et la misère. On observe une misère généralisée qui n’épargne aucun des ménages de ces couches défavorisées où ces démunis devenus  des habitués de la misère, sont grugés financièrement par des fumistes égoïstes, nantis véreux et arrogants.  Sembène Ousmane le décrit fort bien  à travers le personnage principal d’Ibrahima Dieng, géniteur de 9 enfants, nourris comme d’autres enfants de riz médiocre vendu par le commerçant maffieux, le plus fréquenté des commerçants du quartier. Ce commerçant vicieux avait des aux airs maffiosi et n’avait d’égard que pour l’argent et ses intérêts égoïstes. N’ayant désormais que leur créateur comme appui, les pauvres s’en remettent à  Yallah, l’implorant, le suppliant, et le conjurant, pour avoir pitié de leur sort. Certains n’hésitent pas à avaler leur dignité pour se trouver une miette, maudite somme qui peut servir à nourrir la petite famille, d’autres espèrent l’aide d’un tiers parent, allié, ami, au cœur généreux. D’autres encore, comme c’est le cas pour la majorité des hommes de Ndakaru, vivent sur des prêts en vivres parfois même en numéraire. Yallah dans ses grâces infinies, n’oubliant personne, n’a pas oublié la famille Dieng. Elle reçoit une lettre et un mandat d’Abdou, le neveu d’Ibrahima, depuis Lutèce. Apportés par l’homme, l’être dont tout le monde se méfie dans tout Ndakaru , Bah le facteur, l’annonciateur de mauvaises nouvelles…
Pour Ibrahim, ce mandat est l’occasion idéale pour sortir son nom et sa tête de ce lot abandonné à la misère. Ibrahima, destinataire du mandat de 25000 francs et de la lettre où on lui indique les répartitions à en faire, veut toucher la somme à la poste. On lui demande sa carte d’identité, ce qu’il ne possède pas. Et c’est le début d’une autre misère, dans les draps d’un quartier hypocrite, prétendu solidaire, dans les méandres d’une administration corrompue, vénale, absurde et d’une société vicieuse où tous les coups sont permis. Le livre pose un regard à la fois amusé, pathétique et satirique sur ce personnage, d’âge mur, d’une honnêteté inaliénable, d’une naïveté notoire, qui se fait abuser, agresser, gruger, incapable de se défendre contre ces malins auxquels il fait allusion. Des espiègles, des escrocs redoutables de son entourage, des malins, des badauds sans vergogne, des délinquants en col blanc aux allures d’ange comme ce Mbaye Diagne. Ce dernier, finalement son mandataire, était son dernier espoir et son ultime recours pour toucher le montant fatidique du mandat tant épié de tous.

Sembène Ousmane donne à voir un quotidien truffé de mensonges, une société africaine  trempée dans le chômage.

Vu sous un autre angle, « Le Mandat » est un clin d’œil  à l’égard des valeureuses femmes africaines, fidèles à leurs époux, à leur engagement matrimonial : « Pour le meilleur et pour le pire ». Ici, l’auteur ne nous a pas fait voir « Le pire » mais le « moi bon », car au fil de l’histoire, on retiendra les qualités exceptionnelles de Mety, d’Aram, de toutes ces autres femmes, des épouses malheureuses, mais soumises et dévouées à leurs familles. C’est un message fort qui s’adresse à nos jeunes femmes d’aujourd’hui…

« Le Mandat » nous livre d’emblée les qualités littéraires de l’auteur et nous donne les leçons. Il s’inscrit dans la catégorie des œuvres  qui dénoncent les abus des pouvoirs africains au lendemain des indépendances. L’auteur se veut un porte-parole d’un peuple torpillé, appauvri par ses dirigeants et les cadres de l’administration. L’on retient pour finir, que ce livre expose la tragédie que vit l’homme noir au quotidien et qu’il traine comme une fatalité. J’ai aimé ce livre pour les larmes qu’il m’a fait couler car j’ai touché du doigt à quel point la misère peut ôter à l’homme sa dignité. Je le recommande à tous ceux qui veulent se faire une idée sur l’Afrique des années 1960.

Jospin YEDJENOU

Étudiant en Administration des Finances à l’ENEAM. Passionné du droit et de la littérature. J’aime la basket et la politique.

  1. Très bel article. Je crois qu’une relecture du mandat s’impose car j’ai dû passer à côté du vrai message que l’auteur cherche à véhiculer.