Bonjour les amis. Aujourd’hui lundi, jour d’interview. Nous recevons à cet effet l’écrivain sénégalais FARA NDIAYE : « On enseigne des théories sur la poésie, mais on n’enseigne pas la Poésie. Chaque poète est poète à sa manière« .

BL : Bonjour Fara NDIAYE. Merci de nous accorder cet entretien. Veuillez vous présenter aux lecteurs.

FN : Bonjour. Permettez-moi d’abord de vous remercier pour le choix fait sur ma modeste personne. Pour revenir à votre question, je dirais que je suis de nationalité sénégalaise, natif de Saint-Louis, un homme partagé entre trois cultures : wolof, peule et bambara. Je suis musulman de confession et mouride de confrérie. En effet, je suis enseignant-fonctionnaire (septième année dans l’enseignement élémentaire). Auteur du recueil de poèmes « Mélopées Divines », je dirais enfin, modestement, que je suis le  président de « Parlons Poésie »

BL : Vous êtes écrivain, poète plus précisément. Qu’est-ce qui vous a poussé vers la littérature et à l’écriture surtout ?

FN : Pour être simple, je dirais que c’est l’amour de la connaissance qui m’a surtout poussé vers la littérature (les livres). Depuis tout petit, je fus animé par une « curiosité intellectuelle » et je voulais connaitre les mystères du Monde (utopique ?). Je m’interrogeai sur beaucoup de choses : la mort ? Dieu ? le Paradis ? l’Enfer ? Toutes ces «in» certitudes subtiles me laissaient parfois perplexe. La lecture et l’écriture ont été épuratives face à certains de mes désirs inassouvis. Et s’il y a une chose dont je suis certain c’est que « l’homme se surpasse en lisant et se découvre en écrivant ».

BL : Vous ne vous êtes illustré jusque-là que dans le genre poésie. Pourquoi cela ? Pourquoi la poésie ?

FN : Je n’écris pas uniquement des poèmes. Cependant, je veux demeurer Poète. Rien de plus. La poésie est le « genre » littéraire qui me parle le plus. Elle est l’étincelle qui brille et installe l’amour et la lumière dans le cœur des humains. La Poésie est la lumière du monde. Une vie sans Poésie ne vaut rien. Ce serait aussi méconnaitre la poésie que de la limiter sur de simples mots, soient-ils en vers ou en prose.

BL : Votre premier ouvrage s’intitule « Mélopées Divines ». Est-ce Dieu qui est triste et qui se lamente? Expliquez-nous ce titre.

FN : Le jour où Dieu sera triste, j’aimerais bien être parmi les témoins, pour contempler son « visage ». Ce serait vraiment une « aubaine divine » ! (rire). En réalité, après l’écriture de mon recueil de poèmes, je suis resté des jours, voire des mois, à rechercher un titre adéquat. Puis un jour, je me suis réveillé avec le mot « Mélopée» en tête. Je me disais que c’était sans aucun doute un signe. Un jour, je discutais avec une amie écrivaine (qui avait parcouru le livre puis me donna son avis), Fatimata Diallo, auteure du livre « Des cris sous la peau ». C’est d’ailleurs elle qui me proposa « Mélopées Divines » comme titre de l’ouvrage. En effet, c’était celui que j’attendais. L’écrivaine sénégalaise Ken Bugul me le confirma au téléphone par ces mots « mélopées divines est un très beau titre ». En plus, ce titre répond bien aux différents poèmes du livre, qui sont des « Chansons d’Amours » symbolisées par une ascension spirituelle.

BL : Le recueil se compose de trois parties distinctes ? Pourquoi ce choix de le scinder et pourquoi trois parties ?

FN : Ce livre est, en quelque sorte, le miroir de ma vie. Il y a tout un tas de vécus, d’événements, de circonstances, d’expériences, de pratiques, qui jalonnent la Vie d’un être humain. Certes, nous venons de Dieu et nous retournons en Lui (Coran). Et ce phénomène de retour en Dieu débute sur Terre (macrocosmique), comme il peut partir de l’homme (microcosmique). Après tout, toute ascension spirituelle est une descente  en soi.

Les trois parties ont chacune une signification, ou du moins chacune d’entre elle représente une étape dans la Quête divine.  Souffles lyriques (première partie) est une étape « semi-profane », un épanchement lyrique ; les poèmes qui s’y trouvent marquent le début d’un voyage spirituel qui commence certainement par le monde terrestre, et progressivement évolue et change de forme. Effluves divines (deuxième partie) est une étape d’élévation, de conscience existentielle, de quête divine, d’ivresse. Reconnaissance (troisième partie) c’est la phase de la maturité spirituelle, de la lucidité adorative, de l’extinction divine.

BL : Il s’agit, comme l’indique son titre, d’un ouvrage « divin ». La religion y occupe une grande partie. Foi et poésie, quel lien faites-vous entre ces deux notions ?

FN : Je ne dirais pas la religion, mais plutôt Dieu. Je chante Dieu, je Lui témoigne ma reconnaissance et l’amour que j’ai pour Lui, à travers cet ouvrage. En ce qui concerne la foi, pour moi elle n’est qu’un « état » dans l’Amour du Divin. Ceux qui aiment le Divin véritablement et accèdent à sa proximité s’annihilent en Lui, donc sont délivrés des carcans dogmatiques.

BL : Quelles relations entretenez vous avec les soufis Omar Khayyam, Mansour Hallaj… que vous évoquez dans le recueil ?

FN : J’aime les soufis, leurs histoires me passionnent aussi. A vrai dire, j’ai « connu » Omar Khayyam quand je fus élève en classe de seconde S au lycée Cheikh Omar Foutiyou Tall (ex lycée Faidherbe). Notre prof de maths (madame Ndiaye) nous enseigna un de ses théorèmes en mathématiques. Pour dire vrai, à l’époque, j’aimais ni Omar Khayyam, ni son théorème (je n’étais pas le seul dans la classe (rire)). Mais, lorsque j’ai découvert sa poésie à travers « les Roubbayat », une « heureuse épine » pinça mon cœur. Mansour Hallaj, quant à lui, est un soufi que même les soufis de son époque n’appréhendaient pas. Il avait acquis une dimension spirituelle si élevée qu’il fut considéré comme un « fou », et ses « propos blasphématoires »ont déclenché le procès de sa mort. Jugé et crucifié par les docteurs de la Loi, il mourut en martyr, dans une parfaite lucidité.

BL : En parcourant votre ouvrage, on sent que vous êtes dans une quête divine, vous parlez de vin, d’ivresse, de lumière, de spiritualité islamique…Pouvez-vous nous en éclairer davantage ?

FN : Certains de mes lecteurs me demandent naturellement si je bois du vin ? Ce sont sans doute des « lecteurs profanes ». Rire. La poésie est intime et suggestive. Je réponds souvent à ces types de lecteurs : je bois du vin, mais celui que je bois n’est pas une boisson alcoolisée. Ce vin ne se vend nulle part et aucun récipient ne peut le contenir suffisamment. Il suffit juste que je retourne au plus profond de moi-même pour sentir ses effluves, il se présente en moi comme une lumière et me met en extase chaque fois que je m’en délecte. Ce qu’il faut comprendre, en un langage simple, dans ce livre le « vin » est le symbolisme de la lumière, de l’ivresse, de l’extase.

BL : Dans le texte « Chanson double » vous dites : « je chante Dieu, je chante la femme, mon inspiration a deux ailes ». Pouvez vous nous expliquer ce vers ?

FN : Un jour on m’a demandé : quelle est ta source d’inspiration ? J’avais un peu hésité. Puis je répondis avec un peu d’humour : Dieu et la femme. Dieu ? Parce qu’Il est l’Etre qui ne s’est pas crée Lui-même, qui n’a pas été crée, et qui a tout crée. Il est « l’Indéfini-infini », pour parler comme certains penseurs philosophes et métaphysiciens. La femme ? Parce qu’elle est l’être le plus extraordinaire que Dieu ait crée, pour reprendre le sage africain.

BL : Au niveau de la troisième partie, on voit un poète qui est reconnaissant envers des Hommes de Dieu, qui sont sans doute ses Maîtres ( Bamba, Serigne Saliou, Serigne Bethio ). Dites-en-nous plus ?

FN : J’ai connu Serigne Bethio par le truchement de Serigne Saliou (c’est une longue histoire). Serigne Bethio m’a fait connaitre, en retour, Serigne Touba et par la même occasion le Prophète Mouhamed (PSL). En réalité, les supports cosmiques sont sans doute différents, mais la Réalité Principielle reste la même. Serigne Bethio m’a initié dans le « tassawwuf » en me faisant comprendre ses arcanes, d’où l’importance pour moi de lui témoigner ma Reconnaissance. La Reconnaissance (ou thiant) est une forme d’adoration très élevée, nous enseigna Serigne Saliou Mbacké. Donc, elle doit être attribuée au Seigneur en passant par l’Homme Universel, sinon elle reste « métaphorique ».Celui qui rend grâces au Seigneur très haut pour les bienfaits qu’il en a reçus ne tombera jamais dans le vice et croitra en vertus ; au contraire, celui qui ne lui témoigne pas sa reconnaissance tombera dans la dépravation et finira misérablement (Abou Ya’qoubNeher-Djouri).

BL : Le premier texte de votre livre est titré Identité, et le dernier est intitulé Divinité. Y a-t-il un lien entre les deux titres ?

FN : Oui. J’ai été séduit par la perspicacité de PM.SY, le postfacier du livre, lorsqu’il arriva à faire la corrélation entre le premier et le dernier poème du recueil. Je le cite : « le livre de Fara Ndiaye est une quête de Sens. Il commence par la naissance (Identité) et se termine par une union avec le divin (Divinité) ». Quand j’avais lu ce passage dans la postface lorsque le poète PM.SY me l’envoya, je me sentis soulagé, en me disant « voila un lecteur qui comprend ma démarche ».

Dans ce livre, chaque poème est mis consciemment à sa place. Un poète m’avait interpellé sur la place du poème « Mami wata » qui se situe au niveau de la deuxième partie. Effectivement, j’ai compris qu’il s’était uniquement « limité » sur le titre pour en déduire qu’il s’agit du « mysticisme africain ». Il peut avoir raison. Car, après tout c’est la poésie. Mais le poète qui a écrit ce texte est-il un païen ? il se trouve qu’un poème peut bien être en écart avec son titre.

BL : Votre amour pour la poésie vous a poussé à initier le collectif Parlons Poésie. Parlez-nous de ce collectif et de sa genèse.

FN : Tout a commencé par un groupe whatsapp que j’avais crée le 05 décembre 2016. L’objectif du groupe c’était d’abord de rassembler les jeunes poètes sénégalais, africains, puis instaurer un cadre d’échange, de partage autour de la poésie, ensuite faire connaitre nos différents écrits au grand public. Certains membres de « Parlons Poésie », au-delà d’être des poètes confirmés, sont aussi des romanciers, des nouvellistes, des slameurs. Al Faruq (paix à son âme), le champion d’Afrique en slam /poésie, fait partie des premiers membres de ce collectif et a beaucoup contribué à son rayonnement. Au-delà d’un collectif, « Parlons Poésie » est aujourd’hui une école de formation et de promotion de la poésie et du slam. Il a publié deux anthologies : « De cris et d’encre » (2018), « Elégies des semeurs d’Afrique  » (2019), chez Maitres du jeu Editions.

BL : Vous faites partie de la jeune génération des écrivains poètes sénégalais. Comment la poésie se porte-t-elle de nos jours au pays de Senghor ?

FN : Le Sénégal est un pays de poètes, de toutes expressions confondues. Mais parlant de la poésie sénégalaise d’expression française, nous avons connu Senghor, Birago Diop, Mamadou Traoré Diop, Lamine Diakhaté, Kine Kirama Fall, Ibrahima Sall, Amadou Lamine Sall et tant d’autres poètes. C’est vrai que ces quatre ou cinq dernières années, il y a un foisonnement de publication d’ouvrages dits « poétiques », mais le sont-ils vraiment ? Certes le talent y est, mais le manque de sérieux dans le travail et la précipitation font défaut parfois. La poésie est bien présente au Sénégal. Cependant, il n’y a pas une vraie politique de promotion de ce genre littéraire. Le Collectif Parlons Poésie s’engage dans ce domaine et fait appel aux autorités concernées. Je suis optimiste pour l’avenir de la poésie sénégalaise.

BL : Votre poésie a des parfums à la fois de poésie religieuse et  de romantisme. De quelle école de poètes vous réclamez-vous?

FN : Je ne sais pas. Est-ce même une obligation d’appartenir à une école de poètes ? On enseigne des théories sur la poésie, mais on n’enseigne pas la Poésie. Chaque poète est poète à sa manière. Les talents, les préoccupations, les niveaux de connaissance, les souffles, les styles, ne se présentent pas de la même manière chez les poètes. Mais une chose est sûre : je me sens toujours heureux quand je lis les soufis.

BL : Quel(s) écrivain(s) vous a le plus marqué ?

FN : Descartes (Méditations métaphysiques), Bahram Elahi (La voie de la perfection), Farid Ud Din Attar (Le mémorial des saints), Omar Khayyam (Les roubayyat), R. Guenon (Les états multiples de l’être, le symbolisme de la Croix), Sokhna Bator Thioune (Serigne Bethio, le Serviteur éteint en son Seigneur).

BL :  Parlez-nous de vos projets littéraires en cours.

FN : Avec « Parlons Poésie » nous avons mis en place un concours de poésie : Prix Ibrahima Sall. En ce qui me concerne j’ai d’autres livres en attente de publication.

BL :  Où et comment se procurer Mélopées Divines ?

FN : Chez l’harmattan Sénégal, France…ou par commande sur le net.

BL :  Votre portrait chinois :

-Un personnage historique : Serigne Touba

-Un héros ou une héroïne : Ma mère.

-Un livre : Mawahibou

– Un passe-temps : observer la Nature, écouter la musique de mon cœur, lire et écrire.

-Un plat : mbaxalu saloum

-Un animal : le pigeon

BL : Fara NDIAYE, nous sommes à la fin de cette interview. Merci pour votre disponibilité. Un mot pour clôturer.

FN : C’est moi qui vous remercie. J’apprécie vraiment votre travail.