Ibou Drame SYLLA – Les merveilles de Ndao Jaaloo : une exaltation de la Femme

 

 

Introduction

 

De la même manière qu’il suffit au soleil un seul matin pour éclairer tout le poids d’obscurités qui a régné la nuit sur les épaules des humains, un seul évènement de la vie suffit largement au poète pour marquer le point de départ de son recueil. Ibou Dramé Sylla a trouvé matière à son texte après que la Faucheuse lui a arraché sa tendre maman à la fleur de l’âge. Dans une souffrance extrême, le poète a senti très lourdement sur ses épaules le fardeau de cette mort brutale et compte se soulager par la magie du Verbe, exprimant ainsi toute l’angoisse qui alourdit son cœur d’enfant vacillant entre regret et nostalgie.

Ce recueil de poèmes est composé de deux parties intitulées respectivement « Mère protectrice » et « La bien-aimée ». Il s’agit, dans la première partie, d’un hommage rendu à la Femme à travers trois grandes dames qui ont véritablement marqué la vie du poète. Et, dans la deuxième partie, il avoue tout son amour à sa bien-aimée.

Pour reprendre les mots du préfacier, Abdoulaye Elimane Kane, les deux parties se complètent dans la mesure où l’évocation de toutes ces femmes est juste pour poète le un prétexte pour pour exprimer « le besoin de combler un manque, la recherche permanente du souvenir et de la présence de celle qui lui a donné la vie… ».

Dans cette analyse, nous allons d’abord parler de la place centrale qu’occupe la Femme dans la poésie de Dramé Sylla, ensuite étudier certains thèmes évoqués avant de finir avec la valeur des figures du discours utilisées par le poète dans ce recueil.

 

  • LA REPRESNETATION DE LA FIGURE FEMININE DANS LE RECUEIL

Un seul être nous manque pour que le vide s’installe dans notre esprit. Voilà une phrase qui résume tout le sens du recueil de Dramé Sylla. Tout son projet d’écriture tourne autour de cette idée de manque que le poète essaye de combler à travers la voix de sa plume. Les merveilles de Ndao Jaaaloo est une poésie qui exalte la Femme dans les trois dimensions suivantes : (affective, filiale, charnelle…)

La dimension affective est présente dans tous les poèmes et est symbolisée par l’évocation des trois grandes figures qui ont marqué très positivement sa vie. Mame Bintou Ndao, la mère du poète, est, si on peut le dire ainsi, l’élément source d’où le poète puise toute son inspiration. Que serait ce recueil sans l’omniprésence de cette femme à qui le poète témoigne toute sa reconnaissance et son amour ?

Ma reconnaissance envers toi ne t’est point ignorée.

Aimée par mon âme sans réserve, tu l’es.

Mourir avant tes enfants fut ton souhait, mais difficile à supporter pour nous.

Eternelle est l’affection que j’éprouve pour toi. (p. 19.).

Cet extrait qui ouvre le recueil montre tout l’attachement de Dramé Sylla envers sa mère. Dès l’entame du texte, nous nous sentons plongés dans une marée de désespoir du poète où chaque mot exprimé décrit le chagrin du poète et est en même temps un hommage rendu à sa mère. Nous pouvons dire que tout le « recueil est long soupir qui exhale le chagrin et les regrets d’un adolescent inconsolable d’avoir perdu sa mère a la fleur de l’âge ».

            En effet, la souffrance gouverne l’esprit du poète et le spleen se lit à travers tous les textes.  Chaque membre de son corps est susceptible, à sa manière propre, d’être habité par la douleur d’avoir perdu celle qui lui a donné vie et s’est sacrifiée pour le bonheur de ses enfants :

Essuyer mes larmes, étancher ma soif,

Mon cœur saigne, mon âme brûle,

Ma langue est sèche.

Je ne me retrouve plus,

De mes pas d’enfance, de mon innocence

La vie ne m’est pas habituelle,

Etranger, je suis isolé de tout(p. 24.).

Otage de la solitude, le poète cherche désespérément refuge dans un monde où« ses cris, ses cris de jeunes et ses cris de cœur »restent inaudibles aux oreilles de l’humanité. Chaque mot de ce recueil semble être, pour son âme perturbée, un appel sans réponse ou presque :

Mon âme appelle à la compréhension,

Mais rares sont des hommes qui répondent ;

Ma tête brûle de soucis et personne pour me consoler

Et pourtant à ma mort, ils me pleureront avec leurs larmes de feu(p. 32).

Espère-t-il soulager son chagrin dans un monde où l’amitié et l’amour sont déchirés en lambeaux ? Oui, certainement oui. Le poète retrouve joie à la vie dans l’amour de sa grand-mère et de mère Bertine et dans l’amitié des personnes qui lui sont chères.

  • L’amour et l’amitié comme symboles de reconnaissance

Le recueil de poèmes de Ibou Dramé Sylla, au-delà de l’omniprésence du thème de la mort, est presque entièrement gouverné par l’amour et l’amitié, tout dans un élan de reconnaissance envers certaines belles âmes qui ont marqué sa vie. Le poète souffre d’un manque criard qui ne peut être compensé que par la grandeur de l’amour et de l’amitié.  Les deux sentiments, dans une certaine mesure vécue dans une sincérité réciproque, se complètent pour porter le manteau d’un amour d’amitié.

 Par ailleurs, le philosophe français Fréderic Lenoir dans son Petit traité de vie intérieure, réserve un chapitre complet pour parler de la valeur de ces deux concepts. Il dit clairement :

L’amour d’amitié constitue en effet une double expérience de similarité et de complémentarité. Nous nous aimons parce que nos âmes se ressemblent. Et nous nous aimons aussi parce que l’autre nous apporte ce qui nous manque et que nous ne pouvons nous donner à nous-mêmes.

Ce que Dramé Sylla manque comme affection après avoir perdu sa mère, il se retrouve dans la tendresse de sa grand-mère et dans la bonté d’âme de maman Bertine Diémé, celle qui a assuré le Rôle de mère pour le jeune enfant sedhois au cœur déchiré par la mort

 

Bonté de ton âme, tu restes le sens de mes vertus sures

Eternelle modestie de ton être, tu es ma préférence

Véritable piété, tu es devenue ma référence

Temple consolateur de mes peines(p. 27.).

Le poète chante avec émotion maman Bertine, sa mère de cœur, son repère dans ce monde où son âme est perdue depuis le voyage de sa mère biologique vers l’au-delà.

Là où l’auteur du recueil A côté du soleil, Makhtar Diop, attend le sourire médecin de la poésie pour espérer soulager les maux de son âme, Dramé Sylla quémande le sourire consolateur de sa mère « Mon âme se purifie à la vue de ton sourire » (p. 20.).

Le poète- philosophe comprend, en effet, que l’amour est une valeur sûre pour se surpasser après avoir difficilement vécu sous les coups de venin de la mort. C’est pourquoi toute la deuxième partie du recueil n’est qu’une ode dédiée à sa bien-aimée. Cet amour réel a parfois les élans d’un amour platonique. Le poète se confesse en ces mots :

 

Ta belle image, le reflet du regard que je porte

Me rend joyeux et angélique

Qu’elle luit dans un monde qui t’enchantera

Comme l’éclat d’un diamant au contact du soleil(p. 52.).

Si Victor Hugo chante sa Léopoldine, sa fille fauchée par la mort à la fleur de l’âge pour noyer son chagrin, Dramé Sylla chante sa bien-aimée en traduisant les paroles de son cœur et décrivant l’éclat de son âme (p. 62.). De la même maniéré il témoigne toute son amitié à sa grande sœur Pauline, l’ainée de Maman Bertine et à sa cousine Coumba Sonko, de regrettée mémoire. Le poète tient à l’amitié comme il vit par et pour l’amour.

  • Les figures du discours

Les figures du discours ou figures de style sont aussi présentes dans le recueil de Ibou Dramé Sylla. Pour l’économie de l’analyse, nous allons juste énumérer quelques-unes auxquelles le poète a fait recours dans son texte. Pour les définitions, nous nous référons au livre Le Coran et la culture grecque de Oumar Sankharé qui a réservé le dernier chapitre de son livre à l’étude des figures de style.

  • Anaphore :c’est la répétition d’un mot ou groupe de mots au début de plusieurs membres de phrase. Le poète, pour insister sur les choses qu’il aime, utilise de manière très présente ce procédé avec l’expression «J’aime »au début de tous les vers du poème « CE QUE J’AIME » (p. 25.). L’anaphore produit ici un effet d’insistance sur tout ce que le poète aime dans sa vie.
  • Chiasme : il s’agit de la disposition croisée de quatre termes selon le schéma ABBA, comme nous pouvons le constater dans ces deux vers

 

  • Le charme de la douleur

Côtoie la laideur du bonheur (p. 43.).

Cette figure de style provoque, à travers surtout l’allitération en « r »et l’assonance en « œ»,un effet de rythme dans la construction des deux vers et met en vert l’antithèse dédoublée. Dans ce recueil de poèmes, d’autres figures de style sont aussi utilisées pour participer à l’élégance des poèmes.

 

Conclusion

Après analyse de ce recueil, nous pouvons dire sans risque de nous tromper que le poète a trouvé inspiration après le décès de sa mère.  Cette dernière était son repère, celle qui a guidé ses premiers pas dans la prairie de sa verte vie sur terre. Le deuxième poème écrit en acrostiche est un témoignage à l’amour de cette belle âme arraché de ses yeux.

 A part le poème luminaire dans lequel le poète nous dit qu’il aurait reçu la bénédiction d’un certain poète, toute la première partie du recueil est une expression de la reconnaissance envers ses deux mamans, Mame Bintou Ndao et maman Bertine Diémé, et celle de sa grand-mère, Satou Faty.

Les thèmes de l’amour et de l’amitié ont nourri son texte.  Il en parle avec une sincérité incroyable. En tant que philosophe de formation, Ibou vient de soutenir récemment sa thèse de doctorant portant sur les représentations et pratiques mortuaires, et nous comprenons aisément par-là que le poète, depuis le départ de sa mère, vit toujours avec la hantise de la mort dans l’intimité de sa conscience. La présence de l’idée de la mort dans son recueil en est une parfaite illustration. Là où Baudelaire utilise la métaphore de l’albatros pour parler du poète,

Ibou Dramé Sylla y assimile à la mort : « L’oiseau aux ailes de Géant / T’emportera dans sa migration » (p. 66.).

            Le recueil du philosophe-poète est très riche dans les thématiques abordées comme dans l’utilisation des figures de style. Mais cela n’empêche qu’il présente, à notre humble avis, quelques insuffisances à deux niveaux :

  • Certains poèmes souffrent d’un emplacement de la ponctuation. Le recours abusif de la ponctuation (.) à l’intérieur des poèmes étouffe un peu la fluidité du texte.
  • Il y a aussi une certaine monotonie de la thématique de la mort, ce qui fait d’ailleurs que certains mots reviennent très souvent dans le recueil avec une valeur répétitive moins stylistique.

Voilà les quelques remarques que nous aimerons formuler à votre égard après une brève analyse de ce magnifique recueil de poèmes dont la lecture nous a procuré beaucoup de plaisir.

Les faiblesses n’enlèvent en rien l’originalité et la pertinence du recueil. Le recueil est écrit dans un langage très correct avec un vocabulaire très riche et une syntaxe bien soignée.

Les merveilles de Ndao Jaaloo est une véritable délectation à faire découvrir au grand public.

Que l’âme de NdaoJaaloo repose en paix dans la verte Casamance.

Elaz Ndongo THIOYE