Bonjour les amis. Nous recevons pour vous aujourd’hui, une écrivaine camerounais, Chrime Kouemo: « Pour moi le féminisme, est une idéologie, un ensemble de mouvements qui a pour but de remettre les hommes et les femmes sur le même pied d’égalité, de leur donner les mêmes droits ».
BL : Bonjour Madame. Merci de nous accorder cette interview. Voudrez-vous bien nous dire un mot en guise de présentation, s’il vous plaît ?
CK : Bonjour Monsieur. C’est un honneur pour moi de participer à cette interview. Je suis Chrime Kouemo de mon nom de plume, femme africaine d’origine camerounaise, ingénieure en bâtiment, passionnée de lecture et d’écriture bien évidemment.
BL : Comment expliquez-vous votre passion pour lettres ?
CK : D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours aimé lire. Petite, je lisais tout ce qui accrochait mon œil, des panneaux publicitaires aux romans en passant par les articles de presse et magazines.
BL : Quand avez-vous senti le besoin d’écrire ? Autrement dit, qu’est-ce qui fut le déclic ? Un évènement douloureux ? Un souvenir voulu garder indélébile ? Ou la simple envie de partager votre vision avec votre entourage ?
CK: La toute première fois, c’était à l’adolescence. Avec ma meilleure amie toute aussi passionnée que moi de lecture, nous projetions d’écrire un livre à quatre mains. Le projet n’a pas abouti. Je ne me sentais pas alors capable d’écrire un livre en entier. Mon envie d’écrire est restée en dormance jusqu’à la naissance de mon deuxième enfant. Je ne sais pas trop comment est venu le véritable déclic, mais en finissant le premier chapitre, je me suis dit que c’était enfin possible.
BL : Quelle est votre conception de ‘’Femme de lettres’’ et quelle mission pensez-vous être la sienne aujourd’hui dans ce monde littéraire, à priori, dominé par les hommes ?
CK: Pour moi, une femme de lettres est une femme amoureuse des mots, et qui a un besoin profond de se raconter, de partager sa vision. Ma mission, c’est d’apporter un autre regard, un autre vécu, un autre point de vue, un autre ressenti.
BL : Que représente pour vous la littérature ? Entretient-elle un lien avec la culture, selon vous ?
CK: La littérature représente pour moi l’évasion, la découverte ; c’est aussi un moyen de s’instruire, de faire connaissance avec les autres et de se questionner sur notre monde. De fait, elle a donc un lien étroit avec la culture car chaque auteur écrit avec son ressenti et ses influences.
BL :Vous êtes l’auteure du roman Retour triomphale au Mboa. Voudrez-vous bien partager avec notre lectorat le postulatum d’écriture de ce livre ?
CK: Le retour au pays peut être compliqué, semé d’embûches, mais tout reste possible tant qu’on y croit. Et enfin, l’amour est toujours au rendez-vous.
BL : Dans ce livre, on sent chez Solange le désir du retour à la source. Doit-on croire que c’est un sentiment qui anime la plupart des gens vivant loin de leur terre natale ? Est-ce l’effet de la nostalgie ?
CK: Je pense effectivement que le retour aux sources anime bon nombre de personnes vivant loin de leur terre natale, notamment pour beaucoup d’Africains qui s’exilent pour des raisons économiques.
BL : Certains pensent que beaucoup d’immigrants sont couverts de scrupule quand les anime le désir de revenir au bercail. Car, ils redoutent les yeux inquisiteurs et railleurs des autochtones qui prendraient leur retour comme un échec. Ainsi, ces immigrants préfèrent rester à l’extérieur malgré la nostalgie et la forte envie qui leur déchirent le cœur. Qu’avez-vous à dire à ce propos ?
CK: Je ne dirais pas qu’ils sont couverts de scrupules, mais plutôt frileux. Ces immigrants n’ignorent pas dans quelle condition vivent leur famille et amis restés au pays : précarité ou pénurie de travail pour la plupart, système de santé inexistant, difficultés d’accès à l’eau et l’électricité… Etant donc conscients de ce à quoi ils devront faire face, ils préfèrent donc s’armer en vue du retour au pays. Et puis il faut aussi dire que nombreux d’entre ces migrants ne sont pas encouragés à rentrer par leurs proches, au vu du soutien financier qu’ils apportent et que ceux sur place craignent de perdre au moment de leur retour.
BL : Retour triomphale au Mboa est le fruit de l’imaginaire ou du réel ?
CK: C’est un mélange des deux, mais beaucoup plus d’imaginaire.
BL : Malgré dix-sept bonnes années passées loin du Mboa, sa terre natale, Solange n’est pas parvenue à oublier sa déception amoureuse avec Cédric. Elle décide de rentrer pour laver cet affront et rechercher une stabilité sentimentale. Les premières amours ne s’oublient jamais, dit-on. A considérer le cas de Solange, les premières déceptions amoureuses sont alors plus nuisibles et plus préjudiciables, en dépit de toutes les romances que peuvent renfermer ces relations ?
CK: Les premières amours sont plus difficiles à oublier, dans la mesure où elles naissent à un moment où nous sommes encore en pleine formation de notre soi. Le travail pour tourner la page est donc plus compliqué et demande plus d’effort, mais là, je parle pour Solange (rires).
BL : Cham vient rendre l’intrigue plus intéressante avec son ardent désir de conquérir le cœur meurtri de Solange. Un triangle isocèle se forme au milieu de l’histoire, car les deux rivaux ont les chances égales pour toucher le sommet principal qui est Solange. Cédric qui veut revenir et Cham qui ne veut pas abdiquer. Solange elle-même partagée, troublée et ne sait qui choisir. Elle met les deux hommes sur le même pied d’égalité, d’où le scepticisme qui devient pesant. Finalement, doit-on penser qu’il est si difficile pour une jeune femme de faire confiance à un homme, ou mieux encore, de croire ses prétendants sur parole parce que ne sachant qui d’entre eux dit la vérité et est vraiment sincère ?
CK: Le triangle isocèle (j’aime bien l’image) s’il existe, est très éphémère. Effectivement, à cause d’un moment de faiblesse, Solange laisse penser que le deuil de son premier amour n’est toujours pas achevé, mais au fond ce n’est pas le cas. Il est difficile de faire confiance quand cette confiance a été abusée une fois, et ce, qu’on soit un homme ou une femme.
BL : Un adage du terroir béninois dit « la guerre qu’on a pu vaincre, il faut craindre son retour qui sera certainement fatal ». Le lecteur se demande si Solange aurait eu tort en laissant une deuxième chance à Cédric qui regrette vraiment son acte dans le passé, et qu’elle continue d’aimer d’ailleurs. Pourriez-vous nous dire quelque chose à cet effet ?
CK: Je garde le proverbe dans ma liste (rires). Il y a en effet à craindre que Solange retombe entre les filets de Cédric car il revient dans sa vie à une période où elle est très vulnérable. Pour autant, je pense qu’il est clair pour tous les lecteurs que Solange a fait le bon choix en refusant cette deuxième chance qui d’ailleurs n’en était pas vraiment une.
BL : Dans un cas beaucoup plus pratique, pensez-vous qu’un ex qui désire revenir et corriger ses erreurs est forcément un être à craindre ? Malgré ses regrets et ses remords qui sont authentiques.
CK: Oh oui ! les ex sont à craindre. Même si j’ai envie de nuancer mon propos en disant que ça dépend de la gravité de l’erreur.
BL : Si vous devriez résumer Retour triomphal au Mboa, que diriez-vous ?
CK: Je dirais que c’est une romance africaine contemporaine, afro-optimiste, qui redonne espoir quant au retour au pays.
BL : Quel accueil le public a-t-il réservé à votre livre ? Avez-vous eu des retours ? Des critiques ?
CK: J’ai eu de très bons retours. Le livre avait déjà été bien accueilli lors de sa première publication sur la plateforme Muswada et ma page Facebook. Certains lecteurs ont trouvé que c’était très court, et que l’histoire aurait pu être développée en deux tomes.
BL : A quoi le lectorat doit-il s’attendre après Retour triomphal au Mboa ? Voudrez-vous bien partager votre projet d’écriture avec lui ?
CK: J’ai un prochain livre qui sera édité d’ici la fin du mois de juin et deux autres livres en cours de correction dont la sortie est programmée pour la fin de l’année, si tout va bien.
BL : Ya t-il des plumes féminines qui vous inspirent dans votre projet d’écriture ?
CK: Bien sûr, Chimamanda Ngozi Adichie et Fatou Diome pour les plus célèbres, et Leila Marmelade, une jeune écrivaine gabonaise.
BL : Beaucoup pensent que les femmes sont toujours marginalisées dans la société d’aujourd’hui. Ces dernières ont pour arme le ‘’féminisme’’ pour faire entendre raison aux hommes sexistes. Quelle est votre définition du mot ‘’féminisme’’ ?
CK: Pour moi le féminisme, est une idéologie, un ensemble de mouvements qui a pour but de remettre les hommes et les femmes sur le même pied d’égalité, de leur donner les mêmes droits. Et j’ajouterais que le féminisme n’est pas qu’une affaire de femmes, il concerne aussi les hommes qui souhaitent un monde juste et équitable pour tous. J’aime bien citer en exemple Thomas Sankara, qui était un modèle de féministe dont beaucoup devraient s’inspirer.
BL : Retour triomphal a été le résultat de l’autoédition. Pourquoi ce choix ?
CK: Les maisons d’édition africaines éditant des romances sont extrêmement rares. Ce style est encore trop souvent marginalisé.
L’autoédition a de formidable le fait de pouvoir mener son projet d’écriture en toute indépendance de A à Z. C’est donc naturellement que je m’y suis tournée.
BL : Maints jeunes ont de difficultés aujourd’hui pour éditer leur manuscrit. Comment percevez-vous le processus éditorial africain ? Avez-vous de solutions à proposer pour son amélioration ?
CK: Les maisons d’édition sont exigeantes, ont une ligne éditoriale bien précise et très souvent ne prennent pas de risque quand le manuscrit proposé ne cadre pas avec leur domaine. Dans le cas de l’Afrique, c’est encore plus complexe parce que les coûts de production des livres en papier varient en fonction des pays et que l’achat en version numérique reste compliqué.
Une solution serait peut-être d’uniformiser les coûts de production à minima dans les pays membre d’une même zone monétaire, et créer des plateformes pour livres numériques facilement utilisables pour ceux qui ne possèdent pas de carte prépayée (payable avec mobile money par exemple).
BL : Retour triomphal au Mboa est une autoédition. Qu’est-ce qui vous a conduite à cette option quand on sait que les maisons d’édition ne manquent pas? Quelles conclusions en tirez-vous pour l’avenir ?
CK: Comme je l’ai expliqué précédemment, l’autoédition offre une liberté qu’on ne trouve pas en maison d’édition. De plus, les maisons d’édition publiant des romances sont très rares. Toutefois, je tenterais bien une aventure en maison d’édition.
BL: A quoi devons-nous nous attendre après ce premier roman?
CK: Je compte publier trois autres livres pour la fin de l’année. Ce sont tous des romances africaines. Ce style est encore malheureusement peu mis en avant, alors qu’il y a une vraie demande sur le continent et dans la diaspora.
D’autres projets d’écriture trottent également dans ma tête (ça ne s’arrête jamais, rires).
BL : Votre mot de la fin
CK: Je vous remercie pour cet échange autour de mon livre qui m’a permis de partager ma vision et j’espère vous retrouver prochainement autour d’une biscotte littéraire.