Les Satires
C’est aberrant que nos jeunes soient en manque ou à court de repères aujourd’hui, malgré la pléiade d’émissions et interventions télévisées, radiophoniques ou instructives qu’ils peuvent recevoir. Pourtant, de maîtres il n’en manque pas. La littérature classique demeure cet héritage inépuisable – au double-sens de l’épuisement numéraire et physique- qu’il faille revisiter pour rebâtir notre jeunesse, la rééduquer.
Juvénal, comme son nom l’indique, est bien celui qu’il faut pour notre jeunesse en perte de vitesse. Son nom en effet, rime bien avec la jeunesse dont il est un moniteur indéniable tant comme rhéteur que comme satiriste. La satire est un genre littéraire qui met à l’index les maux de la société avec la verve de la langue sans perdre salive. Plusieurs en ont écrit, mais le ‘capolavoro’ revient à cet auteur que je ne présente plus.
Malgré l’avènement du Christ à l’Orient, la Rome de la seconde moitié du Ier siècle s’est faite baptisée d’immondices morales sans précédent. J’aime bien cette expression de l’internaute qui écrit : « Selon lui, la Rome impériale s’est en effet transformée en une ville gigantesque, monstrueuse scène de théâtre remplie de bouffons qui s’ignorent et d’aigrefins, un lupanar. »[1] L’adultère, l’homosexualité et les orgies avaient voix au forum.
C’était exactement ce que vit drastiquement le monde européen de ce siècle : on dirait des siècles jumeaux. Le rhéteur assez affûté s’insurge et s’érige contre ces déviations morales et finit par s’époustoufler : « Difficile est saturam non scribere. » [2] Une voix singulière certes, mais une voix qui tracera la voie à la reprise de conscience et à la moralisation de la vie publique. Qu’il me soit toute souvenance ici cette belle émission sur la moralisation de la vie publique sur notre chaîne de télévision ORTB qui enseignait l’art de savoir vivre et de se comporter en société. Si le rapport à l’autre est un paramètre à considérer pour juguler une crise humaine et sociologique frontale parce que mentale, il est aussi vrai de redimensionner l’individu et de le paramétrer dans son être : sans exagérer je pourrais dire réinventer l’homme nouveau qu’il faut pour les nouveaux défis. Mais nous ne retournerons point au jardin d’Eden devant Dieu pour lui redonner les truelles façonneuses, mais le « vir novus » devra être un concept prépondérant pour les bâtisseurs d’avenir.
Juvénal est un homme de haute et vaste culture qui a voyagé aussi en Afrique, en Egypte et aborde sans ambages les mœurs déviantes de notre cher continent, quoiqu’il ne doive être revêtu de cette blancheur que toisait son âge avancé. « Horrida sane Aegyptos, sed luxuria, quantum ipse notavi, barbara famoso non cedit turba Canopo »[3] écrivait le satiriste désabusé et consterné. C’est comprendre qu’au-delà de l’anthropophagie ambiante, existait déjà une grave luxure viscérale dans la société africaine.
Peut-on encore laisser sa voiture dehors aujourd’hui sans verroux ? Peut-on encore laisser sa femme et partir en voyage le cœur tranquille ? Peut-on encore visiter un ami et vouloir passer la nuit chez lui sans préjugés ? Ce sont là les vraies interrogations de notre société moribonde à l’haleine nauséabonde.
La lecture des satires de Juvénal devra être un exercice littéraire qui nous emploie à la redécouverte de notre société et de ses tares afin de revenir à l’éthique. Plus qu’un exercice littéraire, il est une véritable pratique formative qui nous aide à redresser l’homme. Subrepticement par une ruse fantassine, le mot « morale » disparaît peu à peu au profit de celui d’éthique. Je m’en réjouis encore, car il ne s’agit que d’un retournement conceptuel du latin au grec. Mais d’aucuns préfèrent encore parler de sensibilisation, et avec regret aucun sens n’est touché. Le littéraire n’est point un moraliste, mais plutôt un humaniste dont l’objet d’étude est l’homme, et non le livre.
Je voudrais bien entendre comment les jeunes récitent le Confiteor à la messe : « Je reconnais que derrière mes frères, j’ai péché sans penser, en paroles, par action et sans omission… » Voilà malheureusement la vraie réalité qui échappe à notre conscience et échoit de notre bouche.
Que notre jeunesse s’instruise et se forme au creuset de ces Satires juvénaliennes pour un essor encore juvénile. Serions-nous toujours auditeurs sans nous faire lecteurs : « Semper ego auditor tantum ? »[4]
Père Paulin Gacli, Rome
[1] Cf Juvénal sur Wikipédia.
[2] Satura I, 30.
[3] Satura XV, 44- 45.
[4] Satura I, 1.