Introduction

Il est de ces romans qui, rien qu’à leur titre, captivent le lecteur et l’excitent à en découvrir le contenu sans tarder. C’est le cas du roman « Lettre à Dieu », de Robert Asdé. Ce livre de 151, paru aux Editions Savane en 2016, met en relief les tares de la société, surtout celles de l’univers estudiantin chez nous. L’auteur s’y emploie en se servant d’une série de lettres que, par son personnage principal, il adresse à Dieu. Quelle folie ! Adresser des lettres à Dieu ! A-t-il une boîte postale ? « Lettre à Dieu » est le deuxième livre de l’auteur après la pièce de théâtre Tu es trop belle pour mourir qu’il a publiée en 2015. Allons à la découverte de ce livre qui ne saurait laisser aucun lecteur indifférent.

I-Résumé

Après son échec aux examens de passage en année supérieure, l’étudiant Homevo déconcerté, s’évanouit. Comment pouvait-on le déclaré inadmissible en arguant qu’il était défaillant dans sept matières sur les huit qu’il avait pourtant composées ? Comme dans un songe, il écrit une lettre à Dieu. Dans cette lettre, il dénonce les injustices de ce monde. Il montre que seul l’homme est à la base de tous les maux du monde excepté les phénomènes naturels. Il pose mille et une questions et parle de la vie et la mort, la richesse et la pauvreté, le bien et le mal, l’amour et la haine, l’éducation, la sexualité et de plusieurs autres sujets avec pour preuves et arguments des faits et des récits reflétant plus ou moins nos vécus quotidiens. Dieu lui répond de temps en temps par téléphone fixe. Curieux n’est-ce pas ? Et quelles réponses Dieu lui a données ! Découvrez-les par vous-même. Elles sont exceptionnelles et époustouflantes. Il doit avoir de l’humour et du répondant, ce Dieu !

II-Etude des personnages

Homevo : C’est lui qui écrit la lettre à Dieu

Dieu : Il répond à Homevo en l’appelant de temps à temps

Amour Trésor : Camarade d’amphi de Homevo

Le vieux Koutchika : Décédé à 45 ans, il est apparu dans un songe à Homevo. Il lui raconta comment il en est arrivé à mourir plus tôt que prévu.

Glato : Mari de Hindowa

Hindowa : Femme de Glato, elle complota avec son amant pour assassiner son époux.

Sindonou : Amant de Hindowa

Yèyinou : Femme âgée de quarante ans déviergée par un prêtre dans sa jeunesse et devenue nymphomane par la suite

Ganhounzo : Curé de la paroisse de Yèyinou

Sègbédji : Vieil homme sage de plus de 100 ans, connaissance de Homevo

III-Etude des thèmes

La méchanceté de l’homme : C’est le thème principal du livre. Elle est montrée dans ce roman à travers la façon dont la famille et les amis de Koutchika se sont comportés à sa mort. Toutes sortes d’actes commis par les humains sont mentionnées dans ce roman (viol, meurtre, vol, violence, guerre, exploitation des enfants) :

« Merde ! Je ne suis pas d’accord avec toi, Père. Tu n’as pas à interrompre la conversation de cette façon. C’est moi qui charge la batterie de mon portable, pas toi. J’avais des questions très importantes à te poser. Oh ! Que tu as créé une terre où l’homme est un loup pour l’homme. Tu as créé une terre où certains sont plus puissants et plus riches que d’autres. Tu as créé une terre de jungle, où les pauvres ont tort. Pour toi, tout ce qui se passe sur la terre est déjà justice. Pour toi, ceux qui meurent dans les guerres folles, ceux qui sont victimes de braquage, de vols, de viols le méritent. Pour toi, dans les atrocités, horreurs et souffrances de la terre, se trouve la justice. Les victimes de ces catastrophes et de la méchanceté gratuite sont les coupables de quelque faute ou crime d’hier. Pour toi, pas d’innocents sur terre si je comprends bien. Comment peut-on admettre cela, Père ? » p.76

-Les faux mouvements religieux (sectes) : En effet, le vieux Koutchika appartenait à une secte. Ce qui faisait de lui un homme immensément riche. Les concernés profitent de l’ignorance de la population pour les spolier

-Les sacrifices humains : Trois bandits font des sacrifices humains à un fétiche buveur de sang.

-La politique : Elle est dénoncée ici avec les vices qui rongent à petits coups les pays africains. « Mon ami, dis à tes pairs du monde de la matière et de chimère, d’arrêter le mal, dis-leur de cesser les guerres, les violences, les complots, la fraude, la corruption », p.60.

-La vie après la mort : Dans ce roman, on parle aussi de l’existence d’une vie après la mort où l’on récolte tout ce que l’on a semé sur terre. C’est ce qui se constate chez Koutchika et Ségbédji.

-L’amour de l’argent: C’est à cause de son obsession pour l’argent que Koutchika en est arrivé à souffrir pour toujours.

– L’église de nos jours : Il s’agit de la dominance de l’argent dans ce lieu saint et de certains faux prophètes ou faux pasteurs qui ne pensent qu’à leurs intérêts et escroquent les fidèles stupides et avides de miracles.

-Détournement de mineure et sacrilège : En effet, le prêtre Ganhounzo a couché avec Yèyinou alors qu’elle n’était encore qu’une mineure (16 ans).

IV-Point de vue personnel

« Lettre à Dieu » est un livre dont la lecture provoque chez le lecteur diverses émotions (tristesse, crainte, surprise, joie etc…). A travers les récits du narrateur et les plaintes qu’il adresse à Dieu, on constate que c’est l’auteur lui-même qui interpelle chacun d’entre nous et nous invite à prendre conscience de l’abime dans lequel s’engouffre l’humanité à cause de nos actes. C’est à mon avis un appel à l’amour du prochain, à l’honnêteté, à la tolérance et à tout ce qui peut être vertu ou valeur morale. Le personnage qui a le plus attiré mon attention est la mère de Yèyinou. C’est elle qui a encouragé sa fille Yèyinou à entretenir une relation amoureuse avec le prêtre Ganhounzo. En effet, elle avait tout manigancé depuis le début et ceci en accord avec le prêtre. Robert Asdé montrerait à travers ce personnage que certaines personnes avides des richesses conduisent leurs enfants sur de mauvais chemins et les plongent dans le malheur profondément dans l’abime à cause de leur cupidité sans limites:« S’il (le prête) ne m’avait pas déviergée très tôt, je n’aurais pas tôt découvert le sexe », pp. 88-89. Et maintenant que le mal est fait, les conséquences sont grandes et graves :

« Fofo, j’ai couché avec tous les hommes de mon quartier, et, avant que je n’abandonne les classes, il n’y eut pas cet enseignant avec qui je n’aie pas couché. Pour bien jouir d’une telle vie que je menais, et pour que ma conscience se taise à jamais, je fumais la cigarette, je prenais de la drogue et de l’alcool. Maintenant j’ai quarante ans. Je vois la force et la beauté m’abandonner. Tout me quitte, le charme, la bonne humeur et la joie de vivre.  Même mon vagin a perdu de son élasticité, à force d’être trop sollicité. Je suis devenue inutile dans le monde des vivants, plus d’espoir et d’espérance pour moi. Que faut-il faire ? » p.88.

Le comportement passe mal, puisqu’avec des regrets, la seule chose qui reste, est la vengeance. Elle prend donc une décision radicale :

« Il faut que j’aille m’en remettre à la divinité la plus redoutable qui soit ; il faut que je pactise avec elle, il faut qu’elle me donne la force du mal, pour que je me venge de ce délinquant de prêtre qui a foutu ma vie en l’air, par la puissance de son phallus. Il faut que je le détruise lui aussi, par la puissance du nuisible d’un gris-gris au charme redoutable. Fofo, je dois me venger de lui. Il faut qu’il serve de leçon aux immoraux sexuels du même acabit », P.88.

Par ailleurs, l’auteur a également abordé dans le roman le concept de l’inhumation en Afrique. Nous savons bien qu’en Afrique les inhumations se font de façon extraordinaire avec toutes les dépenses qui l’accompagnent. C’est l’occasion rêvée de se parer et de fêter comme jamais on ne l’avait fait. Une telle pratique handicape le développement de nos pays. A la fin on se demande dans quel but toutes ces dépenses ont été engagées : pour le cadavre qu’on a peut-être affamé et méprisé de son vivant, ou pour les intérêts inavoués des vivants qui font des défunts un fond de commerce ? Cette partie du roman est mon coup de cœur. L’auteur en a fait une description détaillée sans oublier d’y ajouter une touche d’humour que j’ai adorée :

« On inhumera donc le cadavre tout seul, sans autre forme de procès. On retournera à la maison. On sèchera les larmes. On se calmera. On se consolera mutuellement. On retrouvera subitement les esprits. On mangera. On boira. On dansera. On fêtera. On célébrera la mort. Et ceci, pendant des jours, des semaines, voire des mois. C’est culturel, dira-t-on. C’est normal donc ! Père, les humains ne savent pas dépenser pour l’un de leurs malades, mais ils savent l’aimer et l’honorer quand il meurt. Ils savent gaspiller des ressources financières, épuiser les réserves de vivres pour des cérémonies de réjouissance insensées. Et pourtant, nous sommes sur un continent mondialement reconnu comme hyper sous-développé. En vérité, toutes dépenses engendrées pour le compte du défunt sont dans l’intérêt des vivants. Tout est fait pour leur honneur, leur plaisir et leur bonheur. Sous le fallacieux prétexte qu’ils doivent rendre un dernier hommage au disparu, ils organisent de grandes ripailles. Ils font tout pour leur plaisir au nom du mort, comme ils se réunissent dans les lieux de prières pour mentir gruger les fidèles en ton nom. (p.54-55)

Conclusion

« Lettre à Dieu » me rappelle le « Traité sur la Tolérance » écrit par Voltaire dans lequel celui-ci adresse une prière à Dieu. Dans ce livre, Voltaire appelle indirectement les uns et les autres à la tolérance et à l’amour du prochain. Ecrire une lettre à Dieu pour y critiquer les méfaits de ce monde,  dénoncer ses injustices et appeler à faire le bien nécessite une grande estime de soi et du courage. Ce n’est pas évident de l’envisager et encore moins d’y arriver. Je pense que c’est ce qui fait de « Lettre à Dieu« , un roman unique en son genre.

Quelques citations tirées du livre.

-Dès qu’on meurt, on devient ami choyé des vivants. Il en est toujours ainsi, parce que, une fois qu’on s’éteint, on ne constitue plus un danger pour les autres. On ne pourra plus piétiner leurs intérêts. P 52

-Père, les humains ne savent pas dépenser pour l’un de leurs malades, mais ils savent l’aimer et l’honorer quand il meurt. P 54

–Avec l’évolution du monde, l’esprit humain devrait normalement évoluer, il devrait se purifier de la corruption, il devrait transcender le mal, se renouveler et se bonifier. Mais, hélas ! Rien n’y fit. Et, de jour en jour, de siècle en siècle, et de millénaire en millénaire, cela va de mal en pis. L’esprit humain se dégrade, se détériore, se vide de toutes ses vertus, faisant ainsi courir l’humanité à sa perte.

-La flore, la faune, la nature sont les seuls éléments qui respectent encore la terre. Mais l’homme ? Il a juré de conduire l’humanité au chaos, par sa gourmandise, sa mégalomanie, son hégémonie et sa soif de tout dominer. Etre riche, puissant et avoir tous les honneurs et toutes les gloires, voilà son leitmotiv. Et voilà, hélas, ce qui fait sombrer l’humanité. P. 39

-Les hommes, une fois au pouvoir, s’y accrochent, tels des chauves-souris s’agrippant aux mangues mûres. Ils viennent au pouvoir, à la tête des hommes, et refusent de descendre. Ils veulent y égrener toutes leurs années, jusqu’à la fin de leur dernier souffle. P 64.

Syvanone METINHOUE , élève en classe de terminale au Collège Catholique Saint Michel de Cotonou. Elle vient de décrocher son Bac.

  1. C’est triste mais c’est la vérité. L’humain est prêt à mettre tout son argent à ta mort quand, pendant la maladie il disait ne rien avoir.
    Bravo à l’auteur et surtout au blog.