« Maïmouna », Abdoulaye Sadji.
« La grande vaincue de la vie », c’est ainsi qu’Abdoulaye Sadji définit lui-même son héroïne, la jeune Maïmouna Tall. A travers ce livre, qui porte le titre de son héroïne, nous assistons à sa montée au firmament de la société, puis à sa chute brutale. Ce classique de la littérature africaine est une sévère et pessimiste mise en garde de l’auteur à la jeunesse du continent : il ne faut pas sortir de son monde, il ne faut pas vouloir échapper à son milieu, il ne faut pas se griser par rêves et mirages : Sadji se fait didactique à certains moments, intervenant personnellement dans le récit ou faisant « philosopher » ses personnages.
Née à Louga, dans un petit village du Sénégal, Maïmouna est décrite comme une petite fille sans « caractère défini » et innocente comme bien d’enfants de son âge. Elle n’avait pas de souci à se faire, en tout cas pas à cet âge. Yaye Daro, sa mère était aux petits soins. Enfant, elle voulait ressembler à sa mère, tellement elle trouvait en elle, une femme accomplie : « Moi, en tout cas, mère, je veux te ressembler toujours, toujours… » P. 33. Elle y grandissait entourée de l’affection des siens. Un discours d’enfant qui a très vite changé à cause de la lettre envoyée par sa soeur depuis la ville: « désormais il existait, entre la mère et la fille, un voile de pudeur empêchant celle-là de trop pénétrer les pensées secrètes de celle-ci » p. 41. Maïmouna dans le secret de ses pensées nourrissait l’envie de rejoindre sa soeur Rihanna à Dakar. Malgré les supplications de sa mère, elle donna vie à ses pensées. Sous l’impulsion venue du dehors, de Rihanna, qui harcèle leur mère pour quelle lui permette de parfaire à Dakar la formation de Maïmouna, cette dernière, rêve dune autre vie et jette sur son milieu un regard nouveau et critique. Elle ne veut plus être « une fille de brousse stupide sans beauté et sans avenir » p.45. Elle prétend vouloir acquérir, à Dakar, « l’éducation qu’il faut à une femme » p.48. En vérité, elle aspire à une autre vie. Les demandes et arguments renouvelés de sa soeur Rihanna auront abouti à lui faire prendre conscience des conditions de vie de sa famille. C’est pendant sa maladie quelle découvre cette triste réalité dont elle voudra à tout prix s’évader : « Maïmouna se rendit compte, pour la première fois, que cette case où elle avait toujours vécu était bien sordide, que la paille du toit était trop noire, la charpente trop vieille. Cette découverte la révolta. », p.55. Une vraie excuse mais injuste contre cette dame qui s’est toujours échinée pour elle. C’est ainsi quelle abandonna sa mère pour rejoindre sa soeur à Dakar, ville lumière. C’était le début de sa « gloire ». Elle était célébrée de tous les côtés à cause de sa beauté et les hommes ne pouvaient s’empêcher de saliver à sa vue, comme un bon plat de « riz ». Tout le monde voulait y goûter, les hommes bien sûr, même si les femmes reconnaissaient que le bon Dieu l’avait bien façonnée. La beauté est relative, mais il a des beautés imposantes, et celle de Maïmouna faisant partie de la dernière catégorie. Elle était une « étoile brillante dont l’éclat noyait la lueur pâle des beautés de son milieu » P.121, ce qui lui a valu un bel surnom « L’étoile de Dakar ».
Elle était vénérée et honorée par de nombreux prétendants mais « les sentiments d’une fille noire sont complexes, et son coeur aussi profond et ténébreux qu’un puits Diolof ».
Comme une fille noire, Maïmouna resta de marbre devant tous ces prétendants. Son coeur battait pour un inconnu, Doudou Diouf, dont elle fit la connaissance grâce à Yacine, la gouvernante qui a trouvé dans ce rapprochement une façon de prendre sa revanche sur Maïmouna non seulement belle mais qui lui a volé sa place auprès de Rihanna, la maîtresse de maison. Maïmouna heureuse d’avoir trouvé son amour ne s’est pas contentée d’offrir son coeur à Doudou mais également son corps à l’insu de Galaye Kane, son fiancé, qui avait trouvé grâce devant Rihanna et son mari Bounama.
Elle venait de trahir son fiancé et portait en son sein le fruit de son acte. Congédié par sa soeur, Doudou en a profité pour rompre le contrat amoureux avec cette dernière.
Après son aventure dakaroise, Maïmouna revient à Louga où elle reprend aux côtés de sa mère sa place de petite marchande : « Avec la fuite des jours son existence passée s’en allait, s’évanouissait, enveloppée dans un nuage aux contours imprécis. Il lui semblait maintenant que ce passé n’avait jamais été qu’un rêve ». p. 250. Mais ce ne sera pas qu’un rêve pour Maïmouna que la maladie a défigurée : la dernière image du livre le prouve où Diabèle Gueye ne reconnait pas la jeune fille, comme si, semble dire l’auteur, rien n’était jamais gratuit. « Diabèle ! Diabèle Guèye ! L’homme se retourne, intrigué par cet appel qui partait d’on ne savait où.
– Diabèle! Diabèle Guèye ! C’est moi Maïmouna Tall.
L’homme eut du mal à la reconnaître. Et quand il l’eut reconnue, il mit ses doigts devant ses lèvres et prononça : « Tièye Yalla » (expression d’étonnement)…Puis, il s’en alla tristement en secouant la tête. » P. 251
Sa mère lui rappela ces terribles propos avec une ironie à peine voilée pour lui montrer que parfois, même en étant vieilles, ces personnes ont toujours raison face à l’agitation d’une jeunesse trop pressée pour découvrir la vie : « Ah ! te voilà bien propre, ma fille ! Pleure donc, crève-toi les yeux. Ce qui arrive était fatal. Je le prévoyais. Mais nous ne sommes que des vieilles cervelles, n’est-ce pas ?…des femmes à ne pas écouter ?…des gens d’un autre monde qui ne comprennent rien à la vie moderne ! Oh ! elle est belle, la vie moderne ! E bien, moi je te dis que pareille chose ne serait jamais admise autrefois. Jamais ! …Tu as tout donné à ton Doudou, à celui qui ne te trahirait jamais…Tout donné : ta jeunesse, ton honneur, notre honneur, ta santé, et il t’achève par ce coup de grâce…Oui, tu as préféré ce voyou, cet imposteur à Galaye Kane, âme noble, homme chevaleresque. Je suis sûre que Galaye, que je ne connais pourtant pas, n’aurait jamais agi de la sorte. Il t’a laissé la porte ouverte, malgré ta lourde faute. Tu as préféré t’aveugler sur l’amour et la fidélité d’un mécréant, d’un buveur d’alcool, qui renie sa tradition et préfère se marier à une « gourmette »…Je t’ai mise en garde et tu m’as, par ton attitude, persuadé mon erreur de vieille folle. Mais d’ores et déjà, tu peux consacrer la vérité d’un proverbe ouolof qui dit : « La parole des vieux peut rester tard dans la forêt, mais elle n’y passe pas la nuit » p. 248
« Maïmouna » est un roman africain qui s’inscrit dans la deuxième période de la littérature africaine d’expression française qui va de la seconde guerre mondiale aux années 1950, où il était question de l’identité culturelle. Abdoulaye Sadji, à travers son roman n’a pas manqué d’insister sur le qualificatif « noir », qui revenait souvent pour marquer la différence avec l’Occident.
En bon africain, il fallait défendre sa culture en faisant ressortir toutes ces richesses et fait taire tous ceux qui affirmaient que l’Afrique n’avait pas d’histoire. L’Africain colonisé et ayant désormais accès à l’écriture, l’utilise pour mettre l’accent sur sa culture et son histoire longtemps restées cachées dans l’oralité. Un bel contraste !
« Maïmouna » bien que s’inscrivant dans ce registre reste un roman d’actualité. Abdoulaye Sadji comme un bon psychologue nous fait revivre les tourments de l’adolescence et les regrets quand cette période de la vie n’est pas canalisée.
Il faut reconnaître comme Harmonie BYLL CATARYA dans « Art-Mots-Nid coup d’éclat ! » p. 93 que « L’adolescence nous joue bien souvent de mauvais tours. Et à tort, la raison nous tourne en dérision face aux multiples farces de la vie. Ce n’est qu’aux jours des semences de la maturité, que l’on s’aperçoit de la fausseté de notre vision. » Maïmouna n’a pas échappé à ces « mauvais tours ». Elle s’est retrouvée seule, et c’était un retour à « la case de départ ». Avec Maïmouna le premier amour n’a pas été le dernier mais un souvenir amer dont elle a perdu le plus beau souvenir, le bébé.
Sadji, comme dans les romans de son époque, tel Sous orage de Seydou Badian, fait ressortir les petites querelles de génération, entre l’ancienne génération considérée comme celle des conservateurs et la nouvelle génération formée de « modernistes ». Un monde nouveau où le noir rejette sa culture au profit d’une autre, celle occidentale, comme Doudou. L’auteur n’a cessé de magnifier son Afrique à travers les griots qui content les histoires et les gloires passées et les marabouts qui prédisent l’avenir. Il n’a pas manqué de souligner la valeur des conseils des aînés qui voient toujours plus loin même assis. C’est un livre très intéressant qu’un bon africain ne doit manquer de lire, de relire. Une belle façon de revivre son enfance et son adolescence.
Alors je me permets de prescrire « Maïmouna » à toutes les adolescentes. Elles y trouveront de quoi calmer leurs ardeurs pour ne pas finir comme la petite Maï. C’est toujours bien de se noyer dans la lecture en cette période tumultueuse de la vie qu’est l’adolescence.
Faites un tour à la librairie, à la bibliothèque pour de meilleures vacances.
Léa Ovidio de SOUZA
Étudiante en 3è année de philosophie à l’ENS de Porto-Novo
Magnifique. Je redecouvre le texte avec vous.