Le patriotisme ne trouve pas son essence dans les propos creux de ces personnes qui prétendent avoir un amour fou pour leur patrie. Il se trouve dans l’action humaine, signe manifeste de cet amour à sa partie. Mais le patriotisme plonge ses racines dans la culture. C’est la culture d’un pays qui peut faire naître dans le cœur de ces hommes un amour viscéral pour sa protection. C’est ce qu’essaye de nous faire savoir El HADJ DEMBA SISSOKO dans son roman ‘’MEYA’’ (67p.) publié en 1983 aux éditions SILEX. Un roman qui met en avant le sens du patriotisme en reléguant au second plan l’amour-propre ou l’amour pour un être humain.

1- Résumé

La trame se déroule à Khasso, un ancien village de l’empire du Mali.(11 ème siècle). Mèya, fille de Diali-Moussa (le doyen des griots du village), est une jeune dotée d’une beauté hors du commun. Ses traits fins et uniques consacraient à sa personne une vénusté considérable. Au cours d’une cérémonie consacrée à la gloire du Roi Dioukha-Sambala, elle fait la connaissance de Séran Kanouté, un jeune batteur de tam-tam, originaire du village voisin et invité pour la circonstance. Très vite, le langage des cœurs a eu raison de celui des lèvres. L’attraction n’a été que l’instant d’un éclair. L’amour, cette passion irrésistible s’empare des deux cœurs. La nouvelle est portée à la connaissance de leurs parents et l’union s’est soldée par les liens du mariage. Les deux filent désormais le parfait amour. Après des mois, l’angoisse s’installe dans le ménage qui, depuis, n’a pas encore connu la joie d’accueillir un enfant. Progressivement, le destin noue à leur insu, leur futur qu’il attache au cou d’un sort odieux. Le village de Khasso est envahi par les talibés du conquérant El Hadj Omar Tall. Depuis bientôt un mois, Khasso essaie vainement de repousser l’envahisseur. Le jeune Séran qui n’avait aucun lien avec le village de Khasso sinon son cœur pris par la jeune Mèya, propose à cette dernière le chemin de l’exil. Une proposition qui reçoit un refus catégorique. Une vive dispute s’installe. Séran essaye de se justifier car pour lui « tout ce qu’il y a de plus sacré en la personne humaine, est sa vie. La liberté vient ensuite » p30. Mais il n’arrive pas à convaincre sa femme et obtient juste d’elle comme réponse « Quoi qu’il arrive, je resterai là où le devoir m’appelle, en l’occurrence à Médine, ma Patrie. Je ne trahirai jamais ce serment de fidélité ». p28. Séran prend la fuite, semant l’opprobre sur la famille de Diali-Moussa, le doyen des griots du village et conseiller du roi. Pour ne pas sombrer dans l’infamie et laver cet affront, Mèya constitue une brigade d’amazones (quarante filles volontaires) pour aider l’armée de Khasso. Blessée au front, elle se fait soigner par son cousin Aliou qu’elle épousera à la fin de la guerre soldée par la victoire de Khasso grâce au secours apporté par Faidherbe, car le village était sous protectorat des Blancs.

2- Structure

Le livre est divisé en quatre parties. Les trois premières sont consacrées à l’histoire de Mèya, le personnage éponyme. La dernière partie retrace les pratiques habituelles et les vécus quotidiens des habitants de Khasso.

3- Etude des thèmes

L’amour : L’amour apparait comme une thématique importante dans le déroulement du récit. Il s’empare des cœurs de Mèya et Séran d’une manière banale. Il a rendu vivante l’histoire en jouant sur le sort des deux personnages principaux du livre. Il leur montre ses deux faces, tout comme à la fin, il projette sa lumière dans les cœurs de Mèya et son cousin Aliou pour une autre histoire plus passionnante, sincère et heureuse.

Le Patriotisme : Grâce à l’amour pour sa patrie, Mèya refuse d’accompagner son mari, à qui elle doit pourtant obéissance et respect pour citer les vertus qui fondent un mariage et que doit incarner la jeune mariée. Toute la trame trouve son substrat dans ce thème que l’auteur a juste voulu valoriser. Entre l’amour pour sa patrie et l’amour pour son mari, Mèya choisit sa patrie. Une autre manière pour l’auteur de montrer qu’un pays sera toujours plus grand qu’un seul individu.

– La lâcheté : Par son manque de courage, Séran emprunte le chemin de l’exil. Un thème qui fait remarquer que dans une entreprise où une cohue humaine doit agir, il faut toujours douter de cette confiance et de cette détermination qui s’avèrent au départ commune et forte. Il suffit d’un soufflement d’un vent pour que se dispersent ces qualités a priori rassurantes.

– Le courage : Grâce à son courage, le peuple de Khasso a résisté à l’armée de El Hadj Omar pour le vaincre à la fin. Une manière de dire qu’il faut toujours croire en soi, en sa force propre, fût-elle minime.

Personnages

Mèya : Personnage principale du livre. Elle incarne la beauté. Cette beauté la conduira dans les bras de Séran. Mais elle est aussi l’image du courage, de la vaillance, car face à la farce odieuse que lui a jouée son mari, elle a fait preuve de patriotisme en montrant toutes les qualités qu’on pouvait douter de rencontrer chez une simple femme : des qualités d’homme.

– Séran : Un jeune homme célèbre pour son art, le tam-tam, qu’il savait jouer et manipuler à sa guise. Mais c’est un félin qui trahit tout un peuple au moment où le besoin était de conjuguer les efforts pour vaincre l’ennemie.

– Aliou : Un jeune vaillant et hardi. La victoire de Khasso sur l’armée de El Hadj Omar est due en partie à ce jeune homme aussi. Il avait cette manie d’incarner un talibé, de pénétrer l’armée de l’envahisseur, de mener leur vie et de recueillir les informations stratégiques des envahisseurs qu’il rapportait au roi de Khasso Dhouka-Sambala dans la discrétion la plus totale. Une qualité qui lui a valu la main de Mèya avec qui il eut cinq enfants.

– Dhouka-Sambala : Roi de Khasso, son courage lui a permis de repousser l’envahisseur en ne comptant d’abord que sur son armée uniquement avant que l’aide ne lui vienne après de la part des Blancs.

– Diali-Moussa : Père de Mèya, doyen des griots et conseiller du roi. Il incarne l’humilité et la sagesse. Il gardera sa dignité grâce à l’entreprise de sa fille après la fuite de son gendre.

4- Impressions personnelle

D’un style simple et clair, l’auteur a fait passer une histoire pour sauver de l’oubli le passé de tout un peuple, une histoire qui retrace les cultures, mœurs et us et la vie d’un peuple du 11ème siècle. Le présent historique est employé pour actualiser les évènements. Le souffle de l’oralité se fait sentir, ponctué par des adages et citations. Un effort louable de la part de l’auteur qui confirme vraiment que tout peuple a une histoire, et que l’histoire trouve son essence non pas dans le récit des événements passés, mais dans la capacité qu’a un peuple d’assumer ce passé pour en faire le limon fertile sur lequel, dans le temps présent, il sème les graines de l’avenir. Et si le passé est mieux cerné par le peuple, alors sa culture sera respectée pour laisser à la postérité une histoire intéressante et impressionnante. Avec des phrases simples, courtes où s’observent clairement la construction ternaire ‘’sujet-verbe-complément’’, l’auteur rend son histoire plus ou moins vivante. Toutefois, la dernière partie du livre est ennuyeuse à cause de l’abondance des thèmes et noms propres à la langue maternelle de l’auteur usités et la description un peu soporifique de cette fin du livre qui ne tient vraiment pas le lecteur en haleine et lui fait vivre des actions palpitantes comme il l’aurait souhaité. Dans cette dernière partie, l’auteur parle abondamment des pratiques et habitudes du Khasso, surtout la circoncision qui fait partie des pratiques essentielles de l’apanage culturel dudit village.

 

Conclusion

Mèya est une œuvre à allure historique, conçue pour garder présent le passé de tout un peuple. Le réalisme de l’auteur est de montrer le vrai sens du patriotisme qui n’est pas juste un mot qu’il faut marteler du bout des lèvres, mais un geste, une action. C’est un roman profondément africain, et c’est là tout son mérite.

 

RICARDO AKPO

 

Ricardo AKPO est étudiant en troisième année Histoire et Géographie  à Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo