Introduction

« Il n’est pas facile d’être prêtre » Ainsi lâché, on se retrouve comme en face d’une maxime que l’auteur établit comme irréfutable, vu le caractère péremptoire voire dogmatique que revêt le titre de l’œuvre que nous présentons ici. Vu sous cet angle, l’on pourrait, à la suite de Fabroni Bill YOCLOUNON, arguer que c’est difficile de démonter qu’il n’est pas facile d’être prêtre. Non que ce soit une sinécure, une gageure, encore moins une supercherie, mais simplement parce que parler du prêtre c’est parler de tout sauf du prêtre lui-même. Présenter aux lecteurs ce qu’ils savent d’expérience, c’est comme s’évertuer à mettre en exergue les yeux de la fourmi ou l’oreille du serpent. Le faire, c’est comme chercher à disséquer un corps simple qui, contrairement aux corps composés, ne saurait être décomposé ou fragmenté en d’autres menues molécules. Il n’est pas facile d’être prêtre parce que simplement c’est difficile de l’être, et le paradoxe, c’est qu’il est encore plus difficile de ne pas l’être ou de ne plus l’être pour l’avoir été. Que Fabroni Bill YOCLOUNON décide de parler d’un sujet aussi sensible que le fait qu’il n’est pas facile d’être prêtre, cela revient en définitive à lui demander ce qu’il en sait, vu qu’il n’est pas prêtre, et qu’il ne l’a jamais été, sûrement qu’il le sera demain, sait-on jamais, mais aujourd’hui, il ne l’est pas encore. On ne parle que de ce que l’on sait, de ce que l’on fait, et aussi de ce que l’on sait faire. Et me voilà en train de mander à Bill quelle expérience a servi de toile de fond à son œuvre.

Il n’est pas facile d’être prêtre, a-t-il écrit. Qu’il n’est pas facile d’être prêtre, il l’a évoqué dans son livre, sans l’avoir expérimenté. Il l’a fait de la manière la plus simple possible, sans grandiloquence, mais avec respect et circonspection, vénération et discrétion absolues comme s’il rentrait dans un temple, à pas feutrés pour en décorer ou orner l’autel sans troubler le sommeil de la déesse qu’on y révère. Il l’a fait avec un style aussi dépouillé que ce que devrait être le style, la vie  d’un prêtre.

Contexte d’émergence et intrigue

Fabroni Bill YOCLOUNON a écrit cette pièce théâtrale quand il était en classe de seconde. Mais ce n’est qu’en Août 2016 qu’il a pu la faire paraître aux Editions Nouveautés de Monsieur Hermann Y. KOUASSI. Au moment où l’auteur rédigeait ce manuscrit, il se préparait à faire son entrée dans l’arène des majeurs avec tout ce que cela comporte de fièvre et de trémoussements pubertaires. Il y met en scène un prêtre qui, à la veille de son ordination reçoit la gerbe d’amour d’une certaine Ruth, une Ruth certaine de ses sentiments aussi incertains et versatiles que la logique du Tolègba. Ma grand-mère disait que autant de fois la femme noue, dénoue et renoue son pagne, autant de fois son humeur et ses sentiments fluctuent, ondoient, tanguent et changent au cours du temps. L’auteur, dans la discrétion, mais avec tact, doigté et minutie, a su mettre en relief un fait de société qui passe inaperçu mais qui dénote de l’allure vertigineuse à laquelle nos sociétés se « désafricanisent » au profit d’une européanisation mal assurée qui les laisse malheureusement au seuil de l’apoplexie, sur la berge des désirs inassouvis, des processus non aboutis, des oxydations arrêtées au stades de la fermentation. C’est un peu la mésaventure de Samba Diallo qui au demeurant était devenu comme une chauve-souris : il n’était ni oiseau, ni animal, ni les deux à la fois. Ruth est de cette génération de jeunes nourries aux biberons de la mondialisation aux relents agressifs et très corrosifs qui les portent à croire que plus rien n’est sacré, et qu’une femme moderne -pas nécessairement mondaine, doit pouvoir oser, au nom d’un certain féminisme viril et musclé, un féminisme à peine voilé, mais qui se déguise en subterfuges mielleux pour conquérir ce que la nature leur refuse- une femme développée et civilisée doit oser prendre le contrôle de la situation si l’homme hésite ou tarde à réaliser ce qu’on lui propose sur un plateau d’or. Dans « Il n’est pas facile d’être prêtre », l’auteur semble insinuer que certaines femmes, aujourd’hui, sans fard ni exotisme, réussissent à briser la glace et faire la cour à un homme, avec une violence tellement douce ou une douceur tellement violente qu’elle défend à l’homme de rejeter les avances qu’elle lui fait. Si Ruth a jeté son dévolu sur Juste, et que ce dernier s’en est trouvé troublé, c’est justement parce que Ruth a trouvé sur quelle corde sensible jouer afin que Juste devienne la caisse de résonance de ses désirs, passions et fantasmes. En témoigne cette séquence :

 

            «  Ruth : (…)

               Cher Abbé ! Il faut que vous le sachiez :

                “ Vous êtes l’ange, l’idole immortelle

                Qui remplit mon cœur de clarté.

                Vous vous répandez dans ma vie

                Comme un air imprégné de sel

                Et dans mon âme inassouvie

                Vous versez le goût de l’éternel.

                Vous êtes l’ambre toujours frais qui parfume

                L’atmosphère d’un cher réduit,

                Vous êtes un encensoir oublié qui fume

                En secret à travers mes nuits.

                Comment exprimer cet amour incorruptible avec vérité ?

                Grain de muse qui git invisible au fond de mon éternité !

                Cher Abbé, je désire votre cœur

                Même s’il est brûlant je peux le garder.

                Entre mes mains d’un courage gradées

                Ou encore le contenir dans mon cœur  (silence). Je vous laisse réfléchir.

               Je suis prête à tout pour vous         (silence). (P. 28-30)

          

Que les parents de Ruth s’en mêlent et que Serge, l’ami de Juste prouve à ce dernier que c’est possible de sortir avec une femme, et que d’ailleurs il ne serait pas le premier à le faire, cela prouve que le vrai et l’ivraie se disputent la gestion de la conscience humaine, propulsant le sort de l’homme vers le gouffre de la désarticulation où les repères et les fondamentaux sont sapés. La conscience de Juste est tiraillée entre résistance et relâchement. Le mensonge et la tricherie qui revêtent le masque de la supercherie et de la cachotterie malsaine en ce siècle de réseaux sociaux plus efficaces que la CIA et le KGB, se cristallisent dans le livre de Fabroni Bill YOCLOUNON comme les deux lames où notre société se transperce l’âme et entonne l’éternelle hymne de ceux qui sachant leur mort imminente, saluent César : « Ave Cesa, morituri te salutant ». Ruth a pensé qu’avec sa bourse, elle pouvait s’acheter à son prix, au prix fixé par elle-même, le jeune inexpérimenté Juste. Ni chantage, ni argent n’ont pu lui donner ce qu’elle désirait de tout son cœur.

Juste a dû reconnaître avec Georges BERNANOS que : « Nous payons cher, très cher, la dignité surhumaine de notre vocation. Le ridicule est toujours si près du sublime. Et le monde, si indulgent d’ordinaire aux ridicules, hait le nôtre d’instinct » (Georges Bernanos, Journal d’un curé de campagne, Plon, Paris, 1974, P 91)

Implications

1- Réaffirmation d’un dogme infrangible

Le monde ne comprendra jamais le prêtre. Personne ne le comprendra. Il sera toujours un signe de contradiction pour les hommes. Tout le monde le prend exactement pour ce qu’il n’est pas. Même ses plus proches amis l’abandonnent parce qu’il n’a pu leur donner l’argent qu’ils lui demandaient. Bien plus, on lui donne la note suprême de profiteur et d’ingrat. C’est le lot du prêtre. Il subit sans pouvoir se rebiffer ni se dresser contre l’offenseur. Il intègre alors à sa vie cette vision certes fataliste de Mariama BA, mais assez expressive du lot commun de tous ceux qui, à l’instar du Serviteur Souffrant du livre d’Isaïe, subissent sans pouvoir ouvrir la bouche : « On ne prend pas de rendez-vous avec le destin. Le Destin empoigne qui il veut et quand il veut. Dans le sens de vos désirs il vous apporte la plénitude ; mais le plus souvent il déséquilibre et heurte : alors on subit. ».

2- Combat pour être soi-même

Fabroni Bill YOCLOUNON nous fait redécouvrir à frais nouveau, que le plus dur sera toujours l’audace d’être soi-même et non ce que les autres auraient voulu que nous fussions. Juste a suivi le droit chemin, mais au-delà de cet angélisme quasi pieux qui caractérise ses réponses aux tumultueuses et déconcertantes questions de la belle Ruth, il faut réaliser que la force du prêtre réside non dans la mémorisation des documents conciliaires ou autres formues stéréotypées héritées de l’ère écoulée, mais dans sa proximité avec celui qu’il est devenu : le Christ Prêtre. Les fuites en avant du Père Juste se transmueront en volonté virile de faire face à l’adversité dans l’acceptation de son être d’homme normal, fait pour aimer et être aimé. Fabroni Bill YOCLOUNON nous fait réaliser que le plus important dans la vie du prêtre c’est qu’il soit à sa tâche. Les femmes viendront toujours envahir le prêtre. A lui de savoir être lui-même. Et ce n’est pas la faute des femmes si elles tombent amoureuses de lui et lui déclarent ouvertement leur flamme, étant entendu que pour certains, l’amour comme « toutes les amitiés devraient commencer par un braquage » (Houénou KOWANOU, in  Le Colonel ZIBOTEY, LAHA Editions, Cotonou 2015, P21). L’amour n’avertit pas avant de vous rendre visite. Il vient comme aussi comme un voleur. Mais, au-delà des passions qui brûlaient Ruth, l’auteur crève un abcès; il met en lumière les diverses sollicitations que subit le prêtre, ses hésitations et ses déchirements intérieurs.

Conclusion

Cette pièce où à l’amour exclusif Juste préfère un amour fraternité et amitié, est en définitive une fresque de l’éternelle insatisfaction de l’homme qui en demande toujours davantage, se contentant difficilement de son quotidien. Entre « Les oiseaux se cachent pour mourir » et le « Crime du Père Amaro », en Juste, in « Il n’est pas facile d’être prêtre » transparaît la réalité selon laquelle « c’est possible de tenir ». Sans sombrer dans une misogynie qui serait inéluctablement synonyme de déséquilibre affectif, Fabroni Bill YOCLOUNON, dans son œuvre, invite le prêtre à ne pas oublier qui il est: père et frère de tous et de la femme aussi. De la même façon, il plaide pour que soit respecté le choix du prêtre. In medio stat virtus, la vertu, dit Aristote, réside dans le juste milieu.

 

Destin Mahulolo

  1. Oooooh que c’est émouvant ! ! !, oui ce message que passe l’auteur du livre pourrais bien aider à conscientisé et les jeunes filles ou dame qui veulent à tous prix briser la vocation des prêtres et les prêtres eux mêmes à se ressaisirent surtout apprendre à dire non aux avances faite par nos sœur. Merci

  2. On croirait à la lecture une nouvelle réecriture du livre. En effet, ce texte passionnant qui résume le livre, incite non seulement à la lecture de l’oeuvre, mais permet une vue plus approfondie du contenu. Vous avez une plume fascinante qui invite à la lecture, à la découverte et surtout attire les yeux. Pour une invite à la lecture, vous avez réussi

    • Merci à vous, La rayonnante pour votre intérêt à notre présentation. Nous espérons vous relire très prochainement

    • Merci de rayonner sur ce blog. une citation me vient à l’esprit : « Un livre a toujours deux auteurs : celui qui l’écrit et celui qui le lit » Jacques Salomé

  3. Merci pour ce compte rendu. J’aime tout autant le prêtre qui  »tient » que celui qui  »flanche » mais qui ose l’avouer et en payer le prix. J’aime l’humain simplement. C’est juste l’hypocrisie que j’ai en horreur. L’amour de Dieu ou d’un homme (donc d’une femme) ne sera jamais un péché. La duplicité, par contre, oui.

    • Merci Carmen Toudonou pour cette belle contribution. Tout est dit dans votre commentaire. Ce qui sauvera, c’est moins la duplicité et l’hypocrisie que l’humilité et la responsabilité. Le salut ne réside pas dans les fuites en avant comme c’est le cas avec Juste, mais dans l’assomption de ce qu’on est corps et sang, volonté et désir.