« La poésie est l’instrument que j’ai choisi pour exprimer ma pensée avec beaucoup de liberté. Elle me passionne, profondément, parce qu’elle se pose comme la manière privilégiée de dire l’indicible, de décrire l’indescriptible, de déchiffrer les symboles derrière le rideau des ombres bien mortes et de voir autrui tout en se ce projetant soi-même à travers le voile interdit des horizons infinis. J’aime aussi les différentes entrées éclectiques de la poésie et l’élitisme qui la caractérise. » Fidèles amis de Biscottes Littéraires, celui qui s’exprime ainsi, s’appelle  Nkul Beti. Et c’est lui que nous recevons pour vous dans le cadre de notre traditionnelle interview hebdomadaire.

BL : Nkul Beti, c’est un plaisir de vous accueillir sur notre blog. Veuillez vous présenter.

NK : Merci, le plaisir est partagé. Je me nomme Baltazar Atangana Noah, dit Nkul Beti, écrivain et critique littéraire camerounais. Actuellement en cycle de recherche au Département de Français de l’Université de Yaoundé I, chercheur-associé à l’Institut Mémoire de l’Édition Contemporaine (Caen) et à l’Institut des Textes et Manuscrits Modernes (Paris). Dans le cadre de mes recherches académiques, je m’intéresse aux archives écrites des littératures africaines francophones, aux bibliothèques personnelles d’auteurs et à la représentation des sexualités des groupes minoritaires dans le roman africain francophone contemporain. J’ai publié trois œuvres littéraires : Mixture (Edilivre, 2014), Aux Hommes de tout… (Ladoxa, 2016) et Comme un chapelet (Le lys bleu, 2019).

BL : Nkul Beti ; voilà un pseudonyme qui ne manque pas de rappeler l’illustre Mongo Beti. Liez-vous votre destin au sien ? Est-ce un hommage que vous lui rendez ? Pourquoi ce choix ? Dites-nous.

NK : Vos questions sont très intéressantes, certes très anodines en apparence, mais elles me permettent de lever quelques ambiguïtés autour de mon pseudonyme. Mongo Beti est un écrivain pour qui j’ai beaucoup d’estime. J’ai lu et étudié une grande partie de son immense production littéraire. Mais, je ne lie pas ma trajectoire — parler de destin c’est un peu exagéré — à la sienne. Il a, en son temps, tracé sa trajectoire qui est remarquable. Je suis, aujourd’hui, en train de tracer la mienne à ma manière. Certains critiques, pour ceux qui trouveront intéressant de mettre en dialogue nos productions — qui ne sont pas du même genre littéraire, jusqu’ici puisque mes productions littéraires sont essentiellement de la poésie — trouveront éventuellement quelques traits de convergences thématiques ou esthétiques. Toutefois, ce qu’il est important de garder à l’esprit et de faire ressortir dans toute démarche de mise en communication et/ou en symétrie entre deux écrivains, quand bien même ils n’appartiennent pas à la même génération, ou n’évoluent pas dans le même sociotope, est que chacun d’entre eux trace sa trajectoire à sa manière.

Je ne rends pas hommage à Mongo Beti à travers mon pseudonyme. Au départ, il s’agissait d’une simple fantaisie de jeune auteur. Au fil des années et de mon déploiement dans le champ littéraire africain francophone contemporain, j’ai commencé à traduire mon pseudonyme comme étant la force d’expression, à partir de moi, d’un groupe – a priori le groupe Beti au Cameroun, mais en réalité d’une « totalité-monde » en général — identifiable par le vocable « Nkul » — référence au tam-tam — qui est un instrument de communication entre plusieurs communautés des sociétés africaines. Et partant, du monde entier !

BL : Écrivain, critique littéraire, chercheur au département de Français de l’Université de Yaoundé I. Vous êtes dévoué et voué aux belles lettres. D’où vous vient cette passion ?

NK : Ma passion pour l’écriture me vient de mon besoin constant de renouvellement, et de mon désir permanent de laisser une part de moi sur cette terre des hommes, du temps où nous ne serons plus. Je me hâte donc de transmettre, via chacun de mes actes d’écriture, ma part de bonté, de folie, d’amour, de générosité et de vision. Tant dans le domaine de la création littéraire que dans celui de la recherche académique.

BL : Depuis quand Monsieur Nkul Beti  écrit-il?

NK : J’écris depuis le plus bas âge. Tout était, jusque-là, ordinaire : entre gribouillages et écriture de quelques textes sans véritable épaisseur. Mais j’ai commencé à véritablement produire  des livres depuis 2014.

BL : Comment s’est fait le déclic ? Pourquoi avoir décidé d’écrire ?

NK : Tout est parti naturellement. Sans forcer. En effet, j’éprouve toujours beaucoup de plaisir à affiner, chaque jour un peu plus, mon sens de l’analyse, de l’écriture et de la lecture. Car, ce sont des capacités fondamentales qui me permettent d’enrichir le débat public en ce début de siècle, considérablement déjà agité, où très peu de personnes font l’effort d’apprendre à bien écrire et de lire véritablement.

BL : Vous semblez très épris de poésie. Pourquoi cet attrait particulier ?

NK : (Rire). Je suis très à l’aise dans les autres genres littéraires aussi. D’ailleurs, j’ai plusieurs manuscrits (nouvelles, romans et théâtres) dans mes tiroirs. Je n’ai vraiment pas encore senti l’envie de les proposer à des éditeurs. Mais, ça vient, ça vient. Je sens se former et s’imposer en moi ce consubstantiel besoin. La poésie est l’instrument que j’ai choisi pour exprimer ma pensée avec beaucoup de liberté. Elle me passionne, profondément, parce qu’elle se pose comme la manière privilégiée de dire l’indicible, de décrire l’indescriptible, de déchiffrer les symboles derrière le rideau des ombres bien mortes et de voir autrui tout en se ce projetant soi-même à travers le voile interdit des horizons infinis. J’aime aussi les différentes entrées éclectiques de la poésie et l’élitisme qui la caractérise.

BL : « Mixture », « Aux hommes de tout… », « Comme un chapelet ». Vos textes sont pleins de verve et d’autorité et ne manquent pas de poigne. Nkul Beti, écrivain militant ?

NK : Écrivain militant, pas au sens strict de l’expression. Car, selon moi, le militantisme est une forme d’engagement collectif. Or, mon mouvement, je le fais seul. C’est un mouvement singulier à portée pluriel. Je me définis plus comme un écrivain-orchestre. Celui qui s’ouvre et touche à tout. Sans nécessairement se compromettre. Un « typapart ». Qui n’appartient à aucun groupe, aucune chapelle ou association. Je vais donc où il me chante d’aller, j’écoute ce qui m’agrée, j’écris ce qui se forme en moi et je dis tout haut ce que je pense.

BL : Dieu a une grande place dans vos textes, son nom y revient souvent. On y voit aisément le chrétien, l’ancien séminariste. Qu’en dites-vous ?

NK : La finalité totale de ma démarche lorsque je reviens, au fil de mes œuvres, et même de mes argumentations, sur l’objet métaphysique qu’est Dieu est d’alimenter les discussions dans l’espace public. Cela, en formulant un raisonnement qui se propose de dépasser les dogmes et les expériences qui gouvernent, très souvent, l’entendement de l’infiniment petit, c’est-à-dire l’individu. Je le fais, sans forcément, essayer d’éprouver les convictions ou étrangler la foi de quiconque !

BL : Aux hommes de tout… À quels hommes s’adresse-t-on ? Qui ou que qualifie ce « tout » orphelin de nom ?

NK : On s’adresse aux Hommes du monde. Ceux d’Ici. Ceux de Là-bas. Ceux de Partout. Ceux du « Tout-monde ». Ce « tout » orphelin de nom est ma suggestion stylisée de l’introduction d’une néo-dialectique de la relation — comme prolongement de celle théorisée par Glissant — qui contribue à redéfinir de manière mobile les pans malades des africanités. Le but étant donc de faciliter l’éclosion d’une nouvelle chose Afrique en général au sein de laquelle tous les mouvements qui se font sont appréhendés comme des lieux en instance de permanente fusion entre l’extérieur et l’intérieur. Dans ces lieux-là se logent et ressortent incessamment les possibles relationnels, et partant, conflictuels des êtres et des choses.

BL : « Parle, dénonce, accuse ». Suggérez-vous dans Aux hommes de tout… Et vous revenez à la charge pour châtier de votre plume rebelle « les politichiens et gouvernuls… » (p.73) dans Comme un chapelet. Quelle opinion avez-vous de la crise sociopolitique qui secoue votre pays ?

NK : Ces deux dernières années, mes activités académiques se sont intensifiées et diversifiées. J’étais donc préoccupée par la découverte de plusieurs champs de la connaissance qui étaient nouveaux pour moi. Ce qui ne m’a pas donné l’occasion de véritablement suivre l’activité sociopolitique du Cameroun. Il m’est donc, pour faire bonne mesure, impossible de donner un avis objectif et rigoureux sur ce que vous appelez « crise qui secoue » mon pays. Toutefois, il est important de remarquer que le développement technologique et le « libéralisme généralisée » ont favorisé, progressivement, la vulgarisation d’une violence atomisée (pas toujours physique) envers les populations dans les États du monde entier. Les gouvernements et les populations, plus que jamais, ont désormais comme impératif d’être plus proches pour trouver des solutions à ces différents dysfonctionnements pour éviter le chaos.

BL : Comme un chapelet voit s’égrener des faits sociaux, dont les homosexualités. « Je sais que tu sauras boire et accepter mon nouveau genre, mon entre-deux sexuel, le voir » (p.21), clamez-vous, comme pour défendre cette pratique ô combien décriée sous les cieux africains. Qu’en dites-vous ?

 NK : Je ne défends et ne tente pas de vulgariser les homosexualités. En effet, de plus en plus, les écrivains africains francophones mettent en discours les homosexualités de manière frontale dans leurs œuvres. Ainsi, à partir de mon œuvre, et partant de mes travaux académiques, je montre donc que l’écriture littéraire permet la création d’un espace de renaissance pour les minorités sexuelles. Et que l’intention dans une démarche littéraire, dont la portée n’est pas a priori de vulgariser les pratiques homosexuelles, est de permettre aux sujets en condition de minoration d’entrer en possession de leur être, de leurs corps pour rendre possible la gouvernance et l’orientation de leurs préférences sexuelles. L’objectif étant, à terme, de parvenir à une dépolitisation et une banalisation des homosexualités pour faire parler d’elles comme on parlerait de l’esthétique du laid, du beau et/ou du grotesque.

BL : « Tout ce que Dieu fait n’est pas bien, et tout n’est pas grâce » lit-on à la page 9 de « Comme un chapelet ». Pourtant, Dieu, pour ceux qui y croient, et vous en êtes un, est perfection et bonté. Lui arrive-t-il de ne pas faire que de bien. Expliquez-nous ce vers plein de théologie et de philosophie.

NK : Je ne crois en rien, si ce n’est en moi-même (rire). J’aime prendre les contrepieds de tout ce que j’ai lu et de tout ce qui a été dit ou préétabli (codes/dogmes homologués). C’est, chez moi, la première étape si l’on veut vraiment élaborer un raisonnement solide capable de faire évoluer le débat public. Alors, quand j’écris « Tout ce que Dieu fait n’est pas bien, et tout n’est pas grâce », mon ambition fondamentale est d’élaborer un protocole discursif ouvert qui a la capacité, autour de l’objet métaphysique la Transcendance, d’élargir les points de vue de manière à ce que les a priori dichotomiques, discutant de Dieu, puissent être confrontés. Afin qu’ils favorisent la maïeutique d’une pensée permettant de repenser les possibles politisables, comme la place de Dieu dans la vie humaine ; le rapport entre espoir et désespoir ; la quête infinie du paradis par l’homme adorateur d’une force qu’il ne voit pas, et l’audace d’un individu de considérer qu’il serait le gouvernail unique de ses actes, ses valeurs et son destin. Tout cela, sans être étiqueté comme fieffé blasphémateur ou athée patenté !

BL : Quelle appréciation avez-vous de la littérature camerounaise contemporaine ?

NK : Les mouvements se font dans tous les sens. On remarque un certain renouvellement thématique et stylistique. On est en plein dans le nouvel âge d’or de la littérature camerounaise, qui révèle le dynamisme du champ littéraire camerounais de la dernière décennie. Une littérature qui affirme son originalité par ses variations poétiques, ses nouveaux codes esthétiques et rhétoriques. Nous sommes dans une ère littéraire et historique pleine de rebondissements et d’évènements, de symboles qui n’a même pas encore fini de livrer ses secrets. Il y a de l’avenir, même si, sur le plan du fonctionnement du circuit éditorial, la non-contractualisation des différents maillons de cette chaîne ne facilite pas la professionnalisation de tout le système.

BL : Parlez-nous de vos projets littéraires.

NK : Je suis sur deux manuscrits en ce moment. Un recueil de poèmes, en cours de rédaction. Et un roman sur lequel je travaille depuis bientôt deux ans.

BL : Avez-vous un conseil pour ceux que tente l’envie d’empoigner la plume comme vous ?

NK : Lisez, lisez. Sans relâche. La qualité de vos écrits dépend de la qualité et de la somme de vos lectures.

BL : Votre portrait chinois à présent :

– Un héros ou une héroïne : Ma mère.

– Un personnage historique : Chaka Zulu.

– Un auteur préféré : Charles Gueboguo.

– Animal : Le hibou.

– Plat : Pas de préférence particulière. (Rire) !

BL : Merci Nkul Beti de vous être prêté à nos questions. Votre mot de la fin.

NK : Merci infiniment!

@Interview réalisée par Junior Gilles GBETO, pour Biscottes Littéraires