Dites au Père Noël que je suis aussi un enfant

Ce matin de Noël, dès que je me suis réveillé, sans même me brosser, habillé de mes haillons de la veille, je m’élançai en dehors de la concession. Il ne fallait pour rien au monde que je me fasse chiper la place de choix que j’occupais devant les grillages de l’immense bâtisse du ministre AIKPEVI. En effet, chaque 25 décembre, tous les mômes des familles pauvres du quartier venaient vivre par procuration leur noël devant sa demeure. Comme chaque année, tôt le matin, à la même heure, j’allai coller mon nez aux barreaux de fer du majestueux portail du ministre pour regarder ses enfants déballer leurs cadeaux…

Mon hardiesse me permit d’être installé au premier rang. Les deux « petits ministres » venaient de se réveiller et sous le majestueux sapin, ils déballaient les énormes cadeaux qui y étaient accrochés. Quand l’aîné eut fini de déballer le plus gros cadeau, il brandit, tel un trophée, un grand hélicoptère. Un enfant de 02 ans pouvait même y prendre place. Il était doté d’une commande que l’enfant ne tarda pas à actionner. Ce qui fit tournoyer l’appareil. Mais notre attention fut bien vite détournée. Les doigts du cadet firent découvrir un immense char de guerre sous le regard hébété de l’assemblée. Sentant son jeune frère remporter le prix du plus cadeau de cette année, le grand-frère dirigea son hélicoptère à grand vitesse vers le char. Les deux s’entrechoquèrent et se désintégrèrent. Cris et bagarres. Ne pouvant les regarder s’écharper sans rien faire, je me glissai entre les barreaux du portail, courus vers eux pour les séparer. Mais je reçus un coup violent qui me renvoya au sol. Le temps de reprendre mes esprits, le ministre, qui suivait la scène, ordonna au géant berger allemand qu’il tenait en leste : « Tiger, chope-le. » Le gros toutou bondit sur moi. Je détalai en trombe. Malheureusement, mes tergiversations devant la grille permirent au chien d’érafler mes fesses. Je poussai un énorme cri mais réussis à passer avant qu’il ne me bouffât tout le derrière. Quand mes camarades me virent passer la grille, ils hurlèrent, poings fermés et mains levées : « Wéééé…..Bolt…. Bolt….». Malgré mon derrière en feu, je levai le V de la victoire, m’approchai triomphalement d’eux. Je rentrai chez moi, pensant à la bastonnade que je recevrai de ma mère. Je n’y échappai point. J’allai me coucher après avoir chaudement pleuré. Mais, avant de m’endormir, ma mère vint s’asseoir près de moi. Elle me caressait affectueusement la tête. Sentant le sommeil venir, entre deux battements de cils, je dis à ma mère :

– Maman

– Oui, Sonagnon.

– Peux-tu dire au Père Noël que je suis aussi un enfant ? Et que souvent je suis sage ? Tu le sais, n’est-ce-pas, Mère ?

Elle ne répondit pas. Elle serra très fort ma main. Je l’entendis faire des bruits bizarres du nez, comme celui que l’on fait quand on est enrhumé. Et là, je m’endormis.

 

Théodore Gildas ZINKPE