Un mois passa, les craintes de maman Nafi se confirmèrent. Elle avait raison ne pas avoir cru à ce vain miracle. Son mari fut enfin débarrassé des bandages qui étreignaient ses membres. De fortes sommes furent investies pour sa rééducation. Ses maigres revenus de charpentier y passèrent, les pauvres économies de sa femme aussi, maman Iyabo aida, les quelques rarissimes âmes généreuses que comptait la famille aidèrent, mais en vain. Papa Nafi avait perdu tout espoir de retrouver la mobilité de ses membres. A 48 ans, il était condamné au grabat, et maman Nafi vouée à assurer seule la subsistance de la famille entière. Elle travaillait deux fois plus que d’habitude, avait perdu l’embonpoint qu’on lui connaissait, ses noirs cheveux de trentenaire devinrent grisonnants. Plus d’une fois Iyabonon l’avait déjà surprise en train de soliloquer. Tout devint décidément plus dur chez les N’taka. Tout s’empira lorsque papa Nafi n’en pouvant plus d’être une charge pour sa famille avala tout ce qu’il trouva comme médicaments à portée de main et mourut. Maman Nafi pleura une mer de larmes et jura qu’elle ne pardonnerait jamais cela à son homme.

La voici désormais seule, à la fois mère et père. La vie devint un véritable calvaire pour ses filles et elle. Mais toujours battante, elle ne lâcha rien et continua la lutte, confiante qu’après l’orage il ferait beau. Et cela ne tarda pas. En effet « Un ange », comme elle l’appela, vola enfin à leur secours. N’en pouvant plus de voir souffrir sa sœur et ses nièces, Tata Eudoxie une cousine de maman Nafi qui vivait à l’étranger et qui s’était récemment installée au pays, consentit à alléger le poids qui meurtrissait les frêles épaules de sa petite- sœur chérie. Elle demanda la garde de Nafi et Maory, laissant la benjamine Sylvia aux bons soins de sa mère. Ouf!! Et c’est ainsi que s’ouvrirent à Maory et à sa sœur aînée les portes de la grande ville. La belle villa de Tata Eudoxie leur servirait désormais de domicile. Au diable la pâte de maïs au piment, adieu le gari bouilli, délayé, mangé sous toutes ses formes. Désormais ces filles se gaveraient de plats exquis et variés: cuisses de dinde, rôti de poulets au riz créole, steaks, frites… Désormais c’étaient des promenades, soirées cinéma, dîners dans des restaurants de renom. Tata Eudoxie les avaient inscrites au lycée Matthieu Coovi, l’un des plus renommés et des plus distingués que comptait la capitale, et où ne traînaient que les gosses de riches. Un chauffeur était chargé de les y emmener et de les en ramener les cours terminés. Nafi et sa sœur eurent au début un mal fou à s’accommoder à cette vie de princesse mais au bout d’un moment elles commencèrent à y prendre goût. Maory en particulier qui depuis toute petite s’était toujours identifiée à Cendrillon et  en avait toujours rêvé, il fallait la voir se servir à table, se gaver des morceaux les plus gras. Il Fallait la voir donner des ordres au chauffeur, s’emballer quand au dîner tata Eudoxie décrétait: <<Demain soirée shopping, les filles !!>>. Au magasin elle s’empressait de choisir les vêtements les plus coûteux, les plus sexy.

 

 

Quatre années étaient passées depuis que Nafi et sa sœurette s’étaient installées chez leur tante. Beaucoup de choses avaient changé. Studieuses et bien aidées de leurs professeurs à domicile, Nafi passait en Terminale et Maory en Première. Mais il n’eut pas que leurs classes qui changèrent. Les aînées de maman Nafi étaient toutes deux devenues de nouvelles personnes. Toutes deux avaient pris de l’âge et de l’embonpoint. Leurs petits derrières qui déjà faisaient saliver les garçons de Moulin Bleu s’étaient raffermis, leurs poitrines naguère plates s’étaient garnies de généreuses boules de chair. Le temps et le luxe aussi sans doute les avaient dotées d’un charme exquis auquel succomberait n’importe quel mâle. Et ce charme, plus que sa grand-sœur, Maory savait le mettre en valeur et en user avec des sourires maniérés dont elle seule avait le secret, des regards aguicheurs, des battements de cils à la Penelope Cruz et surtout ses tenues sexy qui exhibaient tout son arsenal de beauté. C’était la diva du lycée et tous les garçons  étaient à ses pieds. Tous rivalisaient de galanterie pour s’attirer ses égards. Les uns assuraient ses repas à la cantine, les autres sacrifiaient leur argent de poche pour satisfaire le moindre de ses caprices_ Et Dieu sait qu’elle en faisait, la belle Maory.

Mais parmi cette foule déchaînée de collégiens en chaleur qui n’avaient de cesse de parader autour de Maory, un seul parvint à s’attirer les faveurs de la star du lycée. C’était Bryan. Beau et intelligent, il portait par surcroît le titre ronflant de garçon unique du maire de la ville. Et quand on connaît le maire Tano et la réputation de multimillionnaire qui lui colle aux fesses, on s’imagine sans grand mal combien doit être gâté son fils unique et quelle vie de luxe et de facilité il doit être « condamné » à vivre. La Chevrolet camaro SS à bord de laquelle il venait aux cours illustrait parfaitement le fait. Sans parler des Rolex qui ornaient son poignet ni des chaussures de pacha qu’il changeait à volonté. Encore moins de la canine en or qui ornait sa gencive supérieure et qui balayait toute crainte que cet héritier puisse un jour connaître la disette. Il n’eut qu’à glisser à sa prétendante un bout de papier sur lequel étaient écrites ses intentions pour que le processus fût lancé. Pour ne pas jouer à la  fille facile, Maory bien que déjà impressionnée, lui opposa le sempiternel <<laisse-moi le temps d’y réfléchir>> que toutes les filles vous récitent lorsque vous leur contez  fleurette. Le temps de réflexion dura deux semaines durant lesquelles elle peaufina sa stratégie pour profiter au maximum du luxe du fils du maire: les tenues qu’elle lui réclamerait, le « tribut » qu’elle exigerait qu’il lui paye chaque semaine, les restaurants où il la traînerait tous les week-ends et un tas de petits caprices bien listés. Elle lui offrit enfin son oui et ils flirtaient un bout de temps, passant leurs week-ends à sillonner les night-clubs les plus chauds de la ville et les restaurants les plus renommés. Bryan satisfaisait le moindre de ses caprices, n’hésitant même pas à arnaquer ses propres parents pour faire plaisir à sa petite-amie.

Ils vécurent leur belle idylle jusqu’au jour où, un soir alors qu’ils n’étaient pas ensemble, Ryan fut découvert….

Junior Gbeto est étudiant en 1 ère année à l’Université d’Abomey Calavi (UAC) où il se forme en administration culturelle.