Dimanche soir. Prétextant d’un voyage d’urgence à Lomé, Johann fit sa valise, embrassa ses mômes puis quitta la maison. Il fit escale chez sa maîtresse et ensemble ils partirent pour l’aéroport .Leurs  bagages enregistrés, ils attendaient l’embarquement dans le hall. Au bout d’un moment d’attente, une voix féminine dans le mégaphone annonça le début de l’embarquement pour les cinq prochaines minutes. Johann sortit de sa poche un inhalateur et se vaporisa la gorge, comme il en a l’habitude avant chaque vol et ainsi que le lui avait prescrit son médecin pour ses problèmes respiratoires.

L’effet fut spontané. L’homme perdit pieds et s’écroula de tout son long sur le sol froid du hall. De l’assistance affolée, deux gaillards surgirent qui accoururent le relever et lui maintenir les mâchoires ouvertes. Pendant ce temps, Katherine apeurée et dans tous ses états, coururent prévenir les services d’urgence de l’aéroport. On lui administra les premiers soins, puis face à la délicatesse de son état, les secouristes décidèrent qu’il devrait être évacué d’urgence à l’hôpital le plus proche pour des soins plus adéquats. En route Johann fit une attaque, deux attaques puis c’en était fini. A 23h 16min, Johann Kemba 38 ans fut déclaré mort. Katherine était inconsolable. Le lendemain matin, très tôt on annonça la nouvelle à Maory qui pleura une fontaine de larmes, sans doute plus de joie que de douleur. Mais au fond elle se sentait coupable. Elle ne savait pas que le liquide de la fiole avait un effet létal. Pour elle la solution n’était destinée que pour endormir pendant un moment les fonctions vitales de Johann. Il passerait un bout de temps à l’hôpital et lui reviendrait plus doux et plus sage, ainsi que l’en avait persuadé le vendeur. Mais non, faux calcul. La santé de Johann était trop fragile pour qu’on voulût jouer avec. Aucune autopsie ne fut faite: le défunt avait des antécédents cardiaques, à quoi bon? Et puis au Bénin on n’est pas du genre à se coltiner des enquêtes rocambolesques pour découvrir qui a fait ci ou ça, on préfère voir les acteurs blancs des séries américaines s’y plier et s’en étonner. Maory ne fut nullement inquiétée. Et ouf!!! Le bourreau s’en était allé. Finies les tortures, adieu le viol, fini le martyre que lui a fait vivre Johann des mois et des mois durant. Qu’est-ce que sa mort peut bien lui faire? L’avait-elle au fond jamais aimé? N’est-ce pas plutôt de sa fortune et de son luxe qu’elle était tombée amoureuse ? Elle avait appris à l’aimer mais très tôt le supplice que lui faisait vivre Johann a avorté cet amour embryonnaire. A elle l’héritage maintenant.

 

Les parents de Johann rentrèrent au pays pour ses funérailles. On l’incinéra et ils retournèrent en France avec une partie des cendres. Héritière légitime, Maory était à présent à la tête de toutes les entreprises de son mari et les gérait avec l’aide de son beau-père. Personne ne l’avait jamais soupçonnée du meurtre de son mari.

Une année passa. Maory avait repris des couleurs. Entourée de ses enfants, elle menait une vie heureuse. Mais depuis un certain temps, quelque chose la troublait. Aucun souci avec les entreprises. Était-ce le fantôme de Johann qui la hantait ? Certainement pas. Elle dormait tranquille et dans les bras de son nouvel amant les nuits n’étaient que mielleuses. Ses jumeaux étaient-ils malades? Non. Mais son tourment venait justement d’eux. Ah Rudy et Rony qui grandissaient et qui avaient des yeux, les siens, un sourire, le sien, un nez et des oreilles, les mêmes que lui, un visage, son portrait, ces enfants qui avaient tout hérité de Johann, c’étaient eux le nouveau cauchemar de Maory. C’étaient eux qui hantaient désormais ses jours et ses nuits, c’étaient eux qui lui rappelaient leur bourreau de père. Dans leur visage elle croyait voir Johann lui hurlant dessus, la rouant de coups, la violant. Leur visage rouvrait ses anciennes blessures. La chose dura des mois et s’empirait.

Maory était devenue méchante avec ses propres enfants. Elle les maltraitait sans remords car, disait-elle, c’étaient aussi eux la cause de ses malheurs, c’était à cause de ces diablotins qu’elle avait pris des kilos en plus. C’étaient eux qui avaient éloigné son Johann d’elle. Elle n’allait plus les chercher au sortir des cours, se contentant d’envoyer le chauffeur le faire, ne cédait plus à leurs caprices, leur criait dessus. Elle alla jusqu’à battre Rony une fois parce qu’il avait repoussé un plat de couscous qu’elle avait elle-même concocté. Mais malgré les sévices qu’elle infligeait aux gamins elle n’arrivait pas à trouver satisfaction. Johann était mort depuis bientôt deux ans mais elle revivait comme si c’était hier les souffrances qu’il lui infligeait. Elle n’en pouvait plus. Elle envoya les jumeaux en vacances à Saint-Tropez chez leurs grands-parents. Mais dès qu’ils revinrent, ses cauchemars recommencèrent. Cette fois c’en était assez. Elle en avait ras-le-bol. Il fallait en finir une fois pour toutes .C’est ainsi qu’elle choisit l’ultime solution, la peine capitale. C’est ainsi qu’elle franchit le rubicond.

 

Une nuit, à 2h 30 min du matin, veille de leur quatrième anniversaire. Rudy et Rony dormaient paisiblement dans leur chambre, chacun dans son lit. Quelqu’un ouvrit discrètement la porte. Dans ses bras, un coussin. A pas feutrés la personne se dirigea vers la couche de Rudy. En deux temps trois mouvements, voici le petit qui se débattait sous le coussin. L’agonie ne dura que quelques secondes. La même silhouette se tourna vers Rony. On la vit poser le même coussin sur la tête de l’enfant et s’y étendre de tout son long .L’enfant asphyxié, se débattit à peine, urina, déféqua puis se refroidit. Son forfait ainsi achevé, Maory se laissa tomber au centre de la chambre, et pleura, pleura, pleura, pleura encore…

 

 

Junior Gbeto est étudiant en 1 ère année à l’Université d’Abomey Calavi (UAC) où il se forme en administration culturelle.