Une question demeure insoluble quand on réfléchit sur l’histoire de l’Afrique: en quoi les deux Guerres Mondiales la concernaient en réalité? Les Occidentaux, repus et impatients de tester leurs armes et autres innovations dans les domaines de la balistique et de l’artillerie lourde, se déclarent la guerre. Le conflit devient insupportable et des métropoles viennent chercher secours et renfort dans leurs colonies, entraînant de ce fait l’Afrique dans un conflit avec lequel elle n’a rien à voir. Et les conséquences sont là, tragiques et dévastatrices ainsi que nous le fait remarquer Ousmane Sembène, dans la vie de Oumar Faye, le personnage principale de son roman « Ô Pays, mon beau peuple !« (Presses Pocket, Paris, 1975, 187 pages).

Oumar Faye, après la Seconde Guerre mondiale soldée par la Victoire des Alliés, malgré son amour pour la France, a préféré revenir au bercail, parmi son beau peuple, après huit ans d’absence. Mais l’accueil que lui réserve sa famille, les Fayène, n’est pas celui escompté. Moussa, son père, un imam vénéré dans toute la Casamance, et sa mère Rokhaya, une femme enduite de pratiques mystiques s’indignaient de son choix matrimonial. Certes, la guerre était finie, mais les Européens en faisaient toujours voir aux noirs colonisés et bafoués. Mais c’était de trop qu’un noir revienne au pays avec Isabelle,  une brancou (femme blanche) comme épouse. C’était inadmissible vu les exactions des Blancs sur les Noirs de la Casamance. Rokhaya nourrissait une haine coriace pour sa bru –qu’elle assistera à sa grossesse pourtant- . Car elle avait fait perdre le chemin de la droiture à son fils unique qu’elle put obtenir après plusieurs fausses couches. Oumar construit sa maison, nommé « La Palmeraie » et quitte la maison familiale. « La Palmeraie » était devenue le lieu habituel des jeunes instruits comme Faye où ils mûrissaient leurs réflexions sur le présent et l’avenir de l’Afrique. Oumar Faye, de la caste des pêcheurs, à son retour, s’adonne à la pêche, mais développe un amour viscéral pour la terre. Très vite, il abandonne la pêche pour la terre et devint cultivateur. Pour lui, la terre est tout ce qu’il a de plus précieux, son peuple et il le chante fièrement quand il se promène seul dans la brousse : ‘’ô pays, mon beau peuple’’. « On se demandait si ce fils de pêcheur n’était pas devenu fou ou si on lui avait jeté un mauvais sort. Ou alors, s’il ne cherchait pas quelque trésor enfoui dans la terre » p.119. Grâce à son ingéniosité et son amour pour le travail et surtout la terre, il parvient à se hisser à un rang considérable et respectable de toute la Casamance. Il a une folle ambition sans sa tête de jeune homme: unir l’ensemble des paysans du pays dans une coopérative. Ainsi, ils ne se verront plus fixé à leur place le prix de vente de leurs propres produits obtenus à la sueur de leur front par un vil acheteur. Mais les colonisateurs le laisseront-il aller au bout de son projet ?

Sembène Ousmane, à travers son roman « Ô Pays, mon beau peuple! » peint une Afrique tourmentée, déchirée, mais révoltée qui désire prendre son destin en main en se libérant de sa condition aliénante. Ce roman est dramatique, bouleversant dont l’auteur seul a le secret, un roman aux allures autobiographiques à travers le héros Oumar Faye, à la fois, pêcheur, cultivateur, mécanicien et participant de la Deuxième Guerre Mondiale. Un itinéraire semblable à celui de l’auteur lui-même.

D’un style académique où se mêlent l’art d’ironie et d’humour, « Ô Pays, mon beau peuple! » est un réquisitoire contre le mépris européen, et un appel au sacrifice à l’endroit de l’Africain : « Que le roi prenne tes fils pour aller faire la guerre ailleurs, ta femme t’en donnera ; qu’il prenne ton troupeau, avec le temps, tu finiras par l’oublier, mais s’il s’approprie tes terres, c’est qu’il veut ta mort…et celui qui veut ta mort ne se soucie pas de tes peines ».p186. Alors, c’est une invite à la préservation et à la sauvegarde de notre patrimoine commun, de notre richesse commune, notre terre, au prix de la sueur et du sang à l’instar du héros du livre. Oui « Oumar Faye était bien mort et gisait dans la terre. Mais les bras criminels qui l’avaient abattu s’étaient leurrés. Ce n’était pas la tombe qui était sa demeure, c’était le cœur de tous les hommes et de toutes les femmes. Il était présent le soir autour du feu et le jour, dans les rizières ; lorsqu’un enfant pleurait, la mère lui racontait l’histoire de ce jeune qui parlait à la terre, et, sous l’arbre de palabre, on honorait sa mémoire. Oumar n’était plus, mais ‘’son beau peuple’’ le chantait toujours ». p187. « Ô Pays, mon beau peuple!« est un roman tissé de proverbes où le souffle de l’oralité se fait présent, un roman où se manifestent avec élégance la puissance du verbe et le génie de la narration.

RICARDO AKPO

 

Ricardo AKPO est étudiant en troisième année Histoire et Géographie  à Ecole Normale Supérieure de Porto-Novo

  1. Un passage me touche quand je me rappelle de cet ouvrage du cinéaste sénégalais : « …elle chantait à la manière des opprimés. L’existence leur avait appris à chanter pour tromper la réalité. En chœur ces femmes chantaient comme un étouffe un sanglot pour ne pas sentir la fatigue… »
    Merci pour la présentation.