Bonjour les amis. nous recevons en ce lundi, jour d’interview de la semaine,  l’écrivaine française Esther HERVY: « Les inégalités entre les femmes et les hommes sont toujours bien présentes et touchent tous les domaines de la vie. Cependant, je ne me revendique pas féministe, car j’aurais l’impression de vouloir prendre une revanche sur les hommes, ce qui n’est pas le cas. Je proteste simplement contre toute forme de discrimination, d’injustice ou de soumission des femmes ».

BL : Bonjour Madame. Nous sommes heureux de vous recevoir sur notre blog. Nos lecteurs sont impatients de vous connaître. Vous voudrez bien vous présenter, s’il vous plaît ?

EH : Bonjour Biscottes Littéraires et merci de m’accueillir, le plaisir est partagé. Je m’appelle Esther Hervy, je suis traductrice indépendante et je vis à Paris, en France. J’écris depuis de nombreuses années. Du poème à la nouvelle, en passant par le roman et le journalisme.

BL : Vous êtes une grande passionnée de lettres. Voudrez-vous bien partager avec nous la genèse de cet amour pour la littérature ?
EH : Mon amour pour les lettres, de manière générale, a débuté très tôt, vers 10 ou 11 ans. J’ai toujours été fascinée par le pouvoir des mots. Comment leur combinaison, leur association, le plaisir que peut prendre un auteur à jouer avec, peut impacter de différentes façons la personne qui les reçoit. Cette capacité à nous transporter au-delà des frontières, de nos sociétés et même de notre monde. De rien ne nous interdire, de nous autoriser une liberté de pensée quand bien même notre liberté physique peut être entravée. Les mots, pour moi, et la littérature dans sa globalité, représentent la forme de liberté la plus absolue. Et cela, j’en ai eu conscience très jeune.
BL : Vous avez commencé avec de petits poèmes. Beaucoup pensent que c’est le genre préféré des jeunes adolescents, des jeunes amoureux ou ceux déçus, parce qu’ils ont la liberté de s’épancher, de rêver et d’étaler leurs illusions de l’amour, de la vie, etc. Pour vous, que représente la Poésie ?
EH 
: Oui, nombreux auteurs se sont essayés à la poésie à leurs débuts. C’est un bon exercice pour manier le rythme et la sonorité de la langue. Un poème doit être comme une chanson : explosif. Quelle que soit l’émotion transmise par l’auteur, elle se doit d’être intense, et c’est peut-être pourquoi elle sied si bien aux émotions vives, intrinsèquement liées à la vie, amoureuse ou non. Contrairement aux autres genres, il y a un caractère d’urgence dans la poésie. L’auteur doit coucher ses maux et ses mots ensemble sur le papier, de manière explicite et concise, tout en les rendant jolis à fredonner, même si leur sens en appelle plus souvent au désespoir qu’à autre chose. La poésie, c’est tout simplement la musique de la littérature.

BL : Vous êtes une femme de lettres. Quelle mission assignez-vous à une femme passionnée d’écriture de nos jours, où son statut ploie encore sous le faix machiste ?

EH : L’émancipation des femmes passe par la littérature qui a longtemps été considérée comme une affaire d’hommes. Puis on a fini par leur reconnaître le talent, le génie, tout en en revendiquant malgré toute la paternité de leurs œuvres : l’amant, l’ami, le mari, le conseiller… leurs écrits étaient forcément motivés par un homme. Des auteures comme George Sand, par exemple, qui fût l’une des premières à vouloir vivre de son écriture, ont contribué à cette émancipation. Par leurs plumes et au fil des siècles, les femmes assoient leur indépendance et tentent de se délivrer du joug d’une société encore bien trop patriarcale. C’est, à mon avis, le rôle des femmes écrivaines de poursuivre ce combat.

BL : Vous êtes une écrivaine prolifique : Romancière, Nouvelliste. Vous vous essayez aussi à la science-fiction. Dans Emprise, on voit l’héroïne Salomé à la quête d’un équilibre sentimental. À 32 ans, elle souffre encore d’une instabilité émotionnelle, affective. Partageant son espace intrinsèque avec Ethan, Alban et Jack, Salomé devient comme une proie mystérieuse. À travers ce personnage, quel message voudriez-vous véhiculer ?
EH 
: Dans mon roman Emprise, j’ai voulu porter l’attention du lecteur sur le fondement des relations humaines et de ce qui, à mon sens, en est à la base : l’amour que l’on entretient pour soi-même. Mon personnage principal, Salomé, est dans une recherche permanente de validation auprès de la gent masculine, validation qu’elle n’a jamais obtenue du premier homme de sa vie : son père. Inconsciemment, elle s’est construite avec une image d’elle-même qui ne la rendait pas aimable. Au fil des pages, Jack, qui n’est en réalité que la représentation de son inconscient, va lui montrer la nécessité de retrouver ce père déserteur afin de se réconcilier avec elle-même, et sortir de ses relations toxiques qu’elle s’inflige, telles des punitions, pour ne pas avoir su se faire aimer de son père.

BL : Pensez-vous qu’il est préférable pour un jeune homme, ou jeune fille de s’entourer de deux ou trois partenaires afin de choisir celui ou celle qui peut lui seoir ?

EH : Si l’on raisonne par pur pragmatisme, très certainement. Mais l’amour est un sentiment tellement inexplicable et irrationnel, qu’il nous laisse apprécier chez notre partenaire les défauts que l’on ne s’imaginerait pas supporter chez quelqu’un d’autre. Je reste une grande romantique et passionnée, je n’arrive même pas à imaginer la possibilité de partager son cœur. Le sentiment amoureux est comme une bombe, et je n’ai pas assez de munitions pour déclarer la guerre en plusieurs endroits.

BL : « Vous savez, quand on est marié à un homme qui peut avoir absolument toutes celles qu’il veut dans son lit, de la plus belle à la plus laide, de la plus intelligente à la plus stupide, de la plus naïve à la plus perverse, on se rend vite compte que si l’on décide de lutter contre cela et qu’on essaie d’en faire un homme rangé, on a tout faux. (…) Vous pouvez être la plus désirable physiquement, la plus désirable intellectuellement, vous ne serez jamais en mesure de lui suffire. » Un extrait de votre livre Blackstage. Doit-on le prendre comme une exhortation des jeunes filles à se battre pour leur rêve, leur ambition, s’autosuffire avant de penser à un homme ? Ou de chercher à progresser en compagnie d’un homme avec qui elles peuvent construire, réaliser et atteindre leurs objectifs ensemble ?

EH : Le contexte de mon roman Blackstage est particulier, et je ne pense pas que l’on puisse en faire une généralité pour le transposer dans la vie ordinaire. La célébrité est le fondement de cette histoire d’amour, une célébrité qui pousse le protagoniste, et mari de Rachel, Joshua, vers toujours plus d’excès. Le monde dans lequel vit Joshua lui donne accès à tout. Il a donc besoin de repousser constamment ses limites pour se sentir vivant. C’est un cercle vicieux. Il en veut toujours plus, tout le temps, et ne sera jamais comblé. C’est pourquoi Rachel réalise à un moment donné, que jamais rien ni personne ne pourra jamais le satisfaire pleinement, indépendamment d’elle ou de leur relation. C’est une variable de l’équation qu’elle doit accepter, ce qui ne veut pas dire qu’elle doit s’oublier, elle ou ses rêves.

BL : Aujourd’hui, certaines conditions de vie notamment exécrables poussent quelques jouvencelles à préférer ces hommes accomplis à ceux de leur rang. Que pensez-vous du phénomène des « Sugar Daddy » ?

EH : Qu’il reflète une partie de la triste réalité de notre société. D’un côté des hommes esseulés qui motivent leur recherche de « sugar babies » par l’envie d’une relation simple et facile avec de très jeunes femmes, de l’autre, des filles pour la plupart confrontées à la précarité, souvent étudiante, et qui se tournent vers des moyens de survie en apparence moins contraignants qu’un bullshit job à mi-temps. Bien qu’il ne soit jamais fait allusion à des échanges d’argent ou au sexe dans les annonces, je crois que la réalité est en fait bien plus brutale et qu’on peut parler de prostitution déguisée.

BL : Dans Le placard et autres contes fantastiques, on sent toute votre passion pour la science-fiction. La terreur, l’horreur, sont les images qui s’y reflètent. Seriez-vous une admiratrice d’Edgar Allan Poe ou de Lord Dunsany ?
EH : Oui, Poe ou Lovecraft, que j’ai pas mal lus. Mais ma référence en la matière est incontestablement Stephen King. J’aime sa façon de faire entrer l’horreur dans la vie de tous les jours. C’est à mon sens, le meilleur moyen de transporter le lecteur. Les situations sont banales, les gens ordinaires, et puis d’un coup, une étincelle et tout bascule dans l’improbable. Quand vous lisez un King, vous avez l’impression que l’auteur vous murmure à l’oreille la descente aux enfers de ses personnages. Il crée une intimité entre ses protagonistes et le lecteur que j’ai rarement retrouvé ailleurs.

BL : Quels sentiments vous animent quand du bout de votre plume sortent des écrits aux allures effrayantes, horrifiques ?

EH : De toute évidence du plaisir. J’aime penser que mes mots éveilleront chez le lecteur des sentiments divers et contradictoires. Je crie victoire quand malgré l’angoisse générée par la lecture, on ne peut s’empêcher de tourner les pages de mon livre.

BL : Dans votre livre Psychospace, on observe toute une réflexion profonde sur la vie de l’entreprise et de la société. On peut parler d’un imaginaire anticipé quand on apprend le successeur, Édouard, de l’actuel président français Emmanuel Macron. Quel est le postulat d’écriture de ce roman ?


EH 
: Psychospace est un livre qui compte beaucoup pour moi. Son écriture a été motivée par une expérience malheureuse que j’ai moi-même vécue dans l’entreprise dans laquelle je travaillais. À travers cette expérience négative, j’ai réalisé que le monde de l’entreprise était un monde tout à fait à part. Que bien souvent, les règles qui régissent nos vies en dehors des locaux, s’atténuent voire disparaissent dans certains cas, une fois passé les murs de nos bureaux.À notre époque, et encore plus qu’avant (je parle de quelques dizaines d’années en arrière), et alors que le chômage fait plus de ravage qu’il n’en a jamais fait, le rapport de force dans le milieu du travail s’est totalement déséquilibré, si bien que les employés, par peur de perdre leur emploi et par conséquent, de perdre leur vie, accepte des comportements de la part de leur hiérarchie qu’ils n’accepteraient jamais dans leur vie privée. C’est là où dans mon livre, je compare l’entreprise à une mini dictature. Les rares personnes qui refusent certains comportements abusifs sont traitées de dissidents, et souvent, tout est fait pour les décourager et les faire partir d’eux-mêmes, les exclure de cette société qui est devenue une société à part entière. Avec Psychospace, j’ai voulu montrer ce côté pervers des relations professionnelles et hiérarchiques, tout en essayant d’imaginer comment les choses pouvaient évoluer et les dangers qui en découleraient, si la casse du Code du travail se poursuivait et que les salariés perdaient entièrement leur pro-tection.

BL : Dans ce livre, vous mettez sur le tapis la question du sens au travail. Julie subit toutes sortes de pression de la part de son patron. N’essaieriez-vous pas de révéler l’image intrinsèque des entreprises d’aujourd’hui qui prennent leurs employés pour des êtres sans valeur, taillables et corvéables à merci ?

EH : C’est ce que j’ai pu observer au fil de mon expérience professionnelle, mais aussi d’après divers témoignages que l’on m’a rapportés. C’est là, encore une fois, que l’on voit bien le rapport de force employé/employeur se durcir face à une situation économique toujours plus compliquée. Les entreprises l’ont bien compris et jouent sur cette peur. Il leur arrive aujourd’hui, et de plus en plus souvent de dépasser le cadre fixé par le contrat. C’est pourtant totalement contre-productif, ce phénomène est bien documenté scientifiquement, et il est maintenant prouvé que la productivité d’un salarié est à son maximum quand celui-ci se sent reconnu, valorisé et que les tâches qui lui sont assignées ont un véritable sens. Le livre de Caroline Cintas, Violences au travail, décrit parfaitement cette thèse.

BL : Un travailleur épanoui est un atout pour la rente de l’entreprise, parce qu’il donnera tout son potentiel pour le progrès de celle-ci. Dans le cas de Julie, c’est parfaitement le contraire. En plus de cela, elle doit affronter des charges qui briment son moral tout comme sa personne. Le souffle de ce livre est à la quête de l’humanisme qui manque à notre monde. Si vous deviez dessiner les contours du monde de ce temps à l’aune de ce livre, que diriez-vous ?

EH : Mon roman montre, de façon volontairement exagérée, les dérives de l’abus de pouvoir dans le monde professionnel. J’ai également voulu mettre l’accent sur les dangers de la soumission librement consentie, qui aurait pour risque de légitimer ces mêmes abus, et de les laisser dépasser les frontières de l’entreprisepourles réglementer au travers de nouvelles lois. Avec des droits bafoués et une précarité croissante, le monde du travail décrit dans Psychospace dépeint un monde dans lequel le salarié n’est qu’un outil dont l’entreprise peut se débarrasser comme bon lui semble. Ses besoins, ses envies et son bien-être ne sont pas pris en considération. Seuls son dévouement, sa productivité et sa soumission à l’entreprise comptent. Cela me fait penser à la théorie de l’angle alpha de l’économiste français Frédéric Lordon, qui consiste à faire coller les besoins de l’entreprise avec vos propres besoins. Plus ceux-ci sont en adéquation, moins l’angle (alpha) est grand. Plus les buts de l’entreprise et les vôtres divergent, plus votre angle (alpha) s’ouvre. Dans le monde de Psychospace, le gouvernement, la société, l’entreprise n’ont qu’une seule idée en tête : réduire votre angle alpha au maximum. Pour être bref, vous déposséder de vous-même.

BL : Où peut-on se procurer vos œuvres ?

EH : Mes livres sont disponibles sur Amazon.

BL : La lutte des femmes pour leur émancipation continue. On parle de féminisme. Comment votre cœur et votre tête perçoivent-ils respectivement ce thème ?

EH : Les inégalités entre les femmes et les hommes sont toujours bien présentes et touchent tous les domaines de la vie. Cependant, je ne me revendique pas féministe, car j’aurais l’impression de vouloir prendre une revanche sur les hommes, ce qui n’est pas le cas. Je proteste simplement contre toute forme de discrimination, d’injustice ou de soumission des femmes.

BL : Pensez-vous que cette lutte aboutira un jour quand on sait que parmi les femmes s’en dégagent certaines qui tirent à bout portant sur le féminisme et les féministes, quels que soient leur bord et leur obédience ?

EH : Je n’en ai bien évidemment aucune certitude, mais je l’espère vivement. Je crois en la possibilité d’une transformation en profondeur de la société, mais je sais aussi que cela prendra énormément de temps. Je pense que nous sommes sur le bon chemin, et que les réticentes et les réticents finiront par revoir leur schéma de pensée archaïque et seront entraînés malgré eux par la vague progressiste quine cesse heureusement d’avancer.

BL : La littérature française est-elle différente, selon vous, de la littérature francophone.


EH : Oui, elle peut l’être. Et elle l’est même souvent. Même si la littérature francophone utilise la langue de Molière pour nous faire voyager, ses auteurs peuvent venir de divers horizons. Leurs écritures seront obligatoirement empreintes de leurs cultures, de leurs environnements et de leurs façons de voir le monde qui leur est propre, mais obligatoirement influencées par l’endroit du globe dans lequel ils ont grandi et vécu, avec toutes les différences et les richesses que cela inclut.

BL :À quoi vos lecteurs doivent-ils s’attendre prochainement ?
EH : Passionnée par les sciences criminelles et particulièrement par la psychologie criminelle (j’espère intégrer l’Université de Paris 8 à la rentrée prochaine pour préparer un Diplôme Universitaire de Criminologie), et suite à la sortie en 2019 de mon premier livre d’enquêtes Portés Disparus, j’ai débuté la rédaction d’un ouvrage qui sera consacré aux enfants criminels.

BL :Votre mot de la fin


EH 
:Merci de m’avoir accueillie sur votre blog littéraire et d’avoir permis cette rencontre virtuelle avec vos lecteurs. Je les invite à venir me rejoindre sur ma page littéraire Facebook s’ils souhaitent en découvrir davantage sur mes écrits.