La première marche ratée
En ce dernier jour de classe, une joie indescriptible se lisait sur tous les visages. Malgré la pluie de ce matin-là qui rendait l’atmosphère quelque peu maussade, nous étions heureux de déposer pendant trois mois nos cahiers, de pouvoir enfin faire la grasse matinée, jouer et nous promener à longueur de journée. Cette ambiance bon enfant contrastait avec les sentiments qui animaient les rares d’entre nous qui ne savaient pas s’ils allaient en classe supérieure ou non. Qu’importe, leur mauvaise humeur ne pouvait avoir raison de la gaité de la majorité.
Des groupes d’élèves se formaient çà-et-là, conjecturant sur des voyages les plus improbables. Même ceux qui savaient qu’ils ne quitteraient pas le rayon de leur quartier, pouvaient rêver aller où ils voudraient. A beau mentir qui n’a point besoin de prouver ses dires. Certains se déchainaient sur la musique endiablée que vociférait la sono. C’était aussi l’heure pour les Dons Juans de déclarer leurs flammes aux dames qu’ils portaient dans leurs cœurs. Il fallait surtout vite dévoiler ses sentiments avant que la belle n’aille s’amouracher d’un amour d’été. Mais c’était avant tout l’ultime occasion pour se dégoter une bonne compagnie pour les longues promenades, les journées interminables à ne rien faire, les soirées entre amis et pour réchauffer sa couette.
Quant à moi, je m’étais isolé avec Sènami et deux autres camarades afin de jouer aux cartes. Nous devisions sur nos joies et nos peines de l’année scolaire. Au détour d’une blague qui nous arracha des rires jusqu’aux larmes, Sènami me lança :
- Et Kadidjath ? comment va-t-elle ?
Un lourd silence s’installa… Ma tête sonnait creux… Aucune invention ne germa dans ma tête… Cette fois-ci, je ne pouvais me défiler… Je me devais d’ôter ce poids immense de ma conscience.
- Pourquoi veux-tu réveiller les fantômes ? Finis-je par lâcher.
Un silence insoutenable s’installa à nouveau. Qu’attendait-elle pour m’insulter ? J’avais besoin qu’elle réagisse, qu’elle dise un mot. J’étais prêt à tout sauf supporter son silence. Sa seule réponse fut de baisser la tête et de laisser couler des larmes qui arrosaient encore un peu plus mon sentiment de culpabilité.
Nos compagnons ne comprenaient rien à l’histoire. Ils nous regardaient sans mot dire, sans pouvoir décrypter cette scène surréaliste.
- Laissez-nous seuls. Finit-elle par dire.
Lorsque nos deux amis furent sortis, son premier geste a été de m’asséner une belle paire de gifles. Je n’eus aucune réaction sinon juste de dire :
- Pardonne-moi Sènami. Pardonne-moi.
Ces mots au lieu de l’apaiser lui arrachèrent des sanglots si violents qu’ils me fendirent le cœur. J’avais le cœur en mille morceaux. Qu’avais-je fait ? Le film de cette histoire aussi bien idiote, stupide que cruelle dont j’étais le malheureux scénariste, réalisateur et principal acteur, s’imposa à mes pensées.
Le premier acte prenait naissance cinq ans en arrière. Par un jour de rentrée des classes, je vis pour la première fois cette petite dame mais si grande par le talent dont j’avais déjà tellement entendu parler. Pour la première fois, je pus enfin mettre un visage sur ce nom qui pendant toute une année avait hanté mon esprit : Sènami AVIMANDJE. En effet, un an plus tôt, nous avions tous deux fréquenté la même école pour passer notre Certificat d’Etudes Primaires. Mais nous n’avions jamais eu l’occasion de nous rencontrer car étant dans des groupes différents. Durant toute cette année, elle prenait un malin plaisir à saper tous mes efforts pour être le major de la promo. Je dus m’incliner devant tant de talents et d’intelligence. C’était donc elle Sènami. J’étais animé par un double sentiment : heureux enfin de faire sa connaissance d’une part, mais certain d’autre part que durant toutes les années que nous passerions ensemble, elle risquait à nouveau de me ravir la vedette. Mais qu’à cela ne tienne, nous nous livrerions une bataille féroce.
L’année prit donc son envol et comme à d’habitude, j’eus besoin d’un temps d’adaptation qui m’empêchait de jouer les premiers rôles. Néanmoins, je pus m’installer dans le top 5. Elle ne me remarqua donc pas outre mesure cette année-là. Moi non plus, je n’eus pas particulièrement d’œil pour elle. D’ailleurs, mes faveurs allaient cette année à une autre fille de la classe, Amanda ; qui eut le mérite, je l’avoue, de me tourmenter pendant bien des années. En plus, nous étions tellement jeunes. Si mes parents avaient idée de toutes les histoires de cœur qui martyrisaient mon esprit, j’aurais eu droit à des séances de bastonnades bien méritées. Je le confesse: j’ai été un sentimentaliste précoce. Je priais juste le ciel de ne pas avoir à gérer des rejetons aussi précoces que moi.
Je terminai ma première année de collège avec une place plus qu’honorable de quatrième de la promotion, et malheureusement sans avoir dit à Amanda, combien elle comptait pour moi. Les paires de gifles que j’aurais reçues de sa part et les interrogatoires musclées à la Surveillance Générale, étaient largement suffisantes pour m’en dissuader.
Le tournant se produisit à notre deuxième année de collège. Sènami et moi passions désormais nos après-midi au collège. Ce fut l’un des plus beaux intermèdes de mon existence. Nous étions devenus inséparables. Quel que soit ce que je voulais faire entre midi et quinze heures, j’étais avec ma complice. Nous arpentions les salles de classe du collège ensemble, prenions un malin plaisir à faire des caricatures de nos copains de classe avant leur arrivée. Nous déjeunions ensemble, passions la sieste ensemble et ne nous ennuyions jamais, car l’un de nous avait toujours une histoire à raconter. Et tout ceci, sans la moindre arrière-pensée, mais juste pour le plaisir d’être ensemble…
Et le comble de cette complicité était que nous nous sommes tous deux installés sur les cimes de la classe durant toute l’année. Bien que je ne pusse jamais la détrôner, je m’accrochai solidement à la deuxième place, ne laissant la vice-royauté qu’à de rares occasions. En plus donc de cette amitié, nous avions donc du respect mutuel l’un pour l’autre. Ces neuf mois de classe fut donc féériques en tout point de vue. Les vacances vinrent un peu trop vite à mon goût.
Quand de nouveau l’école ouvrit ses portes, nous nous retrouvâmes dans l’allégresse mais quelque chose avait changé. Ma douce et innocente Sènami n’était plus la même. Elle avait pris conscience de sa féminité. Elle s’habillait différemment, se maquillait et faisait plus attention à ce qu’elle disait. Son visage d’enfant avait laissé place à celui de cette jeune, belle et brillante dame qu’elle s’apprêtait à devenir. Elle était devenue légèrement distante vis-à-vis des garçons mais rien de tout cela ne me gênait. Envers moi, elle avait gardé la même considération. Nous passions plus encore de temps ensemble mais au lieu de vadrouiller comme deux bambins, nous partagions plutôt nos rêves. La nature de nos discussions avait changé. Nous semions les graines de nos avenirs respectifs.
Mes copains me jalousaient quelque peu d’avoir autant accès à cette fille qui leur semblait une cité imprenable. Mais pour moi, elle était ma Sènami, ma complice de toujours. Les nouvelles hormones aidant, ceux qui se sentaient désormais hommes se jetaient à l’eau. Mais le refus qu’ils essuyaient était sans indescriptible. Je m’amusais un peu de tout ce manège. Bientôt, je fus soupçonné d’être la cause de ses refus et de son entêtement à n’accorder son cœur à personne. Certains me voyaient donc comme le propriétaire de ce cœur qu’elle ne voulait offrir à personne d’autre. Même certains professeurs n’hésitaient pas à nous taquiner sur notre probable lien amoureux.
Les soupçons grossissaient, les regards soupçonneux devenaient de plus en plus persistants, et les blagues de mauvais goût nombreuses. J’étais perdu. Sènami comptait plus que tout pour moi, mais aussi précoce que je sois, côté cœur, c’était la première fois que j’étais confronté de façon réelle à l’amour, même si ce n’est que par soupçon. Je me devais de réagir face à ce que je vivais comme une injustice, comme des calomnies.
Ces histoires me torturaient à tel point qu’un jour je m’ouvris à un ami. Il me donna un conseil que je trouvai génial : m’inventer une petite amie. Sans une seconde d’hésitation, je mis son conseil à exécution. Dès le lendemain, chaque fois que quelqu’un m’apostrophait comme le « mari » de Sènami, je m’empressais de servir que j’avais déjà une petite amie, en dehors du collège. Même à elle, je le fis savoir. J’inventai une histoire abracadabresque que je me répétais, relatais à loisir jusqu’en être convaincu moi-même. Ma copine virtuelle venait ainsi de prendre vie : Kadidjath.
Cette histoire l’avait profondément choquée et troublée sans que je ne m’en rende compte. Elle devint quelque peu moins encline à passer du temps avec moi. Nous étions restés amis mais pas plus. Quelques temps après, elle demanda mes conseils sur l’un de nos camarades qui voulait faire d’elle sa dulcinée. Avec empressement, je vantai à contre cœur les mérites du monsieur, la poussant même à lui dire oui. Mais je le reconnais, je ressentais au fond de moi un malaise énorme, sans doute de la jalousie. Cependant, je me devais de faire le jeu jusqu’au bout.
Elle se mit donc « en couple » avec son Don Juan. Ceci eut pour effet immédiat de faire taire définitivement les quolibets sur une quelconque relation entre elle et moi. Je pensais alors que je vivrais en paix. Mais ce fut une terrible désillusion, pour deux raisons : j’avais perdu la relation privilégiée que j’avais avec elle et chaque fois que je les voyais ensemble, j’avais un pincement terrible. Les jours s’égrainèrent avec ce supplice que je m’étais infligé. Ma peine grandissait de jour en jour. Je portais désormais le lourd poids de mon mensonge, du déni dans lequel je m’étais installé.
C’est donc installé dans cette douce prison que je m’étais moi-même construite que je vis cette question de Sènami comme une perche qui m’était tendue pour sortir de mon gouffre.
Lorsque Sènami m’asséna ce « Et Kadidjath ? Comment va-t-elle ? », je me devais de saisir la balle au bond. Ce jour donc, nous nous quittâmes sur un sentiment de malaise. Je sentais dans son regard qu’elle m’en voulait terriblement d’avoir été aussi lâche, d’avoir ruiné notre amitié et ce qui aurait pu être une belle histoire d’amour. Cette date, je l’avais inscrite sur le mur de ma chambre et elle y était restée bien des années mais plus que tout, elle laissa une trace indélébile dans mon cœur. Cette première marche vers l’amour, je l’avais honteusement ratée et je mis beaucoup de temps pour retrouver mon équilibre.
Je traversai l’été tel un fantôme. Je n’avais gout à rien. Sènami occupait constamment mes pensées. Je redoutais tellement le jour où nous nous reverrions à la nouvelle rentrée. Le seul fait de penser à ce jour suffisait à me couper l’appétit. Et il ne tarda malheureusement pas à se pointer.
Lorsque je mis pied au collège ce jour, je m’étais mis sur mon trente-un, peut-être que me présenter sous mon meilleur jour pouvait atténuer sa rancœur envers moi, me disais-je. Mais quand je la croisai, le regard qu’elle me décocha, doucha mon enthousiasme. Elle me lança un laconique « Bonjour. Comment ça-va ? » et s’empressa de continuer son chemin. Son regard, ses paroles, ses silences n’étaient que dédain envers moi. J’eus du mal à me relever de ce mépris qu’elle avait désormais à mon égard.
Que cette année-là fut longue! Le temps, loin d’avoir été mon allié, prit un malin plaisir à creuser un peu plus le fossé entre nous. Elle devint une fille faussement ouverte. Elle se mit avec un nouveau mec. Elle qui était de nature réservée n’hésitait désormais plus à se montrer très démonstrative. Elle prenait des allures de femme fatale. Mais derrière ses faux airs de fille insouciante, je sus qu’elle était toujours restée une belle personne. C’était sans doute, sa manière à elle de se construire sa carapace.
Ma seule consolation était que nous n’étions plus dans la même classe et que je régnais désormais en maître absolue sans concurrence véritable. Cela fut bien une bien maigre consolation, car chaque fois que je la croisais, je sentais toujours une gêne immense. Je ne fus plus jamais pour elle cet ami, ce confident, cette personne qu’elle admirait si tant, mais juste l’homme censé être son premier amour mais qui lui brisa le cœur en mille morceaux. Je trimballai donc ce costume de Judas toute l’année.
Découvrir la réalité de l’amour ainsi était la chose la plus cruelle qui me soit arrivée. Après elle, que dis-je? sans elle, je ne sus jamais qui fut réellement mon premier amour car je multipliai des expériences aussi désastreuses les unes que les autres. Pour me consoler, trois mois après le début de l’année scolaire, j’entrepris d’avoir ma première petite amie. Un camarade à qui je rendais parfois visite me fit savoir que l’une de ses voisines s’était amourachée de moi. Je tentai donc avec elle ma chance. Jamais, je n’avais connu accouchement aussi difficile. Le jour où je fus en face de ma future première dulcinée, tout le baratin que j’avais préparé s’était subitement envolé, mon bégaiement s’accentua brusquement. Néanmoins, au détour de mille efforts, balbutiant quelques mots, je pense qu’elle comprit non sans peine quelles étaient mes intentions. J’avais certes sauté le pas mais nous n’eûmes jamais l’occasion de vivre cette pseudo-relation. La relation mourut sans même jamais avoir commencé.
J’enfilai ensuite deux autres relations avec des filles qui avaient les yeux plus gros que le ventre. Ce que j’avais et dans le portefeuille et dans le pantalon ne pouvait les satisfaire. Il me fallut cinq longues années après ma mésaventure avec Sènami pour trouver une femme qui partageait de façon sincère ce que je ressentais. Que ce fut dur pour le jeune homme que j’étais.
Je finis malgré tout par me marier, sans pour autant oublier cette erreur de jeunesse que je payai cher. Une chose hantait constamment l’esprit : « qu’était devenue Sènami? ». Mes multiples recherches sur les réseaux sociaux et auprès de nos camarades de promotion ne donnèrent rien. Je gardais néanmoins l’espoir qu’un jour, je la reverrais. Et la vie m’offrit cette chance d’une façon plutôt inattendue.
Après le BAC, j’ai des études en architecture. Au terme de ma formation, j’ai ouvert un cabinet qui, en quelques années, s’était fait une réputation certaine. Ces années passées à concevoir des plans de bâtiments et à conduire des travaux de construction, m’avaient épuisé. L’âge avançant, je finis par engager une jeune et brillante architecte, Cicamè. C’était ma muse. Elle m’épaula dès son arrivée, fit preuve d’un esprit d’initiative incroyable. Elle était comme ma fille. Je ne tardai pas à lui confier de plus en plus de responsabilité dans le cabinet. Je savais désormais que quand arriverait le jour où il faudra me retirer, la relève était assurée. Je voyais en elle mon héritière dans ce métier, aucun de mes enfants n’ayant voulu embrasser la même carrière que moi.
Cicamè n’était pas encore mariée quand je l’avais connue. Je rêvais d’ailleurs secrètement que mon fils aîné qui était lui aussi encore célibataire puisse la remarquer. Je m’arrangeai pour les faire se retrouver ensemble à plusieurs reprises, mais jamais la magie ne s’opéra pas. Ils s’appréciaient, mais pas plus. Un jour, Cicamè m’informa de son mariage. Je fus très heureux pour elle et lui promis que pour rien au monde, je ne raterais cela.
Le jour du mariage de Cicamè, chichement habillé et accompagné de ma femme et de mes deux enfants, je me rendis à la messe. Et qui vis-je au premier rang ? Sènami. Que ne fut ma surprise? Celle que mon cœur n’a cessé de désirer se tenait là devant moi! Quand nos regards finirent par se croiser, un torrent d’émotion m’inonda, elle aussi probablement. A la fin de la cérémonie, je m’approchai d’elle, accompagné de ma femme. Quand je fus assez près d’elle, la gorge nouée, je lâchai :
- Sènami, c’est bien toi ?
- Oui, mon cher.
- Que fais-tu ici ? Lui dis-je.
- C’est ma fille qui se marie.
- Cicamè est ta fille ?
- Bien sûr.
Elle s’étonna tout comme moi et fut davantage surprise que ce fût moi ce fameux patron de sa fille. Je compris à cet instant là que le destin m’avait fait un bon retour de bâton. J’étais à mille lieues de penser que celle à qui j’étais prêt à laisser l’œuvre de toute une vie était sa fille. Nous présentâmes nos familles respectives et échangeâmes nos contacts. Ce n’était pas le lieu de faire causette. Quelques jours plus tard, je l’appelai et l’invitai à un déjeuner. Elle accepta volontiers.
Je l’invitai dans un restaurant que j’appréciais particulièrement. Il était en bordure de mer et inspirait un certain glamour que je ne détestais pas. Je voulais l’impressionner. Je comptais bien lui montrer que j’avais réussi et que j’étais loin du garçon stupide qu’elle avait laissé il y a cinquante ans. Je ne tenais pas à être en retard, j’étais 30 minutes en avance sur le rendez-vous. 30 minutes qui me parurent si longues à passer. Arrivera-t-elle ? Restera-t-elle ? Me haïssait-elle toujours ? Mille et une questions me traversèrent l’esprit. Du haut de la soixantaine révolue, j’étais anxieux comme un jeune homme à son premier rendez-vous galant. Je noyais mon angoisse dans les de jus de fruit que j’ingurgitais sans cesse.
A l’heure juste, je vis Sènami franchir la porte du restaurant. Elle me chercha du regard. Quand elle posa les yeux sur moi, je lui fis un petit geste de la main. Quand elle s’avançait, je ne pus m’empêcher de contempler la belle silhouette qui était restée sienne malgré le poids de l’âge. Elle était toujours aussi gracieuse, élégante, belle… Je me repris juste à temps. Nous étions tous deux mariés. Et le temps perdu ne saurait se rattraper. Quand elle fut près la table, je me pressai de tirer sa chaise et de l’inviter à s’asseoir. Je me devais d’elle galant. Au cours du repas, nous parlions de tout et de rien. Nous abordions des sujets de peu d’importance. Entre autre, après son baccalauréat, me confia-t-elle, elle fit des études de médecine avant de se spécialiser en neurochirurgie. Elle eut donc la brillante carrière que tous nous lui prédisions il y a déjà cinquante ans. Elle tourna son bistouri dans bien de cervelles. Je lui racontai aussi mon parcours : mon diplôme d’architecte, mon cabinet, les plus grandes tours que j’avais construites. J’en étais sincèrement fière, mais j’étais en admiration devant elle. Elle, ce sont des centaines de vies qu’elle avait sauvées. Au bout d’un moment, un silence assourdissant s’installa. Nous avions tous deux senti que nous avions abordé tous les sujets sauf l’essentiel. Elle savait que plus que tout, je ne voulais réponse qu’à une question : m’avait-elle pardonné après un demi-siècle ?
- Sènami. Finis-je par dire.
- Oui, je t’écoute…
- Dis-moi, avançai-je d’un ton hésitant, m’en veux-tu encore ?
- De quoi parles-tu ? Je ne comprends pas.
- S’il te plaît Sènami, tu sais bien de quoi je parle…
- C’est toi qui le dis…
Elle prit tout un coup une mine grave. Le sourire qui jusqu’alors ornait son jolie visage disparut subitement. Malgré ma peine, j’eus l’audace de continuer :
- Sènami, je veux parler de ce malentendu que nous…
Son sang ne fit qu’un tour, elle explosa littéralement…
- Tu parles d’un malentendu… Pour toi ce n’est qu’un malentendu…Tu n’as même pas l’audace d’assumer tes erreurs. J’avais espéré qu’en cinquante ans, tu aurais un peu plus de couilles. Mais tu es toujours resté le gamin incapable de s’assumer que j’ai jadis connu.
Ses mots me tétanisèrent. J’étais abasourdi. Même dans mes pires cauchemars, je n’aurais imaginé une telle réaction d’elle.
Elle se leva brusquement de table :
- Sènami, s’il te plaît, reste. Dis-je sans aucune conviction.
- Moi? Rester? Pourquoi ? Je te laisse à ta lâcheté. Peut-être dans une autre vie, nous en reparlerons, mais c’est la dernière fois que je te donnerai l’occasion de me tourner en ridicule.
Elle se leva sans plus attendre. Le temps que je me décolle de ma chaise, elle avait déjà regagné la porte. Je tentai de la rattraper, mais avant que je ne rejoigne le parking, sa voiture était déjà bien loin. Notre rencontre, je l’avoue, au lieu de recoller les morceaux, s’était chargée de les éparpiller aux quatre coins.
Quelques temps après notre rencontre, Cicamè, la fille de Sènami, me fit savoir qu’elle ne comptait plus rester dans mon cabinet. Ce fut un nouveau coup terrible que je reçus. Je n’osai même pas demander les raisons qui la motivaient. Je savais d’où venait cette punition. Quelques mois après, mon cabinet concourut pour faire les plans du plus grand laboratoire de recherchs en neuroscience en Afrique francophone. Nous fûmes au nombre des trois cabinets présélectionnés. La phase finale de sélection consista à plancher devant un jury présidé par la future directrice du laboratoire. Et qui était-ce ? Sènami. Quand je sus cela, cela me démoralisa considérablement. Je voulais construire ce laboratoire car ce serait ma façon à moi d’aider à sauver également des vies. Je voulais que cela soit le point d’orgue de ma vie d’architecte, mon dernier acte de gloire professionnel. Mais je ne me sentais pas de taille face à elle. Je savais que je n’aurai pas la force d’affronter ce mépris qu’elle avait pour moi.
Fort de toutes mes angoisses, je me rendis quand-même à l’audition. Une fois, dans la salle, mes craintes se confirmèrent. Elle présidait bel et bien le jury. Je présentai mon projet comme je le pouvais, sans grande conviction. Les autres membres du jury ne s’attardèrent pas sur ma présentation et hormis quelques suggestions, ils louèrent tous l’architecture futuriste que j’avais proposée. Quand vint le tour de Sènami, elle prit un malin plaisir à soulever des supposés insuffisances de ma proposition. Je ressentais chaque mot qu’elle prononçait comme des coups de dague. Je n’avais pas la force de me battre contre elle. Je fus pris d’un soudain vertige. Une douleur indescriptible et aiguë naquit dans ma tête. En quelques secondes, je m’évanouie. Ce fut le vide.
Ce matin-là, quand j’ouvris les yeux, tout semblait flou autour de moi. Lorsque je tournai la tête, je vis Sènami. Quand elle remarqua que j’avais cligné des yeux, elle se précipita sur moi. Entre rires et pleurs, elle ne savait plus à quel sentiment elle devait donner le pouvoir. Elle me serra très fort contre elle.
- Hé Sènami, tu m’étouffes. Finis-je par dire.
- Oh excuse-moi dit-elle.
- Où suis-je ?
- Au bloc des soins intensifs du CHU.
- Depuis combien de temps ?
- 03 mois. Me répondit-elle.
- Qu’est-ce-qui s’est passé ? Demandai-je.
Et là Sènami, se mit à narrer l’histoire du miraculé que j’étais.
« Lorsque tu perdis connaissance à ton audition, les premières radios que nous te fîmes passer, révélèrent la présence d’une tumeur bénigne dans la partie gauche de ton cerveau. Mais son emplacement la rendait quasiment inopérable. Or tant que cela n’était pas enlevé, tu serais demeuré inconscient à tout jamais. Il y avait donc un choix à faire : soit te laisser cette tumeur dans le crâne et te voir passer le restant de ta vie dans le coma, soit t’opérer avec un risque très élevé de te perdre pour toujours. Pire, si opération il y avait, j’étais la seule neurochirurgienne encore en activité. Jamais je n’avais opéré quelqu’un à qui je tenais autant. Ta famille et moi, doutions pendant des semaines. Mais nous ne pouvions laisser l’homme plein de vie que tu étais, passer ainsi le reste de sa vie. Autant mieux te laisser partir. Ta famille se décida enfin : « il faut l’opérer ». C’était moi qui constituais maintenant le problème. Je l’avoue, je ne voulais pas t’opérer. Est-ce parce-que je te haïssais toujours ou parce-que j’avais peur de te perdre. Puis il y a trois jours, je pris une décision : je ferais cette opération. Le lendemain, j’avais donc ton cerveau sous mes doigts, traquant cette tumeur malicieuse. Je finis par l’ôter après 06 heures d’opération. Nous étions tous soulagé de ne t’avoir pas perdu au cours de l’extraction. Mais cela ne suffisait pas, la question était maintenant de savoir si tu recouvrirais toutes tes capacités cérébrales et motrices… Mais tu parles déjà et jusque-là ce que tu dis a plutôt du sens. Je peux donc considérer que tu as récupéré tes capacités cérébrales. Il ne me reste qu’à confirmer si tu remarcherais. Laisse-moi te pincer les bras et les pieds pour en avoir le cœur net. »
Quand elle me pinça les bras, je ne ressentis rien, les pieds non plus. A l’éventualité de perdre l’usage de mes bras et de mes pieds, une larme perla sur mes joues.
- Ne pleure, pas s’il te plaît. Me dis Sènami.
- Je ne veux pas être un fardeau pour les miens.
- T’inquiète. Tu ne seras un fardeau pour personne. Réjouis-toi d’être à nouveau conscient, profitant de la vie. Et en plus, ici, nous avons le meilleur service de kinésithérapie de tout le pays. En quelques semaines, tu pourras gambader comme un bambin si tu le souhaitais. Pour l’instant, repose-toi et laisse-moi m’occuper de tout.
Un peu plus tard, ma femme et mes enfants vinrent me rendre visite. Sènami les avait informés que j’avais repris conscience. Ils furent très avenants avec moi. Mais ma crainte persistait : me supporteraient-ils ainsi. Obligés seraient-ils de m’habiller, de me laver, de me faire manger. Non seulement, je leur serais inutile, mais je les empêcherais de vivre leur vie. Si seulement, je pouvais m’en … Je me souviens qu’un homme convaincu du miracle qu’il était ne devait avoir de telles idées.
Le lendemain de mon réveil, Sènami me fit consulter par le chef service de kinésithérapie. Après m’avoir ausculté, il avait la mine toute défaite, Sènami également. Je compris tout de suite que quelque chose ne tournait pas rond.
- Sènami, je suis un vieux bonhomme. Tu sais. Tu peux tout me dire.
- Rien n’est définitif en médicine, tu le sais….
- Sènami, va droit au but. Lui dis-je.
- Je préfère laisser le professeur t’expliquer.
- Il y a peu de chance que vous marchiez de nouveau un jour. Les nerfs qui relient votre cerveau à votre colonne vertébrale ont été fortement endommagés au cours de l’opération. Je suis désolé. Néanmoins, si vous le souhaitiez, nous pourrions quand même essayer la rééducation.
- Oui, nous essayerons la rééducation. Moi je suis convaincue qu’un jour tu remarcheras. Crois-moi. Lança Sènami avec une telle force que les doutes qui s’étaient formées comme un gros nuage en moi, disparut tout un coup.
- D’accord, Sènami. Si tu y tiens. Dis-je.
- Laissez-nous seuls, professeur.
Une fois que le professeur se fut retiré, Sènami m’asséna :
- Si j’y tiens ? Bien sûr que j’y tiens. Et tu as tout intérêt à y tenir aussi. Tu me dois de remarcher. Ce sera toi qui accompagneras ton fils aîné à l’autel pour son mariage. Je ne saurais le faire à ta place.
- Ok, ok. Tu as toujours été tyrannique, je le sais. Je me plis à ta décision.
A ces mots, nous éclatâmes de rires. Quand nous eûmes retrouvé nos esprits, Sènami vint s’asseoir à mes côtés et me susurra :
- Tu réussiras, je le sais.
- Oui Sènami.
- Ensemble, nous reformerons ce tandem que nous avions jadis formé. Cette équipe imbattable que nous avions été autrefois.
Je fermai les yeux quelques instants, convaincu vraiment cette fois que je remarcherais. Dès le lendemain, une charmante kinésithérapeute se mit à mon service. Nous faisions de longues heures d’exercice matin et soir. Cela m’harassait. Mais je tenais bon. Mes progrès tardèrent à venir. Dans la thérapie, quelque chose n’allait pas. Nous faisions de longues heures d’exercice mais ma thérapeute ne croyait nullement en moi. Elle faisait juste ce qu’on lui avait demandé de faire et je la sentais battue d’avance. Un soir alors que nous finîmes nos exercices, j’eus le courage de lui demander :
- Madame, croyez-vous que je remarcherai.
Elle marque un long silence avant de dire :
- Votre cas est désespéré. Puis elle sortit.
J’étais effondré. Je voulais tout arrêter. Rester seul jusqu’à ce que la mort m’emporte. Quand Sènami vint me rendre visite ce soir-là, ma mine était déconfite.
- Eh mon champion, qu’as-tu ?
- Laisse-moi tranquille. Même toi tu te lasseras de moi. Merci pour ta pitié. Tu en as assez fait. J’en ai marre, je laisse tout tomber.
- Tu peux dire cela à tout le monde sauf à moi. Même s’il faut que je te bâillonne pour te faire faire tes exercices, je le ferai. Que s’est-il passé ?
- Je savais dès le départ que ma soignante n’avait aucune foi en ce qu’elle faisait. Et aujourd’hui de vive voix, elle me l’a fait savoir. Et tous les kinésithérapeutes que tu enverras, réagirons comme elle.
- Si c’était vrai, c’est qu’ils sont tous stupides. Cela fait un demi-siècle que je te connais et jamais tu n’as rien abandonné. Ce n’est pas maintenant que tu vas commencer. Je serai désormais ton coach. Je t’entraînerai. Et tu remarcheras. Ce miracle, on l’accomplira tous deux. On rendra possible ce que tout le monde pense impossible. Et ça, nous en sommes capables.
Ces mots furent d’un réconfort indescriptible pour moi. Et effectivement, dès le lendemain, Sènami fut ma nouvelle pseudo-kinésithérapeute. Dès qu’elle avait une heure de libre, elle s’empressait de me rejoindre et de faire les exercices avec moi. Elle se documenta beaucoup sur les méthodes de rééducation et prit des conseils auprès de ses autres collègues. Désormais, entre deux consultations, elle trouvait du temps pour qu’on aille se promener dans les abords de l’hôpital. Il y avait un jardin public magnifique dans lequel nous aimions particulièrement nous balader. Elle m’amenait déjeuner et dîner autant qu’elle pouvait. Nous étions de nouveau devenus inséparables. Nous étions deux vieux camarades de jeu qui ne se perdaient plus de vue. Elle ne rechignait pas à pousser mon fauteuil roulant une bonne partie de la journée. Dans cette ambiance je me dis que quelqu’un qui croyait en moi, mes progrès furent incroyables. Au bout de quelques semaines, je ressentais à nouveau mes jambes. Après 03 mois, je tendais timidement les bras. Ces progrès renforçaient Sènami dans sa détermination. Elle était encore plus heureuse que moi.
Désormais, même moi je me mis à rêver. Je n’avais plus qu’un seul objectif : remarcher. J’étais focalisé sur cet objectif quand un événement vint brusquement changer le cours des choses. Un jour, Sènami me rendit visite dans ma chambre de malade. Elle s’assit sur le bord de mon lit. Nous discutions de tout et de rien. Elle me tenait tendrement la main mais de la façon la plus chaste possible. Et moi, j’avais posé ma tête sur elle. Nous étions dans cet plus ou moins intime quand ma femme entra dans la chambre. Dès qu’elle vit la scène, elle péta un câble. Elle fit un scandale inimaginable. Reconnaissons qu’elle voyait d’un mauvais œil le rapprochement qui s’était opéré entre Sènami et moi. Le jour même, je fus contraint de rentrer à la maison avec le risque de voir mes progrès stoppés. C’était un chantage égoïste de la part de ma femme : soit je rentrais et mes chances de remarcher s’amenuisaient, soit je restais à l’hôpital et je la perdais elle, ma femme. A contre cœur, je choisis la première option. Cela me déprima considérablement. Une fois à la maison, je n’avais plus goût à grande chose. Je savais que sans Sènami, mes chances de remarcher se réduisaient comme peau de chagrin. Je congédiais les « kiné » les uns après les autres. Aucun ne trouvait grâce à mes yeux. Même ma femme qui était à l’origine de la situation se mit à désespérer également. Elle se résolut à me reconduire à l’hôpital pour que Sènami s’occupe de moi.
Je fus de nouveau installé à l’hôpital et Sènami et moi continuâmes la rééducation. Après 04 semaines de travail acharné, je sentais que j’avais repris l’usage de mes jambes. Un jour, alors que nous avions rendez-vous, je lui réservai une surprise. J’attendais avec la frénésie d’un jeune garçon le moment où elle franchirait la porte. Je sentais mon cœur battre à tout rompre. Quand je la vis sur le seuil de la porte, une émotion subite me traversa. Je sentis l’adrénaline parcourir tout mon corps. D’un geste hésitant, de toutes mes forces, j’agrippai l’accoudoir de ma chaise roulante, et je me redressai sur mes pieds. Sènami était tétanisée par ce qu’elle voyait. Avec la gestuelle d’un automate, je fis un, deux, trois, quatre pas. Je puisais au plus profond de moi la force de faire un pas après l’autre. Je le lui devais. Quand je fus près d’elle, je m’effondrai, à bout de souffle. Elle me rattrapa, me redressa et me serra fort dans ses bras. Tous deux, nous éclatâmes en sanglots. « On l’a fait » « Oui, on l’a fait », répétions-nous tous deux. L’instant d’émotion passée, elle me réinstalla dans ma chaise et nous allions faire notre promenade quotidienne. Mais dans nos yeux, quelque chose avait changé. Il s’y lisait une lueur d’espoir que rien ne pouvait étouffer. Nous sentions que le bout du tunnel n’était pas loin.
Après quelques séances, je remarchais presque normalement. C’était fabuleux. Quelque temps après, je retournai à la maison. Même ma famille fut étonnée de la rapidité de mon rétablissement. Moi pour qui on avait pronostiqué que plus jamais je ne remarcherais, me voilà aussi habile sur mes jambes qu’un jeune homme. Seule la course ne m’était encore permise. Nous organisâmes une fête où nous invitâmes nos amis les plus proches et surtout celle qui m’avait secouru, Sènami. Ce fut l’occasion pour ma femme de lui présenter ses excuses. Je revis à cette occasion sa fille Cicamè, mon ex-assistante. Je lui proposai à nouveau de reprendre le flambeau au sein de mon cabinet d’architecte. Mon absence prolongée l’avait quelque peu plombé, mais il jouissait toujours d’une bonne réputation.
Cicamè rejoignit le cabinet comme je lui avais demandé. Je pris définitivement ma retraite après lui avoir présenté mes principaux clients et partenaires. Je partageai avec elle quelques petits secrets du milieu et je m’éclipsai. Mais au vu des résultats plus qu’encourageants qu’elle obtint après son premier trimestre d’exercice, je sus que je n’avais pas fait un mauvais choix. Elle avait la même intelligence et la même rigueur que sa mère. Quand je fus suffisamment rétabli, j’eus envie de remercier personnellement Sènami. Je l’invitai à dîner et pour exorciser les vieux démons, dans le même restaurant que la dernière fois.
Et contrairement à la dernière fois, tout se passa extraordinairement bien. Après que nous eûmes payé l’addition, avant de partir, j’entrepris d’avoir une dernière discussion sincère avec elle :
- Comment pus-je te remercier ? Lui demandai-je.
- Je n’ai fait que mon devoir. D’ailleurs, j’en suis pour beaucoup dans cette situation que tu as dû endurer.
- Cela a été la plus belle expérience de ma vie. Sans elle, je n’aurais jamais su le sens du mot miracle. J’ai pu expérimenter l’infini pouvoir qui nous a été accordé. Avec la force de notre volonté et de nos pensées, j’ai su comme le disait Jésus que l’on pouvait vraiment déplacer des montagnes. Oui, ce que nous avons fait, toi et moi, dépasse le fait de déplacer un bloc de pierre. La foi n’a de sens si elle n’est vécue, si on ne lui donne vie au quotidien. Tout mon parcours spirituel, ma vie, tout cela aurait été vain si je n’avais pas rencontré Dieu au travers de ma paralysie. J’ai enfin trouvé un sens à ma vie.
- Hé… Je ne te savais pas si spirituel mon cher.
- Sènami, il faut parfois mourir de nos illusions pour renaître dans l’espérance et vivre la lumière que nous sommes. Trêve de métaphysique. Pour finir, aurais-je pu prétendre à ton pardon si tout ceci n’était advenu ?
- Je ne saurais le dire. Mais je ne me serais jamais pardonné si tu avais perdu la vie par ma faute. Comble, si je ne te disais pas que je t’avais pardonné pour ce que tu m’avais fait il y a déjà cinquante ans. Aucune situation ne mérite que l’on prenne en aversion quelqu’un toute une vie. Nous sommes tous des passants dans cette vie. A l’instant où tu t’es évanoui dans cette salle de réunion, j’ai su que ma rancœur était stupide. Toi l’objet de cette haine, dès que j’ai cru t’avoir perdu, tout ce manège perdit son sens. Oui je te pardonne donc. Et toi aussi, j’espère que tu en as fait de même. Tu aurais dû être mon premier amour. Mais la vie a voulu que nous prenions des chemins différents pour qu’à la fin, nous apprenions l’un de l’autre les leçons les plus importantes de nos existences.
- Tu m’en vois ravi. Merci pour tout. Avec toi, je serais tenté de dire qu’il y a encore un lien plus beau que l’amour : l’amitié car elle n’attend rien. Elle vit sans engagement, sans aucune condition, sans aucune chaîne. C’est cela sa beauté. Et c’est cette sublime beauté que j’ai vécue avec toi.
- Je ne suis pas d’accord avec toi… Mais ne menons pas de débats. Allons-y à présent afin de conserver le doux souvenir de cette soirée. Je n’aimerais pas qu’un quelconque malentendu ne vienne la ternir.
Quand nous nous levâmes, Sènami prit ma main, nos regards se croisèrent, puis là sans mot dire, elle me donna un tendre baiser. Cela me perturba quelque peu. Mais il y a bien des décennies que cela aurait dû arriver.
Après ces confessions poignantes et ce baiser imprévu, nous nous séparâmes chacun, avec un cœur léger, conscient d’avoir soldé les dettes du passé.
Ce soir-là, au moment de m’endormir, jamais je n’avais été aussi apaisé. Débarrassé, étais-je du fardeau de mes erreurs du passé, heureux d’avoir rencontré le divin dans ce désert que j’ai traversé. Une félicité indescriptible envahit tout mon être. Je sentis mon corps comme flottant dans un univers de bonheur. Je vis au loin une lumière intense mais si apaisante qui m’aspirait. J’avais hâte d’être enveloppé par elle. Je hâtai le pas et quand je fus assez près, je vis une porte. Je fus pris d’une petite panique, mais pour rien au monde, je ne voulais connaître autre lieu que cet endroit de paix et de quiétude. Je traversai donc le seuil…